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Courir après des chimères, se brûler les ailes aux lumières de la rampe et autres trivialités humaines...
Anton Tchekhov aborde dans La Mouette la thématique, ô combien d'actualité, des jeunes gens désirant plus que tout s'adonner aux métiers artistiques, et tout particulièrement, ceux du spectacle.
Combien d'apprentis chanteurs, danseurs, acteurs, humoristes, musiciens, écrivains se retrouveront, eux et leurs illusions déçues dans cette mouette, symbole du jetable ; un coup de fusil et on n'en parle plus !
Mais La Mouette c'est aussi bien plus que cela et s'il est réellement une oeuvre qui souffre de la traduction en français, c'est assurément celle-là. En effet, Anton Tchekhov joue fréquemment sur le signifiant et le signifié des mots et des noms qu'il emploie, chose indubitablement perdue à la traduction.
En russe, le mot « mouette » ressemble à un verbe qui signifie « espérer vaguement quelque chose, plutôt en vain » (de même pour le nom de Medvedenko qui évoque en russe l'ours pataud). de plus, si l'on se souvient que la scène se déroule au bord d'un lac à l'intérieur des terres, la mouette devient alors un oiseau égaré, blanc parmi les sombres alentours, symbole à la fois de candeur, de fragilité et d'égarement, d'espoirs plus ou moins déçus et de voix dissonante.
On est donc loin des hordes piaillardes et envahissantes des bords de mer auquel le nom « mouette » fait référence, de prime abord, dans notre esprit, pour nous autres, habitants des franges du continent. L'oiseau le plus proche en français de ce qu'a voulu exprimer l'auteur serait peut-être l'hirondelle, pour la notion de fragilité et de vague espoir, mais bien loin de recouvrir toutes les thématiques évoquées plus haut.
Tchekhov nous dépeint un monde où les artistes célèbres sont mesquins, égoïstes, narcissiques et sans intérêt comme l'actrice Irina Arkadina ou l'écrivain Trigorine, ceux qui désirent devenir artistes sont gonflés d'orgueil et de talent parfois douteux à l'instar de Treplev et Nina, les gens en place désirent autre chose que ce qu'ils ont tels Sorine, Medvedenko, Macha ou Paulina.
Bref, tous courent plus ou moins après des chimères (la reconnaissance du public ou celle de ses pairs, l'amour de quelqu'un qui ne vous aime pas, le mode de vie opposé à celui que l'on pratique, etc.). Finalement, (est-ce un hasard sachant que Tchekhov est médecin de formation ?), un des seuls à avoir des yeux lucides semble être le médecin Dorn, qui possède un regard distancié et détaché des émotions, qui sait goûter le talent quand il est là et qui n'essaie pas d'avoir un autre âge que celui qu'il a.
En somme, une pièce qui remue beaucoup du côté de nos attentes, souvent un peu triviales ou inaccessibles, alors qu'à deux pas, l'accessible est négligé, tels l'amour de Macha pour Treplev, l'amour de Treplev pour Nina ou sa mère, l'amour d'Arkadina pour Trigorine, l'amour de Paulina pour Dorn, etc.
Le message de Tchekhov pourrait être : " Ne regardez pas trop haut, n'allez pas vous griller les ailes comme un papillon de nuit sur une lampe à incandescence et sachez jouir de ce qui est à votre portée. " Si vous obtenez de la reconnaissance sans l'avoir cherché, tant mieux, sinon, ce n'est pas bien grave car les trompettes de la renommée sont souvent bien mal embouchées comme disait si justement Georges Brassens...
Voici mon avis, un tout petit avis, blanc et piaillard, tout blanc, sur fond blanc, c'est-à-dire bien peu de chose en définitive.
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J'ai aimé Tchekhov novelliste, l'auteur de « La dame au petit chien » ou « Un royaume de femme » a su me faire entrer, à mon insu, si loin, si fort dans l'intime et l'empathie, rendant la nouvelle cruellement courte, preuve de sa redoutable efficacité : le « fusil de Tchekhov » vise toujours juste.

