Reynald B. Ventura est un étudiant philippin en situation régulière au Japon puisqu'il a officiellement un visa étudiant. Mais à cours d'argent il décide de rejoindre à Yokohama, le quartier de Kotobuki où vit une communauté philippine, et là trouver du travail. Son visa n'étant bientôt plus valable, il sait qu'il va plonger dans une dangereuse clandestinité, et devenir « invisible, comme les dizaines de milliers de Philippins qui vivent dans ce système que nous appelons T.N.T. - tago-ng-tago, la planque permanente ».
Ainsi débute le récit de
Rey Ventura : une année de clandestinité, d'humiliation, de peur, jusqu'à son retour volontaire aux Philippines, lassé de cette vie de travail sur les quais ou les chantiers, lassé de la routine et de l'incertitude permanente de cette existence.
Le livre a été rédigé à la fin des années 80, (l'auteur en parallèle filmera le vie de ses compatriotes et réalisera un documentaire « Dekasegi »), soit dans une décennie de croissance économique, et une forte utilisation de main d'oeuvre étrangère bon marché. Aujourd'hui, la situation n'a guère changé, surtout compte tenu de la situation démographique spécifique au Japon, le vieillissement de la population, et donc du manque de main d'oeuvre.
Officiellement le Japon reste fermé à l'immigration… officiellement, et le pays y reste d'ailleurs peu habitué.
Accepté dans sa communauté, Rey commence alors sa vie d' « homme debout », soit comme ses collègues, ouvriers sans travail fixe, se tenir debout à une intersection dès cinq heures de matin et attendre les recruteurs. Attendre debout est important pour montrer que vous en voulez, que vous êtes travailleurs.
Le jeune philippin nous décrit la vie de ces hommes et femmes (Juan, Margie, Miguel, Zaldy, Danny, Romero et les autres), vie de paria et d'exploitation, vie précaire (leurs affaires sont toujours prêtes pour fuir au cas où la police opérerait une descente).
Prostitution, humiliation, racisme les attendent. C'est le sort malheureusement universel des immigré-es.
Rey Ventura est extrêmement lucide et c'est bien sûr ce qui fait de ce livre plus qu'un simple document. Lucide sur ces compatriotes qui voient dans le Japon, une deuxième Amérique. Mais ce n'est qu'un leurre, une course à l'argent, qui finalement ne satisfait personne. On peut gagner de l'argent, mais cela se fait sans cesse en jouant au chat et à la souris. Il n'y a pas de rêve japonais écrit-il : « nous n'imaginons pas nous y installer. Nous savons que nous n'y serons pas acceptés ». Mais il y a aussi la vie ordinaire, les dimanches, entre l'église et le McDo, les disputes de couple, les sorties dans les bars ou les live show...
Il est toujours intéressant et nécessaire d'étudier un pays que l'on aime en faisant des pas de côté, vers les gens d'en bas, vers les marges (les burakumin...), vers les gens qui sortent du système (hikikomori, évaporés...), et ce livre instructif vous le permet très agréablement.
Paru en 1992, qu'est devenu
Rey Ventura ?
J'ai trouvé – en anglais – cet article du Japan Times de 2012 : https://www.japantimes.co.jp/community/2012/09/22/our-lives/profiles/filipino-filmmaker-writer-captures-the-stories-of-asians-on-the-fringe/