La fanfare des grenouilles

C'est le genre d'album qu'on a tout de suite envie d'avoir sous la main sans tarder, d'ouvrir, de lire, dès qu'on voit la couverture, sans compter que les critiques sont dithyrambiques.


Dans la forme, c'est très bien maîtrisé : du petit format qui plaira aux tout petits (même si c'est un peu court, quand même), aux très jolis dessins dotés de superbes couleurs, dont la variété de tons bleu-vert font ressortir l'utilisation plus parcimonieuse du blanc et du rouge, au découpage qui colle parfaitement à la narration, tout est réussi. Car ces grenouilles qui forment une fanfare pour chasser la pluie ne perdent jamais le rythme, toujours vaillant, toujours musical. Tout est fait, avec les "Ouste la pluie, ouste !" (ça me rappelle la chanson des rizières à la fin des Sept samouraïs...) qui reviennent en un refrain entraînant, pour que les parents poussent la chansonnette accompagnés de leurs enfants - ou l'inverse - en lisant cette histoire d'animaux déterminés formant au final un orchestre de bonne humeur.


Là où j'ai un souci, c'est sur le fond. Bon, déjà, des grenouilles - pas une, pas deux, pas trois, mais toutes - qui détestent la pluie, j'ai pas trouvé que ça collait bien avec la nature des choses. Mais ce qui m'ennuie franchement, c'est cette habitude de dénigrer la pluie - beaucoup d'albums jeunesse existent sur ce thème - à une époque où le manque de pluie devient patent y compris dans les pays tempérés. On pourrait mettre ça sur le compte d'un manque flagrant de conscience écologique de l'auteure, ou encore d'un manque flagrant de conscience écologique de la majorité des Japonais, ou mieux, d'un manque flagrant de conscience écologique de l'humanité dans son ensemble. Sauf que Tone Satoe a commis, un an avant La fanfare des grenouilles, Une si jolie Terre, album consacré à l'écologie. Donc j'imagine qu'elle est juste partie avec une idée de départ à contre-courant, celle de grenouilles en ayant marre de la pluie, qu'elle a pensé à l'époque où elle habitait au Japon et où elle avait l'habitude de la saison des pluies, et qu'elle ne s'est pas posé plus de questions que ça, se concentrant sur son histoire. Oui mais non. Je vais passer pour une chieuse, mais c'est faire passer un message anti-pédagogique au possible auprès d'enfants très jeunes, qui constituent son public partout dans le monde (Tone Satoe vit et travaille en Italie, je le rappelle). L'idée que la pluie, c'est obligatoirement chiant, il faut arrêter avec ça. De toute urgence. J'en ai assez de voir des présentateurs de la météo française annoncer qu'il va faire très beau le lendemain (29° au mois de mai, c'est pas très beau, c'est très inquiétant), pour ensuite pleurer sur les ravages de la canicule quelques semaines plus tard ; alors c'est pas pour lire des albums jeunesse tout mignons qui dénigrent la pluie. Nan, nan, nan. Le pire, c'est qu'il n'aurait pas fallu changer grand-chose à l'album pour qu'il évite juste l'écueil de "La pluie, c'est trop nul".


Vous me direz que les enfants qui lisent La fanfare des grenouilles aujourd'hui, ou l'ont lu il y a quelques années, vont sûrement voir les choses autrement très bientôt. Et retrouvant leur vieil album à l'âge adulte, ils seront peut-être étonnés du manque de lucidité et de la naïveté des auteurs du début du XXIème siècle.