“Les gens ont des destins divers. Les uns, à peine ils arrivent à traîner une existence ennuyeuse, insipide, ils se ressemblent tous, ils sont malheureux ; les autres, vous, par exemple- vous seul sur un million- le sort leur offre une vie intéressante, lumineuse, pleine de sens...”

“Le théâtre, pas possible de faire sans.” Anton Tchekhov ne s'est jamais complètement considéré comme un écrivain, en dépit du succès qu'il connu de son vivant. Avec « La Mouette », le dramaturge interroge la notion d'art, de création artistique et la condition de l'artiste. Sont-ce ses propres doutes, son rapport au succès, à la modernité qu'il veut mettre à distance dans sa pièce, jouée pour la première fois en 1896 ?
“ il faut peindre la vie non pas telle qu'elle est, ni telle qu'elle doit être, mais telle qu'elle se représente en rêve.” Cette pièce est (si j'ose) le théâtre d'une réflexion sur l'art et le beau, le beau doit-il être sérieux, l'abstraction est-elle encore de mode et trahit-t-elle le réel ?

L'édition « Babel » avec la traduction « à l'allemande » d'André Markowicz, que j'avais découverte par la lecture de « Un homme ridicule » de Dostoïevski et qui, malgré quelques perditions lourdes de sens (beaucoup de jeux d'équivoques, à commencer par le titre : « Mouette » voulant dire « espérer » en russe par exemple), se veut plus fidèle au texte d'origine et nous donne à lire la version originale non censurée.
Car la censure de l'époque exigea le retrait de certaines répliques ou didascalies en lien avec le concubinage de la mère actrice, avec un jeune homme de lettres, qui passait aux yeux des autres personnages comme trop banal. Pourtant rien d'étonnant de la part de Tchekhov qui, détestant la « petite morale », n'a jamais jugé ses personnages.

« Si un jour tu as besoin de ma vie, viens et prends là ». Tchekhov, qui n'a jamais connu l'amour, comme le personnage Trigorine, rend compte de l'impasse illusoire de la rédemption amoureuse pour Tréplev et Nina.

« La frivolité est dure comme de l'acier » écrivait Montherlant. Cette pièce relate les tragédies silencieuses, l'insatisfaction létale, qui se jouent sous l'épaisseur de l'épiderme, qui coulent dans les veines déjà froides, alors même qu'autour la vie -mondaine - suit ennuyeusement et implacablement son cours, « fatal and faithed » comme écrivait Lord Byron, les gens évoluent autour du mort-vivant, Tréplev, dans une indifférence totale, “souvent, je n'ai pas la moindre envie de vivre.”

“C'est très difficile de jouer dans votre pièce. Il n'y a pas de personnages vivants.” Cette pièce n'est pas aisée à appréhender. de son propre aveu, l'écrivain russe en souligne le « peu d'action » mais la grande émotion. Comme dans ses nouvelles, le lecteur fait irruption dans la vie des personnages, une immersion empathique et totale, et le retrait est tout aussi brutal, pas de début et pas de fin, juste un morceau de vie. Cependant, le chemin du succès sera houleux, la pièce, jouée en 1896, est d'abord très mal reçue par la critique.

En effet, comment écrire, sans dérouter, ce que le poète belge Henri Michaux appelait « l'amère vie quotidienne » ? de tous les critiques, c'est peut-être Anatoli Koni qui a le mieux compris « La Mouette » : « une vie quotidienne toute proche et que personne ne comprend dans sa cruelle ironie intérieure ».

