Et il a fait cette proposition :
« Tu veux qu'on monte sur la lune ? Tu veux ? On la coupera en deux. Une moitié pour toi, une moitié pour moi. »
J'ai compris qu'il m'initiait à sa langue intérieure, à sa façon d'utiliser les mots, de les attacher les uns aux autres, de les réinventer, de les prononcer avec un souffle nouveau.
L'homme ne connait pas son zob, cette extrémité qui le dépasse, le démange, le dérange. C'est u être à part le zob.
p. 46 éd. du Seuil, 2003.
J’ai découvert en moi une passion. Deux passions. L’amour réinventé. La capacité de m’occuper de l’autre. L’accompagner. Être lui.
Sans l’avoir jamais appris, je suis devenu infirmier. J’avais les gestes, naturellement. Le ton. L’abnégation. L’attention qu’il fallait. J’ai regardé les autres infirmiers de l’hôpital, discrètement. Je les enviais. Je volais d’eux ce que je ne savais pas pour le donner à Mahmoud. Soulager. Un peu soulager. Aimer. De plus en plus.
Et j’ai accepté de ne jamais vraiment tout connaître de Mahmoud. Ici. Sur cette terre. Dans cette vie.
C'est toi qui ouvrira la porte du ciel.
Là-bas, mon fils, j’ai compris, je te le dis et je te le redis : il n’y a plus de musulmans. Il n’y a que des esclaves obéissants, sans cœur, assoiffés de pouvoir, de sang, de sperme, de cris.
J’ai pris les chaussures rouges de Marilyn. Et je suis partie. Vers Agadir.
Je savais que je trouverais dans cette ville touristique des sœurs, des égarés comme moi, des sacrifiées comme moi. Des mortes vivantes. Des saintes.
Trouver du travail. Mon ancien travail.
Et préparer le départ. Avec détermination.
Le plus rapidement possible.
Fuir au Caire.
Te retrouver mon fils, mon Jallal, au Caire où, juste avant qu’on m’arrête, j’avais réussi à t’envoyer, avec l’aide miraculeuse d’un de mes riches clients.
Brûler mon passeport marocain.
Brûler ma carte d’identité marocaine.
Renaître pour toi, Jallal. Pour nous.
M’accrocher à ce rêve : Marilyn.
Mon fils est à moi. Il aime ce que j’aime. Il est ma mémoire et mon oubli. Il aimera ce que je lui dirai d’aimer. Il sera ce que je lui dirai d’être.
Les âmes se regardent. Elles sont une.
Ma mère, cette nuit-là, s’appelait Marilyn. Elle était mécréante comme elle. Malheureuse comme elle. River of No Return me révélait ma mère autrement. Elle n’était pas seulement ma mère. Elle n’était pas qu’à moi. Elle était la mère des autres aussi. La mère, la sœur jumelle de Marilyn.
C’est comme ça, mon fils. Je suis née pour cela. Vivre nue. Ne pas avoir peur d’être nue pour les autres. Je n’ai pas honte.
Tu seras, comme moi, introductrice.
Tu seras, comme moi, libre.
Une reine. Pas aux yeux des autres, qui, ignorants, te considéreront toujours comme une prostituée. Une reine parce que c’est toi qui l’auras décidé.
C’est Mahmoud qui m’a parlé, un jour, des quatre-vingt-dix-neuf noms d’Allah en islam.
Je n’étais pas vraiment un bon musulman mais je les connaissais quand même. Par cœur, comme beaucoup de musulmans. Les réciter doucement, les psalmodier tous, chaque jour, vous rapprochait de Dieu, bien sûr, et éloignait la mort.
J’ai dit à Mahmoud tout cela.