Ces haines dans les Cévennes
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Les silences,
Rose Tremain
Par Bruno Corty
09/06/2010 | Mise à jour : 18:04 Réagir
Les silences de
Rose Tremain - La grande romancière anglaise s'est essayée au thriller. Une réussite.
Rose Tremain a toujours dit que ses romans naissaient d'une image. Celle qui a servi de détonateur aux Silences vient du Boucher de
Claude Chabrol, dans lequel un plan montre «une goutte de sang sur une baguette». L'Anglaise a été marquée par cette histoire au point de s'inspirer du nom de la comédienne
Stéphane Audran pour imaginer le prénom de l'une de ses héroïnes, Audrun.
Autre source d'inspiration pour ce roman très sombre, le souvenir cuisant d'un séjour dans les Cévennes, région qu'elle découvrit il y a des années avec son premier mari. «Après une promenade, nous avons retrouvé notre voiture vandalisée et toutes nos affaires avaient disparu.» Ce qui ne l'a pour autant pas dégoûtée de l'endroit puisqu'elle a fini par y acheter, avec son second mari cette fois, une maison où elle passe ses étés. Comme beaucoup d'Anglais, elle aime ce pays à la beauté rude, inquiétante, où tout peut basculer d'un instant à l'autre. «Le soir, par exemple, j'évite de regarder trop longuement le ciel; son immensité me donne des frissons.»
Au début du roman, alors que ses camarades se réjouissent de pique-niquer dans la nature, une élève fait bande à part. Souffre-douleur des autres, elle prend la tangente et disparaît dans un cri. On ne saura ce qui lui est arrivé qu'à la fin de l'histoire. «Je voulais savoir si j'étais capable d'écrire un thriller», confie la romancière. On la rassure : le mélange du psychologique et du policier place
Les Silences au niveau des meilleurs
Ruth Rendell.
Les fêlures des hommes
Cette histoire tordue à souhait fonctionne à merveille parce que les personnages, fouillés et complexes, ne sont jamais caricaturaux. Touchante, Audrun, la vieille fille, souffre d'un mal ancien et de la proximité de son frère Aramon, alcoolique et pervers. Ce dernier s'est mis en tête de faire beaucoup d'argent en se débarrassant du mas familial quitte à mettre dehors sa soeur, qui vit dans une bicoque sur le même terrain. Agaçant mais touchant aussi, Anthony Verey, antiquaire londonien dont les affaires subissent de plein fouet la crise. Refusant toute forme de déclin, cet esthète rêve d'un possible nouveau départ, ailleurs, en France, tout en sachant qu'il est peut-être déjà trop tard. Pour l'aider à rebondir, il peut compter sur Veronica, sa grande soeur, paysagiste qui prépare un ouvrage sur l'arrosage des jardins dans le sud de la France. Elle partage sa vie avec Kitty, une femme sans grâce ni talent, qui redoute toute intrusion dans leur couple.
Rose Tremain précipite ces êtres fragiles les uns contre les autres comme on frotte deux pierres pour faire des étincelles. Pas par sadisme mais pour en tirer des émotions nouvelles. Si les vieilles demeures ont des failles, semble-t-elle dire, les hommes ont des fêlures. le temps qui passe, la solitude les terrifie. Et le souvenir de leurs morts les hante.
En 1983, la revue Granta avait désigné les meilleurs romanciers anglais du moment:parmi eux,
Ian McEwan,
Martin Amis,
William Boyd et une certaine
Rose Tremain. Vingt-sept ans plus tard, l'auteur du Don du roi (dont elle prépare la suite) est toujours là, au sommet.
Les silences de
Rose Tremain traduit de l'anglais par Claude et
Jean Demanuelli, Editions Lattès, 398 p, 20,50 €.
Par Bruno Corty
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