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La Mouette est, pour moi, une comédie sur l'écriture et sur l'Art.
Je ne sais pas si certains arrivent à l'apprécier sans y réfléchir et sans préparation, mais ce n'est pas mon cas. On y trouve bien quelques remarques amusantes sur le métier de l'écrivain, quelques quiproquos et plusieurs possibilités amusantes à mettre en scène pour que la pièce soit immédiatement drôle et c'est indéniablement ce qui fait le succès populaire de la pièce. Par contre, si on en reste là, il me semble, qu'à l'instar de Tolstoï, on ne pourra saisir ce qui fait la qualité propre de la Mouette.
(Tolstoï a, en effet trouvé qu'elle était « une absurdité sans valeur à la manière d'Ibsen », où « les mots sont entassés les uns sur les autres, sans qu'on sache pourquoi ».)
Ce que je trouve vraiment génial avec cette pièce et que je suis arrivé à remarquer par la suite en approfondissant les vagues intuitions que j'ai eues en allant voir jouer et en lisant La Mouette, c'est d'abord, qu'il s'agit d'une transposition de la structure narrative de Hamlet. Tchékhov replace en effet tous les éléments et personnages royaux, aux ambitions politiques grandiloquentes de Shakespeare dans une lointaine province, où les personnages sont de petits bourgeois qui veulent voir leurs noms dans les journaux. C'est une répétition historique ironiquement imaginée dans un horizon médiocre, par un artiste qui s'exprime ainsi cyniquement envers lui-même, exactement comme le font les personnages dans sa pièce.
Ensuite, il n'y a aucun fond dramatique réel, aucun menace matérielle. le devenir, le mouvement, comme dans la logique hégélienne, surgit du mouvement purement verbal de l'être vide au néant et du néant à l'être vide. C'est une pure affaire de langage existant pour lui-même en dehors de l'humanité souffrante à partir de besoins réels et concrets. Tout provient du vide de l'intériorité de pauvres riches êtres campagnards qui désespèrent d'atteindre les standards sociaux qu'ils idéalisent candidement.
Je n'avais pas non plus prêté attention à l'aspect symbolique de la pièce. La Mouette y symbolise pourtant la liberté artistique, qui peut bien voler, mais qui reste toujours à portée de fusil du premier chasseur venu. Ainsi, le personnage de Nina, si heureuse et adorée près de son plan d'eau est abattu inconsciemment par Trigorine. Ce dernier, hanté par son besoin d'écrire, vide de leurs substances les êtres qu'il rencontre et agit de manière si nécessaire et innocente qu'il ne se souvient même pas, à la fin de la pièce, d'avoir demandé à Chamaraïev d'empailler la mouette, alors que titube autour de lui, les restes moribonds de Nina.
Enfin, la vanité existentielle du métier d'écrivain et de l'écriture en général est aussi tellement bien mise de l'avant dans la pièce! le pur talent monstrueux qui ronge l'écrivain, qui le pousse follement à ne vivre que pour et dans son écriture, sans se faire d'illusions sur les qualités de ses efforts, car il a perdu tout contact avec leur valeur réelle depuis des lustres. Tout cela convient tellement à une personne comme Tchekhov qui a écrit 600 oeuvres littéraires (dont La Mouette) entre 1880 et 1903! Son cynisme envers lui-même a quelque chose de vraiment grand et de très touchant.
Comme l'a compris, et exprimé mieux que personne Mallarmé, l'artiste, c'est le guignon « mordant au citron d'or de l'idéal amer »...
Bref, plus j'y pensais et plus je trouvais la pièce géniale. Il y a longtemps que je n'avais pas autant creusé autour d'une oeuvre d'art pour mieux la comprendre et l'apprécier. Je me sens maintenant fin prêt pour y retourner. Quelqu'un veux bien venir avec moi?
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La Mouette est une pièce de théâtre russe écrite par Anton Tchekhov en 1896.
Être, ou ne pas être, c'est là la question. Non, je ne confonds pas Tchekhov avec Shakespeare, bien qu'à un moment donné de la pièce, Hamlet soit cité avec ironie.
Être, paraître, vouloir être, rêver d'être, jouer à être, mais être quoi au juste ?
La mouette est une pièce tragique, bien que traité par moments sur le mode d'une comédie au ton acerbe et grinçant, qui évoque une représentation théâtrale. C'est d'ailleurs ainsi que le rideau s'ouvre, sur la représentation de la pièce écrite par un certain Konstantin Gavrilovitch Tréplev, qui souhaiterait transformer le monde. Rien que ça. Ayant l'ambition de créer une nouvelle forme de théâtre, il veut aussi par cette représentation prouver à sa mère, Irina Arkadina, actrice aujourd'hui sur le déclin, son talent pour la dramaturgie. C'est aussi une pièce qu'il a écrite pour la jeune actrice Nina Zarétchnaïa, qu'il s'apprête à mettre en scène…
