Dix ans de séparation avaient fait d'elle une très vieille femme, dix ans déjà, qu'un soir, le petit s'en était allé. Mauvaise tête, mais bon cœur ; et pourtant, loin du pays, loin des siens, il était resté bien longtemps !
Le petit, c'était un homme maintenant. Un homme ! Depuis tant d'années il voyageait, travaillant dur pour vivre, car le père, impitoyable jusqu'à la fin, ne pardonnant qu'au moment suprême, lui avait refusé toute aide matérielle. « Qu'il revienne, disait-il, sa place est ici ! » Et pendant dix ans, le petit n'était pas revenu.
A chaque printemps, à chaque automne, la mère l'espérait, mais toujours une lettre lui apprenait que son enfant naviguait loin de la terre de France. Maintenant, il revenait, sachant que son père lui avait pardonné, et que sa mère l'attendait. Il revenait...
La jeune fille était charmante, blonde et frêle ; son fin profil de vierge rappelait celui de l'aïeule ; bien qu'elle eût dix-sept ans, elle paraissait si jeune qu'elle avait l'air d'une grande fillette qui mettrait, pour s'amuser, des robes longues. Ayant été élevée à la ville, elle ne portait pas la coiffe, mais elle avait la coiffure des femmes de Cancale : deux grosses nattes blondes encadraient son jeune visage. Elle était vêtue d'une robe très simple, d'un bleu d'azur, tout pareil à ses yeux ; elle était délicieusement jeune, exquisément pure ; elle personnifiait le printemps et comme, autour d'elle, avril faisait tout germer tout éclore, Marie-Rose était en harmonie parfaite avec la nature.
La jeune fille ne savait pas ; elle ignorait tout de cet oncle revenu un beau soir, et, malgré la vie de famille, malgré trente longs jours passes ensemble, elle ne le connaissait guère. Pourtant, elle le voyait à chaque instant, il lui parlait souvent, mais il lui parlait comme on parle à une petite fille sans aucune importance, et cela la fâchait ! Mais c'était bien un peu sa faute; devant lui, devant ce grand monsieur aux yeux sombres et curieux, elle n'osait pas être ce qu'elle était d'habitude, un oiseau rieur, avec un cœur immense, disait Pierre, mais sans cervelle.
La « Vieille maison » semblait comprendre le bonheur qu'elle abritait ; jamais la glycine n'avait fleuri si longtemps, depuis bien des années les rosiers n'avaient eu autant de roses, et le jasmin parfumé envahissait tous les coins libres. Il y avait des fleurs plein le toit, plein les murs, plein les fenêtres; c'était un bouquet immense et merveilleux. Juin était venu, beau et calme, cet été était un été, béni, les journées se succédaient les unes aux autres aussi radieusement belles, le ciel était toujours pur et la mer n'était plus qu'un grand lac.
Ma chérie, dit-elle, un jour ce sera toi qui voudras t'en aller, et ta vieille grand'mère tâchera, ce jour-là, de ne pas pleurer pour ne pas attrister ton jeune bonheur. Tu te marieras, mignonne, et ton mari t'emmènera. Tu le suivras, heureuse, et, très vite, tu oublieras la « Vieille maison ». Ne dis pas non, ta jeunesse ne sait pas, c'est dans l'ordre des choses, c'est la volonté de Dieu, nous devons toujours nous séparer de ceux que nous aimons, et on finit par ne plus trop souffrir de ces éternelles séparations.