Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'orPacôme Thiellement
Massot Éditions, 16 janvier 2020
Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'or de
Pacôme Thiellement est un récit initiatique nourri des souffrances de l'auteur, en amour, en amitié, professionnellement, politiquement, dans le milieu familial, dans son corps, sa sexualité, ses voyages hors du corps, dans ses rêves et cauchemars … souffrances provoquées par ce paradoxe : nous aimons ce que nous n'aimons pas, nous voulons ce que nous ne voulons pas, nous savons ce que nous ne savons pas... ; nous sommes complètement à l'ouest, complètement à côté de la plaque, nourrissant les riches, les politiques, les célébrités, les journalistes main-stream qui nous chient dessus et nous bouffent et avec nous, les animaux, les végétaux, la Terre, en bouffant leur bouffe industrielle et empoisonnée, en allant voter, manifester, en regardant leurs émissions débiter leurs mensonges, en les enviant tout en leur en voulant. Focalisés sur ce qu'ils nous présentent, proposent, nous passons à côté de l'essentiel, notre pouvoir, le pouvoir d'aimer ce que l'on aime, de vouloir ce que l'on veut, de savoir ce que l'on sait, de faire ce que l'on fait, d'être ce qu'on est. S'appuyant sur
l'art de la guerre de
Sun Tzu, sur les 36 stratagèmes (Traverser la mer sans que le ciel le sache, Assiéger Wei pour secourir Zhao, Assassiner avec une épée d'emprunt, Attendre en se reposant que l'ennemi s'épuise, Profiter de l'incendie pour piller et voler, Bruit à l'est / attaque à l'ouest), sur les textes de la bibliothèque Nag Hammadi, découverts en 1945, écrits gnostiques fondant ce qu'il appelle la révolution gnostique ou
La Victoire des Sans Roi (titre paru aux PUF en 2017), il décrit comment petit à petit, il s'est construit comme un guerrier d'un type particulier parce que le bonheur est un art de la guerre mené pour devenir comme dit Krishnamurti, mais aussi l'ami
Marcel Conche dans son dernier livre La nature et la beauté p.30-31, indifférent, je me fiche de ce qui peut arriver, apprendre à « se foutre des choses sans cynisme, sans désespoir, avec une gentillesse sincère, une générosité authentique, une bienveillance totale » (pour Marcel, la bonté est la vertu suprême p.31), que cela arrive dans le monde ou nous arrive, rupture d'amour, d'amitié, échec professionnel, fin du monde en cours, politique du désastre et du chaos... ; sur fond de ce détachement, de cette indifférence peut se développer notre capacité à transformer, à transmuter la crasse en or ; un échec amoureux étant transmuté en amour de l'Amour (c'est moi qui brode), de multiples non-bandaisons ou troubles de l'érection étant transmutées en accueil de la part féminine (voilà une dimension qui semble avoir échappé à Pacôme, je la lui signale), des trahisons d'amitié étant transmutées en vigilance (de quels amis ai-je vraiment besoin, très rares nécessairement ; là encore, une dimension me semble lui échapper, la nécessaire solitude tendant vers le silence / apprendre à fermer sa gueule / Pacôme est pour le moment intarissable)... L'arme du combat avec et contre le monde du miroir, le monde du Démiurge, le monde de la culpabilité, de la participation à la mise à mort du vivant (entendre les cris des animaux conduits à l'abattoir devrait suffire à nous faire renoncer à la viande, manger cette vie violentée puis transformée en mal bouffe c'est accepter de devenir viande violentée à son tour), de la vie dont la nôtre, c'est le boycott, en premier de la télé, éteindre sans chercher à justifier, à sauver quelques émissions, boycott de la viande, de la mal bouffe, boycott du vote et de tout combat soi-disant politique ; ne pas ajouter de la violence à la violence ; non-violence, désobéissance.
Dans ce récit très intime, convoquant de grandes traditions spirituelles et guerrières, il y a deux moments particulièrement forts et émouvants, la mort de sa chatte, Yume et celle de son père. Par le fait de les avoir vus, après leur mort, il est amené à donner une interprétation de l'expression « ressusciter dans la vie ». Dans l'évangile de Philippe, Jésus dit « ceux qui disent qu'on va mourir et ressusciter ensuite sont dans l'erreur ; celui qui n'est pas ressuscité avant de mourir ne connaît rien et il mourra. » Il continue de parler à sa chatte, avec son père ; ce dialogue vivant avec les morts est l'occasion si on aime ceux qu'on aime de transmuter la souffrance du deuil en amour car ce que les morts nous transmettent, c'est de l'amour, ils sont devenus amour, force agissante, de l'or.
Pacôme Thiellement a 45 ans. Son univers est foisonnant, ses références surprenantes ; c'est un enfant de certaines BD, de Twin Peaks, des Beatles ; c'est un touche à tout, musique, écriture, cinéma. Il a une bonne pratique des réseaux, de certains médias, pas main-stream, il sait faire parler et parler de ce qu'il fait. Son livre me propose une vision du monde et de ce que nous pouvons y faire qui ne correspond pas à ce que je suis devenu avec presque 35 ans de plus mais à celui que j'ai été, un guerrier pour ce qui me semblait juste, que ce soit comme professeur de philosophie ou comme directeur d'un projet artistique ou comme citoyen engagé dans la vie publique (jusqu'en 2008). le projet de transformer la merde en or, la crasse en or, la boue en or (
Baudelaire dans l'épilogue de
Mon coeur mis à nu) suppose d'abord de croire que le monde est de la merde (je l'ai cru jusqu'à il y a peu, l'arrivée de mic€on, de trump, bolsonaro au pouvoir me renforçant dans mon dégoût de ce monde mais je ne vois plus les choses ainsi; arrivés au pouvoir par des élections, ils y sont avec le soutien des gens les ayant choisis; les souffrances infligées au corps social, à la planète, volontaires, peuvent, doivent être conscientisées individuellement et collectivement pour une élévation de conscience), suppose ensuite un changement de regard, un changement de vision, une exégèse de la vie, de sa vie met l'accent sur un combat, le bonheur est un sport de combat, la justice, l'égalité sont des sports de combat avec leurs règles, leurs objectifs...
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