On ne sait pas bien ce que raconte cette pièce, on le devine par des bribes de tirades, mais ce n'est pas important. Ce qui est important, c'est qu'elle va déployer les personnages dans une sorte de révélation de leur fragilité mais aussi de leur vacuité. Certains des protagonistes attendent cependant beaucoup du succès de cette pièce pour entrer dans la lumière des autres, celle du public mais celle aussi de l'être aimé, celle dans laquelle ils voudraient exister enfin, être reconnus, se mouvoir à jamais...
Nous sommes dans la Russie de la toute fin du XIXe siècle. Sorine, ancien haut fonctionnaire d'État, nous convie dans sa riche propriété campagnarde. Au fond du parc il y a un lac et devant ce lac se dresse une estrade pour les besoins du spectacle qui va être donné auprès d'un cercle resserré d'invités qui se connaissent...
Le rideau s'ouvre et déjà apparaissent les entrelacs compliqués des uns envers les autres, c'est le théâtre des conflits qui sommeillent au coeur de l'enjeu de cette pièce. Les tensions, les malaises déjà palpables..., le ton est donné durant les premières tirades.
L'enjeu est de taille aussi pour Nina, celle à qui Konstantin a confié un des rôles principaux.
Ici plusieurs histoires d'amour s'entrelacent, vouées à l'échec comme l'existence de beaucoup de personnages. Des histoires d'amour sans retour, sans issue, sans futur...
La vie d'artiste, c'est un peu le miroir aux alouettes, courir après des chimères, c'est l'endroit où l'on voudrait se hisser presque jusqu'au ciel, mais où l'on se brûle les ailes au plus près dans le feu illusoire du succès, tel Icare.
Ce qui domine ici avec cruauté, c'est l'envers du décor, l'illusion, l'envol, le désir de gloire, la déception, les rebuffades de l'amour, la chute...
Très vite, Arkadina, plus sensible à la présence de son amant plus jeune qu'elle, l'écrivain à succès Trigorine, se moque sans détour de cette pièce et du besoin de reconnaissance de son fils…
Personnages au bord de la crise de nerfs, actrices capricieuses, dramaturges dépressifs, bourgeois désabusés, chassés-croisés amoureux dans les vapeurs de l'alcool et les effluves de l'ennui, c'est l'incompréhension des personnages entre eux, le goût du malheur, l'insatisfaction permanente, qui se jouent autour de cette pièce comme un élément catalyseur, dans un drame de l'indécision et de l'inachèvement. Et tout ceci se passe à la campagne !
Dans cette mise en abyme champêtre, chaque personnage nous raconte quelque chose sur l'art et peut-être d'une certaine manière sa vision du monde, sa manière pour se l'approprier. Monter sur scène, passer par l'entremise du théâtre, dire les mots d'un autre pour s'accomplir, n'est-ce pas une façon de fuir la réalité, refuser d'en affronter les exigences ?
Ici, la vie et à la mort s'effleurent et s'opposent, tout comme la recherche d'accomplissement et la solitude la plus accablante. Alors on finit par ne plus savoir à quel endroit se tient le théâtre, sur scène ou dans les coulisses…
Dans La Mouette, les personnages sont terriblement humains, égarés entre leurs regrets et leurs espoirs.
Mais que dire de la mouette, non pas de la pièce mais de l'oiseau ? Car les mouettes, je m'y connais un peu, je les observe évoluant dans le paysage marin qui est un peu le mien aussi, je les reconnais... Ici visiblement il s'agit d'un oiseau sans doute égaré dans ce paysage de campagne russe, à moins que l'océan ne soit guère très loin. Mais justement, cet égarement n'est-il pas la symbolique majeure recherchée par l'auteur pour illustrer le fil narratif qui sous-tend la pièce ?
Cet oiseau va survoler, traverser les tirades, effleurer les jeux d'acteurs et les spectateurs, hanter le propos jusqu'à se fondre dans certains personnages eux-mêmes, les habiter à jamais.
Très vite, Nina s'imagine elle-même en mouette, dès l'acte I.
La mouette symbolise également la vie de Konstantin qui se veut artiste mais dont la gloire lui échappe. Ces personnages fragiles et maladroits sont à l'image de cet albatros que les hommes d'équipage s'amusent à torturer, il ne s'adapte pas au monde, mais ils ont terriblement soif de lui.
Avec « La Mouette », Anton Tchekhov interroge la notion d'art, de création artistique et la condition de l'artiste. Sont-ce ses propres doutes, son rapport au succès, à la modernité qu'il a voulu convoquer dans sa pièce, jouée pour la première fois en 1896 ?
Mais il est possible d'y faire une tout autre lecture plus actuelle, plus intemporelle aussi, évoquant les chimères de notre monde contemporain, cette quête de reconnaissance effrénée, cet amour-propre, cette attention à l'opinion publique, dans une société devenue une sorte de théâtre, chacun ayant toujours à l'esprit le public devant lequel il se présente et le jugement duquel son bonheur dépend. Les réseaux sociaux sont devenus ce théâtre virtuel…
J'ai choisi de lire deux versions de la pièce, éditées aux éditions Babel de chez Actes Sud, la version originale, écrite en 1895 et mise en scène pour la première fois en France par Alain Françon et la version académique toujours jouée depuis 1896, toutes deux dans la nouvelle traduction entreprise par André Markowicz et Françoise Morvan.

« Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. »
Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire
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A priori, il n' y a pas plus russe que cette tragédie des illusions perdues, dans une datcha éloignée de Moscou.

Ennui, désoeuvrement, rêves de gloire. Et vodka. Amours incomprises, art qui sauve ou qui perd. Et vodka...Neige, partie de cartes, coups de fusil. Et vodka.

On retrouve les personnages chers à Tchékhov: intellectuels fatigués, médecins désabusés, comédiennes égocentriques ...

Il y a là Kostia, un jeune dramaturge, épris d'idées nouvelles, Sorine, son vieil oncle, Conseiller d'état, Dorn, un médecin cynique, Medvedenko, homme à tout faire, instituteur pragmatique et amoureux déçu de Macha, une jeune fille de propriétaire, toute pleine de larmes et d'alcool fort , qui aime sans espoir le beau Kostia.

Tout ce petit monde vivote et s'ennuie dans l'attente des arrivées brèves mais spectaculaires de la maîtresse des lieux, la mère de Kostia, Irina Arkadina. Une comédienne égocentrique, étoile un peu pâlie du firmament moscovite, flanquée de son amant, Trigorine. Un écrivain traditionnel, auteur et homme à succès.

La pièce commence par une mise en abyme: Kostia veut représenter, devant sa mère et Trigorine, une pièce d'avant-garde de son cru, entre poésie trash, incantation ténébreuse et provocation littéraire, jouée par sa jolie voisine, la charmante Nina, une toute jeune fille qui brûle d'être distinguée comme une actrice prometteuse par ce public de choix- et de prendre enfin son envol loin de la campagne ennuyeuse , vers la capitale....

La blanche mouette de ce petit lac oublié, qui rêve de pleine mer et de grands espaces..

Comme celle que tue par désespoir le jeune Kostia et qu'il fait empailler.

Mais le spectacle va tourner au drame: Irina a la dent dure avec le spectacle donné par son fils, et Trigorine tombe sous le charme de cette petite Nina , si jeune, si jolie, si fraîche et qui, surtout, l'aime et l'admire tant..

