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Critique de Fabinou7


J'ai aimé Tchekhov novelliste, l'auteur de « La dame au petit chien » ou « Un royaume de femme » a su me faire entrer, à mon insu, si loin, si fort dans l'intime et l'empathie, rendant la nouvelle cruellement courte, preuve de sa redoutable efficacité : le « fusil de Tchekhov » vise toujours juste.

“Les gens ont des destins divers. Les uns, à peine ils arrivent à traîner une existence ennuyeuse, insipide, ils se ressemblent tous, ils sont malheureux ; les autres, vous, par exemple- vous seul sur un million- le sort leur offre une vie intéressante, lumineuse, pleine de sens...”

“Le théâtre, pas possible de faire sans.” Anton Tchekhov ne s'est jamais complètement considéré comme un écrivain, en dépit du succès qu'il connu de son vivant. Avec « La Mouette », le dramaturge interroge la notion d'art, de création artistique et la condition de l'artiste. Sont-ce ses propres doutes, son rapport au succès, à la modernité qu'il veut mettre à distance dans sa pièce, jouée pour la première fois en 1896 ?
“ il faut peindre la vie non pas telle qu'elle est, ni telle qu'elle doit être, mais telle qu'elle se représente en rêve.” Cette pièce est (si j'ose) le théâtre d'une réflexion sur l'art et le beau, le beau doit-il être sérieux, l'abstraction est-elle encore de mode et trahit-t-elle le réel ?

L'édition « Babel » avec la traduction « à l'allemande » d'André Markowicz, que j'avais découverte par la lecture de « Un homme ridicule » de Dostoïevski et qui, malgré quelques perditions lourdes de sens (beaucoup de jeux d'équivoques, à commencer par le titre : « Mouette » voulant dire « espérer » en russe par exemple), se veut plus fidèle au texte d'origine et nous donne à lire la version originale non censurée.
Car la censure de l'époque exigea le retrait de certaines répliques ou didascalies en lien avec le concubinage de la mère actrice, avec un jeune homme de lettres, qui passait aux yeux des autres personnages comme trop banal. Pourtant rien d'étonnant de la part de Tchekhov qui, détestant la « petite morale », n'a jamais jugé ses personnages.

« Si un jour tu as besoin de ma vie, viens et prends là ». Tchekhov, qui n'a jamais connu l'amour, comme le personnage Trigorine, rend compte de l'impasse illusoire de la rédemption amoureuse pour Tréplev et Nina.

« La frivolité est dure comme de l'acier » écrivait Montherlant. Cette pièce relate les tragédies silencieuses, l'insatisfaction létale, qui se jouent sous l'épaisseur de l'épiderme, qui coulent dans les veines déjà froides, alors même qu'autour la vie -mondaine - suit ennuyeusement et implacablement son cours, « fatal and faithed » comme écrivait Lord Byron, les gens évoluent autour du mort-vivant, Tréplev, dans une indifférence totale, “souvent, je n'ai pas la moindre envie de vivre.”

“C'est très difficile de jouer dans votre pièce. Il n'y a pas de personnages vivants.” Cette pièce n'est pas aisée à appréhender. de son propre aveu, l'écrivain russe en souligne le « peu d'action » mais la grande émotion. Comme dans ses nouvelles, le lecteur fait irruption dans la vie des personnages, une immersion empathique et totale, et le retrait est tout aussi brutal, pas de début et pas de fin, juste un morceau de vie. Cependant, le chemin du succès sera houleux, la pièce, jouée en 1896, est d'abord très mal reçue par la critique.

En effet, comment écrire, sans dérouter, ce que le poète belge Henri Michaux appelait « l'amère vie quotidienne » ? de tous les critiques, c'est peut-être Anatoli Koni qui a le mieux compris « La Mouette » : « une vie quotidienne toute proche et que personne ne comprend dans sa cruelle ironie intérieure ».

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