Tout ce qu'il pouvait discerner autour de lui était blanc. L'épaisse couche de neige sous ses raquettes s'étendait à perte de vue.
Le son résonnait dans sa tête. Les notes de la mélodie se posaient en douceur, réchauffant son corps de l'intérieur. Un battement vital dont les accords le poussaient à avancer malgré l'adversité. Cette musique, le deuxième Nocturne opus 9 de Chopin, s'enclenchait chaque fois qu'il se trouvait en difficulté. Elle lui faisait oublier le froid et la fatigue, elle chassait les idées sombres et les angoisses pour ne laisser que des flèches de lumière éclairant les synapses de son cerveau.
Pourtant elle savait au fond d'elle que la vie ne valait pas la peine d'être vécue sans être partagée. Qu'est-ce qui pouvait nous protéger de l'horreur du monde et des hommes si ce n'est l'amour ?
Le Vercors ce n'est pas une montagne qu'on aborde par défi. C'est un endroit où on doit se laisser bercer par des émotions. Ce sont les bergers qui m'ont appris ça. Quelque chose d'essentiel se joue ici depuis toujours et sous les yeux de tous.
La vérité, c'était tout ce qui importait au final. La vérité pour les autres et pour soi-même. La vérité pour effacer le visage des fantômes et apporter la lumière sans laquelle aucune vie ne pouvait se développer.
Une soudaine rafale de neige le força à baisser la tête. Le monde dace à lui était un dégradé de blancs tombant en gros flocons et se perdant dans le gris à mesure que le regard portait. Tout au fond, le noir intense de la forêt fermait ce tableau hivernal.
L’air et le silence avaient la plénitude d’un chant. Jacques était planté au milieu des pins à crochets, les yeux grands ouverts pour sentir le vent froid lui écorcher la cornée. Ici, sur les hauts plateaux du Vercors, l’homme n’avait pas eu le temps d’imprégner la terre de son vacarme. Il n’était ni désiré ni nécessaire, et on le tolérait à peine. L’homme n’avait de toute façon aucune idée de la beauté de ce lieu. Il ne le pouvait pas, car il n’avait jamais appris ce que pouvait être un rapport naturel au monde. Ses écoles, ses facultés, ses entreprises et toutes ses théories ne s’intéressaient pas à ça.
Il n'y a pas de passé qui ne surgisse et ne provoque une sensation de joie. La joie tragique d'avoir retrouvé le perdu.
Il n’y avait pas vraiment de statistiques officielles sur le sujet, mais c’était un fait : celui qui appelait la police était souvent directement ou indirectement lié à l’affaire. Quoi qu’il en soit, ce guide était suffisamment singulier pour qu’elle s’y intéresse.
La nature répondait à des règles simples, faciles à comprendre et à anticiper. Mais le monde des hommes c’était autre chose… Plus Élie avançait, plus l’angoisse de ce qu’il allait découvrir lui contractait les tripes. L’hypothèse d’un montagnard blessé, perdu dans le blizzard lui paraissait de plus en plus improbable. La visibilité était proche de zéro, certes, mais il y avait d’autres moyens de s’orienter quand on connaissait le coin et les traces montaient en dénivelé continu vers le nord en s’enfonçant dans les hauts plateaux.