Un nouveau spectacle se déroule alors dans la datcha, déclenché par le premier: Nina va partir à Moscou où elle rejoindra Trigorine, qui, pas fou, se garde bien de choisir entre elle et Irina. Kostia désespère et rate son suicide comme il a raté la conquête de Nina et la représentation de sa pièce..Macha souffre pour lui et boit encore un peu plus..

Le spectacle se déroule sur plusieurs années: on mesure le passage du temps au délabrement moral et physique des personnages: à chacune de leurs retrouvailles, au bord du lac, les personnages perdent ce qui reste de leurs illusions, et bientôt leurs plumes, et parfois la vie...Tout s'émiette tristement et inexorablement..L'âme russe joue toute sa palette de gris...

Tout le monde s' aime à contretemps, on parle d'art pour tromper l'ennui ou pour faire sa cour, la sincérité et la pureté artistiques ne sont pas de mise, presque incongrues, ridicules; on se tire une balle dans la tête et on se rate. Parfois.

J'ai vu trois ou quatre fois La mouette, je l'ai lue aussi, et jamais pourtant elle ne m'a semblé aussi intemporelle et "atopique" que dans la mise en scène de Thomas Ostermeier à l'Odéon et la traduction d'Olivier Cadiot.

Plus de datcha ni de samovar: un espace sobre, avec une grande banquette qui court le long des trois murs gris où sont assis les acteurs, attendant leur tour. Comme dans la vie. Quelques objets transforment la scène en ponton, en chambre, en bureau. Un texte rafraîchi, étoffé de quelques improvisations qui le rajeunissent. On découvre une réflexion impertinente sur le théâtre contemporain et son avant-garde si décalée de toute réalité, presque risible dans ses efforts provocateurs qui deviennent des effets de mode, et une critique pas plus tendre avec les tenants de la tradition théâtrale, si embourgeoisés et prudents. Qui n'enfoncent plus que des portes ouvertes.

Mais derrière cette problématique propre aux gens de théâtre, qui était d'ailleurs celle de Tchékhov, -qui se projetait aussi bien dans le vieil écrivain roublard que dans le jeune dramaturge naïf et maladroit-, il y a toute la tension créée par la situation que ce "théâtre dans le théâtre" provoque, révélant les vertiges existentiels de chacun. L'intensité de la mise en scène met l'émotion à nu. le jeu des acteurs , formidables, fait le reste. A côté d'acteurs chevronnés comme Valérie Dréville, Jean-Pierre Gos ou François Toriquet, excellents, on découvre la présence détachée et froidement analytique du médecin, Sébastien Pouderoux, étonnant - encore un avatar de Tchékhov , médecin lui-même, le troisième dans cette pièce-miroir...aux mouettes! La jeune Benédicte Cerutti fait une Macha toujours au bord des larmes d'une grande justesse. Et puis il y a Matthieu Sampeur qui joue Kostia et Mélodie Richard qui prête sa grâce dansante et fragile au personnage de Nina: un duo bouleversant de jeunesse et de sincérité.

Pendant tout le spectacle, Marine Drillard, une jeune plasticienne en combinaison noire , peint imperturbablement sur le mur de scène , une encre de Chine géante qui évoque très progressivement le lac isolé dans la nature, jusqu' à ce qu'un Ultra Noir, digne des tableaux de Soulages, le fasse disparaître à nos yeux.

Oui, vraiment, la mise en scène de Thomas Ostermeier fait de cette Mouette que je croyais si russe, une pièce intemporelle qui dit le dérisoire de la vie, qui passe trop vite et qui fait si mal quand on est jeune et qu'on la croit pleine de promesses.

Courez à l'Odéon: cette Mouette-là est toute neuve, vous ne l'avez jamais lue, jamais vue voler, jamais vue se brûler les ailes de cette façon..

