Récits ultimes de Olga
Tokarczuk
Mon histoire avec
Olga Tokarczuk a connu des hauts et des bas. Tout a commencé par une rencontre ratée.
En mars 2011, j'ai lu
Les Pérégrins et j'écrivais dans une critique rédigée à l'époque :
« J'ai enfin fini
les Pérégrins de Olga Okarczuk. Quel soulagement, je comptais les pages restantes….
Je vais être de très mauvaise foi mais même sa première phrase est plate : « J'ai cinq ou six ans »
Pour un roman sur le voyage (ou plutôt sur les gens qui voyagent) je ne peux pas dire qu'il m'ait vraiment transporté (dans le sens de ravie)… J'ai failli laisser tomber au bout de 50 pages.
Ce roman est une suite de personnages différents ayant en commun le fait qu'ils voyagent, et l'intérêt, plus ou moins prononcé, pour la plastination (technique d'embaumement du corps humain / animal). Certains de ces personnages apparaissent, disparaissent, on ne sait pas trop pourquoi. Cela peut être des voyages temporels (retour historique) et géographiques.
J'ai aimé cette Polonaise immigrée aux antipodes, par contre les autres m'ont souvent laissé indifférent. C'est poussif. J'y ai retrouvé l'idée de l'Homme qui parle de Llosa dans cette secte russe qui doit voyager pour ne pas se laisser emporter par l'adversité. Mais franchement cela n'a pas l'intérêt d'un Llosa.
Mme Olga Okarczuk, je ne vous relirai pas. »
En 2019, avec ma mémoire de poisson rouge, je ne me souviens pas avoir déjà lu
Olga Tokarczuk. On m'offre à Noël son livre : « sous les ossements des morts ». Ce roman deviendra mon coup de coeur de 2020. Il faut signaler que ce roman est très différent des Pérégrins. Une sorte de roman policier, une sorte de traité philosophique, écologique, un ouvrage vraiment en dehors des sentiers battus. Un style superbe. Bref en 10 ans je passe de « Beurk » à j'adore…
Cette année, je réitère mes lectures de Mme
Tokarczuk. Cette fois je lis «
Récits ultimes ». Un roman en trois parties. Une histoire de femmes à travers 3 générations.
Dans le premier récit, c'est l'hiver en Pologne. Ida est sur la route pour revoir la maison de ses parents décédés. Elle a un accident et se retrouve hébergée dans une vieille maison avec un couple de personnes âgées. Ces personnes âgées abritent / accueillent des animaux qui vont mourir. Ida est hypocondriaque. Elle appréhende la mort. Durant ce séjour forcé, elle va se remémorer ses parents et son couple. La description de son accouchement dans la Pologne communiste, m'a rappelé le récit d'une de mes ex-collègues. La chute de cette partie est… intrigante.
Dans le second récit, on découvre Parka (diminutif de Paraskewia). Parka est vieille. Elle vit en Pologne mais est née en Ukraine. Elle a épousé un Polonais dans l'Ukraine d'avant la guerre. Envahi par les russes et les Allemands, elle va devoir fuir avec ce mari, Pétro, le père de Ida. Parka a eu une vie difficile, faite de malheurs, de fuites, de renoncements. Mais étrangement cette partie est sans doute la plus« allègre » des trois. Car si Parka raconte ses souvenirs, et dieu qu'ils sont tristes ses souvenirs, elle le fait de façon truculente. Et cette femme qui est morte lorsque les deux autres récits sont écrits, est la plus vivante des trois. Et la fin de cette partie est… exclamative.
Dans le dernier récit, Maya, fille unique d'Ida et unique petite fille de Parka est en voyage avec son fils en Malaisie. Elle rédige des guides de voyage. Elle sort d'une mésaventure amoureuse dont on ne sait que peu de choses. La plus grande partie de ce récit se passe dans une île sans doute pas aussi paradisiaque que les photos peuvent le laisser penser. Maya et son fils de onze ans vont côtoyer différents clients de cet hôtel. Il semble que le nom de ce fils ne soit jamais mentionné. Un magicien, en fin de vie, va fasciner le fils de Maya mais cela n'est pas du gout de sa mère. Cette partie, comme les trois autres, termine par un mort… et comme dans les trois autres partie, cette mort est libératrice.
Plus que l'histoire ou les histoires, c'est le style qui m'a emporté. Quelle splendide écriture. Madame
Tokarczuk, dix ans après, je vous lirai et relirai avec un grand plaisir. J'espère que notre histoire commune, dont vous n'aurez jamais connaissance, se poursuivra longtemps.
Pour vous donner un aperçu de ce style, voici deux extraits. le second est à la fois drôle et déchirant.
« Nous devrions créer des associations qui assisteraient les mourants et aussi fonder des écoles pour apprendre à mourir, pour éviter, ne serait-ce qu'une dernière fois dans la vie, de commettre des erreurs irréparables. Il devrait y avoir des travaux pratiques avec démonstrations. En cours de gym, par exemple, on devrait apprendre à s'exercer à mourir ; comment s'enfoncer tout doucement dans les ténèbres, comment perdre connaissance et comment garder un maintient irréprochable dans le cercueil. On ne manquerait pas de volontaires pour mourir en direct devant l'objectif d'une caméra, histoire de tourner des films éducatifs sur la question. Cette formation devrait aussi aborder le problème de la mort sous un angle ethnographique et historique afin qu'on sache comment elle était perçue dans les temps anciens, quelle idée on s'en faisait alors, pourquoi elle était représentée tantôt sous les traits d'une femme, tantôt sous ceux d'un homme et surtout – question essentielle, où l'on va après la mort, si tant est que l'on aille quelque part. de même que l'on passe un examen de biologie au baccalauréat, de même on devrait en passer un en thanatologie, assorti de tests pour valider chaque semestre et de notes sur le certificat de fin d'études. » P63 et 64.
« Il y a une chose qui me tarabuste depuis longtemps : comment se fait il qu'on puisse voir une chose tout à fait différemment que les autres ne la voient ? Pourquoi le regard que nous portons sur les choses et les faits différent selon la personne qui les regarde ? Comme si chacun regardait le monde à travers un filtre. Comment alors se mettre d'accord à propos du passé ? Et même si l'on décidait de laisser de coté le passé, le jugeant trop compliqué, trop embrouillé, histoire d'adopté une seule et unique version des faits, commune à tous, cela ne résoudrait pas pour autant le problème du présent. Lui aussi est soumis à la loi du filtrage. On a beau regarder la même chose, chacun y voit autre chose. C'est en lisant les journaux du lendemain qu'on apprend ce que l'on a réellement vécu la veille. Pour nous, c'est après coup que des gens savants nous ont expliqué dans leurs gros bouquins pourquoi nous avions dû plier bagage et vivre ces adieux déchirants. Nous, à l'époque, on l'ignorait. Les journaux et la télévision qui détiennent le privilège de régir l'ordre du monde se substituent à nous et fixent le sens de chacun de nos faits et gestes, de chacune de nos décisions. » p171