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Citations sur Le Roi des Aulnes (187)

_ Le dressage, commença Pressmar, est une entreprise incomparablement plus belle et plus subtile qu'on ne croit communément. Le dressage consiste pour l'essentiel à restituer à l'animal son allure et son équilibre naturels, compromis par le poids du cavalier.
« Comparez en effet la dynamique du cheval et celle du cerf par exemple. Vous verrez que toute la force du cerf est dans ses épaules et dans son encolure. Au contraire, toute la force du cheval est dans sa croupe. Et les épaules du cheval sont fines et effacées, tandis que la croupe du cerf est maigre et fuyante. Il est vrai d'ailleurs que l'arme du cheval est la ruade qui part de la croupe, alors que celle du cerf est le coup d'andouiller qui part de l'encolure. Lorsqu'il se déplace, le cerf se tire en avant. C'est une traction avant. Le cheval à l'inverse se pousse de derrière avec sa croupe. En vérité, le cheval est une croupe avec des organes par-devant qui la complètent.
« Or que se passe-t-il quand un cavalier enfourche sa monture ? Regardez bien sa position : il est assis beaucoup plus près des épaules du cheval que de sa croupe. En fait les deux tiers de son poids sont portés par les épaules du cheval qui sont justement, comme je l'ai dit, faibles et légères. Les épaules ainsi surchargées se contractent, et leur raidissement gagne l'encolure, la tête, la bouche, cette bouche dont la douceur, la souplesse, la sensibilité font toute la valeur du cheval de selle. Le cavalier a entre les mains un animal déséquilibré et contracté qui n'obéit plus que grossièrement à ses aides.
« C'est alors qu'intervient le dressage. Il consiste à amener progressivement le cheval à reporter autant que possible le poids du cavalier sur sa croupe, afin de soulager les épaules. Et pour cela à s'asseoir davantage sur ses membres postérieurs, à les engager sous lui aussi loin que possible en avant, bref, pour employer une comparaison dont il ne faudrait pas abuser, à prendre modèle sur le kangourou dont tout le poids repose sur les membres inférieurs, tandis que les pattes de devant demeurent libres. Par divers exercices, le dressage s'efforce de faire oublier au cheval le poids parasitaire du cavalier, et de lui rendre son naturel en poussant l'artifice jusqu'à son point de perfection. Il justifie une anomalie en instaurant une organisation nouvelle où elle trouve sa place.
« Ainsi l'équitation qui est l'art de régir les forces musculaires du cheval consiste principalement à s'assurer la maîtrise de sa croupe où elles sont rassemblées. Les hanches doivent dévier sous la plus légère pression du talon, les masses fessières doivent avoir cette flexibilité moelleuse qui leur donne la diligence dont dépend tout le reste. »
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Le 3 octobre Hitler annonça au monde dans un discours au Palais des Sports de Berlin le déclenchement de l'opération Typhon qui devait faire tomber Moscou et anéantir définitivement l'Armée rouge. Et de nouveau, le pays fut sillonné par un afflux d'hommes et de matériel, des hommes de plus en plus jeunes, un matériel de plus en plus perfectionné, jetés pêle-mêle dans l'immense fournaise de la bataille. Aussi quand les premiers oiseaux migrateurs commencèrent à passer très haut contre les nuages gris, en gémissant, Tiffauges pensait, la gorge serrée, à toute cette jeunesse fauchée dans sa fleur, et il lui semblait que c'était les âmes des tués qui fuyaient là-haut, esseulées, effrayées par le mystère de l'au-delà, pleurant cette terre familière et maternelle qu'ils avaient eu si peu le temps d'aimer.
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Lorsque je divague par les rues dans ma vieille Hotchkiss, ma joie n'est vraiment complète que si mon rollei pendu en sautoir à mon cou est bien calé entre mes cuisses. Je me plais ainsi équipé d'un sexe énorme, gainé de cuir, dont l’œil de Cyclope s'ouvre comme l'éclair quand je lui dis « Regarde ! » et se referme inexorablement sur ce qu'il a vu. Merveilleux organe, voyeur et mémorant, faucon diligent qui se jette sur sa proie pour lui voler et rapporter au maître ce qu'il y a en elle de plus profond et de plus trompeur, son apparence ! Grisante disponibilité du bel objet compact et pourtant mystérieusement creux, balancé à bout de courroie comme l'encensoir de toutes les beautés de la terre ! La pellicule vierge qui le tapisse secrètement est une immense et aveugle rétine qui ne verra qu'une fois – tout éblouie – mais qui n'oubliera plus.