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C'est un monde, tout de même ! Il y a un décalage flagrant entre ce que je crois que je devrais ressentir en lisant des oeuvres russes telles que celle-ci ou L'accompagnatrice de Nina Berberova, et ce que je ressens effectivement. Ça colle pas.
L'absence d'action, l'absence d'humour (ou alors très énième degré), les personnages concentrés sur leur petite personne et leurs problèmes existentiels ; normalement, là, je fuis.
Mais non en fait. Ici, il y a un rythme dans le déplacement de ces nombreux personnages que j'ai eu du mal à bien identifier (pas évident les noms russes, et ils ont des diminutifs, en plus). Pourtant, la scène les limite à une zone spatiale plutôt étroite, mais ils peuvent entrer, sortir à leur guise ; il n'y a pas de découpage en scène qui entraine une coupure, seulement une continuité. Il y a aussi un rythme dans la traduction du texte russe qui apporte une certaine forme d'exotisme, de parler français qui étonne.

Toute « l'action » de la mouette se passe sur la propriété campagnarde de Piotr Nikolaievitch Sorine, dans un endroit différent selon l'acte : ici un salon, là un coin du parc… Des personnages liés par des liens familiaux, des liens de travail ou d'amitié (voire) se croisent, se parlent, jouent ensemble, mangent ensemble. Pourtant, chacun semble enfoncé dans sa propre détresse, n'écoutant le voisin que d'une oreille. La solitude de chacun, quand elle s'exprime, est suffocante. La détresse peut être amoureuse, un dépit professionnel, un regret. L'instituteur Medvedenko, d'une nature plutôt optimiste, veut se marier avec Macha qui traine son désespoir jusque dans ses habits éternellement noirs. Macha ne vit que pour Treplev qui ne la voit pas. Treplev est fou dingue de Nina qu'il ne parvient pas à retenir. Il est désabusé par l'absence de compréhension du public envers ses nouvelles ou ses pièces de théâtre abstraite. C'est d'autant plus douloureux quand il s'agit de l'opinion de sa mère, Irina, ancienne actrice qui ne comprend pas plus que les autres les oeuvres de son fils. Il y a de l'Oedipe là-dedans.
Nina idéalise le monde des écrivains et des artistes qu'elle dessine comme des dieux. Elle ne peut que tomber amoureuse de l'écrivain Trigorine qui cède un temps à sa jeunesse. Confrontée à la routine du métier d'actrice, elle verra s'écrouler ses illusions et germer ses regrets. Trigorine est « arrivé », dans un sens. Il a « réussi ». Mais il sait qu'il ne sera jamais qu'un médiocre qui ne soutient pas la comparaison avec un Tolstoï.
Irina vit dans son passé. Son frère Sorine regrette ses actes manqués. Son médecin est blasé de l'attirance qu'il a toujours provoquée chez les femmes, et trouve que soigner un vieux comme Sorine, si près de la tombe, n'a pas vraiment de sens.