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Dès les premières salles, il manifeste une étonnante familiarité avec les œuvres exposées et me mène tout droit au David de Guido Reni qu'il se propose de photographier. Ce gros garçon plein de jactance et de jobardise, la joue vaste, l’œil bel et sans malice, coiffé d'un absurde chapeau à plumes, serré à grand-peine dans une peau de bête, comment a-t-il pu gagner le cœur d'Étienne ? À travers les explications un peu confuses qu'il me donne, je crois comprendre que ce David incarne aux yeux d'Étienne la race très fascinante de ceux qui n'ont jamais douté de rien. Étienne a découvert cela ! Il y a des êtres limités, d'une beauté éclatante mais sans prolongement et, soyons francs, qu'on aurait tout lieu de mépriser s'ils ne nous offraient le spectacle d'une adaptation sans défaut à l'existence, d'une adéquation miraculeuse de leurs désirs et des choses à leur portée, de leurs paroles et des questions qu'on leur pose, de leurs capacités et de la profession qu'ils exercent. Ils naissent, vivent et meurent, comme si le monde avait été fait pour eux et eux-mêmes pour le monde, et les autres – les douteurs, les troublés, les indignés, les curieux, Étienne, moi – les regardent passer et s'émerveillent de leur naturel.
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En vérité je m'acquitte de mes fonctions – comme j'ai été soldat, comme j'ai eu des femmes, comme je paie mes impôts – en homme éteint, en somnambule, rêvant sans cesse d'un éveil, d'une rupture qui me libérera et me permettra d'être enfin moi-même. Cette rupture, ce n'est plus assez dire que j'en rêve. Je l'ai dit, le masque tremble sur ma face. Et il y a surtout cette main gauche, première émergence du nouveau Tiffauges, qui écrit, depuis maintenant trois mois, des choses neuves avec des mots que n'aurait pas trouvé à coup sûr mon écriture adroite. Il y a du printemps dans l'air. Du printemps, du dégel, de la débâcle...
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En réalité notre société a la justice qu'elle mérite. Celle qui correspond au culte des assassins qui fleurit à la lettre à chaque coin de rue, sur les plaques bleues où sont proposés à l'admiration publique les noms des hommes de guerre les plus illustres, c'est-à-dire des tueurs professionnels les plus sanguinaires de notre histoire.
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_ J'ai planté toutes mes graines dans ce petit corps. Il faudra que tu cherches un climat favorable à leur floraison. Tu reconnaîtras la réussite de ta vie à des germinations et à des épanouissements qui te feront peur.
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C'est comme ce prénom d'Abel qui me semblait fortuit jusqu'à ce jour où les lignes de la Bible relatant le premier assassinat de l'histoire humaine me sont tombées sous les yeux. Abel était berger, Caïn laboureur. Berger, c'est-à-dire nomade, laboureur c'est-à-dire sédentaire. La querelle d'Abel et de Caïn se poursuit de génération en génération depuis l'origine des temps jusqu'à nos jours, comme l'opposition atavique des nomades et des sédentaires, ou plus précisément comme la persécution acharnée dont les nomades sont victimes de la part des sédentaires. Et cette haine n'est pas éteinte, bien loin de là, elle se retrouve dans la réglementation infâme et infamante à laquelle les gitans sont soumis – on les traite comme des repris de justice – et elle s'affiche à l'entrée des villages par les pancartes « Stationnement interdit aux nomades ».
Il est vrai que Caïn est maudit et son châtiment, comme sa haine pour Abel, se perpétue également de génération en génération. Maintenant, lui a dit l’Éternel, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Quand tu cultiveras la terre, elle ne te donnera plus ses fruits, tu seras errant et fugitif sur la terre. Voilà donc Caïn condamné à la pire des peines ses propres yeux : il doit devenir nomade comme l'était Abel. Il a des paroles de révolte contre ce verdict, et d'ailleurs il n'obéit pas. Il se retire loin de la face de l’Éternel, et là, il construit une ville, la première ville, qu'il appelle Hénoc.
Eh bien, j'affirme que cette malédiction des agriculteurs – toujours aussi endurcis contre leurs frères nomades – nous la voyons s'exercer de nos jours. Parce que la terre ne les nourrit plus, les culs-terreux sont obligés de plier bagage et de partir. Par milliers, ils errent d'une région à l'autre – et on savait au siècle dernier qu'en faisant d'une certaine sédentarité l'une des conditions de l'exercice du droit de vote, on excluait du corps électoral une masse fluctuante importante, et en principe mal-pensante, parce que déracinée. Puis ils se fixent dans des villes où ils forment la population prolétarienne des grandes cités industrielles.
Et moi, caché parmi les assis, faux sédentaire, faux bien-pensant, je ne bouge pas certes, mais j'entretiens et je répare cet instrument par excellence de la migration, l'automobile. Et je prends patience parce que je sais qu'un jour viendra où le ciel, lassé des crimes des sédentaires, fera pleuvoir le feu sur leurs têtes. Ils seront alors, comme Caïn, jetés pêle-mêle sur les routes, fuyant éperdument leurs villes maudites et la terre qui se refuse à les nourrir. Et moi, Abel, seul souriant et comblé, je déploierai les grandes ailes que je tenais cachées sous ma défroque de garagiste, et frappant du pied leurs crânes enténébrés, je m'envolerai dans les étoiles.
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Plus nous avançons dans le temps, plus le passé se rapproche de nous.
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Par la photographie, l'infini sauvage devient un infini domestique (...)
Car il est clair que la photographie est une pratique d'envoûtement qui vise à s'assurer la possession de l'être photographié. "
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