C'est gai, pas vrai ? Pourtant, il y a des contrastes. Les conversations mondaines, les sujets superficiels qui permettent de faire diversion des affres de chacun, sont rafraichissants. le parc et le lac sont reposants. Il y a aussi beaucoup de culture européenne chez ces gens qui emploient de nombreuses expressions « en français dans le texte », évoquent Hamlet et rappellent que Maupassant détestait la tour Eiffel.
Et La mouette alors ? Que vient-elle faire dans cette galère ? Je me le demande encore. Analogie vivante d'une personne aimée qui se veut libre, et que l'on tue pour se l'attacher ? Animal empaillé pense-bête pour une histoire que l'on pourrait écrire ? Je ne sais, je ne sais plus, je suis perdu…
Bon ben je vais faire comme l'oiseau alors. Conclusion qui ne veut rien dire, mais je trouve que ça sonne bien.
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La diversité des grands auteurs russes ne cessera jamais de m'éblouir.
Pour Tchekov, que je découvre un peu plus après Oncle Vania, c'est sa modernité qui m'interpelle de nouveau. Modernité de ton, de moyens avec une scénique très épurée et des thèmes abordés dans La Mouette que, si j'avais découvert le texte sans connaître l'auteur et la date, j'aurais placé dans l'univers littéraire de l'entre deux guerres, voire aujourd'hui tant les sujets sont éternels : la soif de notoriété, le feu intérieur qui consume les artistes véritables opposé à la tiède médiocrité des compositeurs médiatiques, l'indolence méprisante des nantis, l'adultère, la violence des amours malheureuses... une richesse sidérante dans une pièce courte et percutante dont il faut je pense plusieurs lectures pour en faire le tour.
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Tchekhov nous entraîne dans l'univers des artistes, ces hommes qui deviennent presque des dieux lorsqu'ils exercent leur art, ils charment, ils fascinent, ils embarquent leurs fans dans des rêves dans lesquels ils s'imprègnent d'eux, de là, ils sortent émerveillés, et parfois perdus qu'on ne sauraient croire que les artistes ne sont que des hommes, capables de toutes les folies, assurément de manière outrée. Dans la plupart des pièces de Tchekov, le mouvement entre les personnages est quasi inexistant, par contre la force de sa dramaturgie se trouve dans chaque personnage qui constitue en lui-même le mouvement, représentant bien souvent chaque revers de la société. Parfois on croit qu'il ne se passe rien alors qu'il s'est passé beaucoup de choses, et qu'on retrouve des phrases du genre: "Je porte le deuil de ma vie" dans l'une des tirades de Macha, une jeune fille de 22 ans. Cette phrase dénote à elle seule le déséquilibre d'une vie familiale et les chagrins d'une vie amoureuse...
Tchekov nous parle de lui, de ses nuits hantées par des inspirations envahissantes, des remords de son défi personnel à chaque nouvelle création, de cette prison dans laquelle il a peur de mourir chaque jour...une belle pièce! J'ai savouré chacune de ses phrases!
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Une grande et belle demeure en pleine nature, une forêt, un lac.

Difficile pour Konstantin, jeune dramaturge en herbe, de vivre à l'ombre d'Irina sa mère, une comédienne célèbre adulée dans tout le pays.

Difficile comparaison avec Trigorine, l amant maternel, un écrivain à qui tout réussit.

Ce soir Konstantin présente la pièce qu'il a écrite pour Irina, une jeune comédienne dont il est amoureux. Ce soir c est l'avenir du jeune homme qui se joue.

Ce soir Konstantin recevra-t-il enfin la reconnaissance et l'amour d'une mère qu'il aime autant qu il redoute.

Irina cette mère mal-aimante incapable de reconnaitre le talent de son fils.
Ce soir comme tous les soirs, dans cette maison au bord du lac, l'Art est la chose la plus importante, tant pis pour les êtres humains qui souffrent d'absence d amour et de reconnaissance.

La nuit, la lune, le lac.

Semion, aime Macha qui aime Konstantin, qui aime Nina qui regarde Trigorine, qui aime Irina qui elle, n'aime personne...
La pièce de Tchekhov jouée dans le monde entier depuis sa création en 1896 est un kaléidoscope théâtral un classique incontournable du théâtre mondial qui inspira des cinéastes aussi divers que Sydney Lumet, Woody Allen, ou Claude Miller...


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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J'ai adoré ce texte de Tchekov, qui arrive si bien à dépeindre, à la fois, les sentiments qui étreignent ceux qui aiment qui ne les aiment pas, mais également et surtout cette indifférence et cet autocentrisme de ceux qui courent après la gloire des feux de la rampe ou d'une bonne critique dans un journal.

Cette mouette, quelque peu improbable, oiseau de mer en pleine campagne, certes près d'un lac poissonneux, symbolise parfaitement cette possibilité d'envol qu'un coup de fusil suffit à abattre.

Assurément, le texte, ici dans sa version originale, pêche par la difficulté de traduction de la langue russe, mais les traducteurs n'en ont pas moins réussi un tour de force car je suis totalement entrée dans la beauté mélancolique qui fait le charme à mes yeux du théâtre de Tchékov.

Et puis, peut-on toujours expliquer un coup de coeur pour une lecture qui correspond sans doute à ce que vous aviez envie ou besoin de lire juste là, en ce moment !
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