Comment ma femme m'a rendu fou

Les gens de mon âge n'ont besoin ni de Facebook ni d'un autre truc Internet socialisant pour tromper la solitude, non, nous nous rencontrons dans la vie réelle avec une cruelle réalité aux enterrements et ce faisant entretenons de façon naturelle nos contacts avec un monde extérieur qui rétrécit.

Comme beaucoup de femmes, la mienne souffrait de chaussurite chronique: elle ne pouvait passer devant un magasin de chaussures sans y jeter un œil intéressé. A la suite de quoi notre garde-robe compte cent quarante-neuf paires et pas une seule dont elle voudra se débarrasser. Ajoutez à cela le fait prouvé scientifiquement que cette maladie, dans neuf cas malheureux sur dix, s'accompagne de sacochite, et vous saurez que le peu de mètres carrés d'un appartement de ce genre seront squattés par des articles de maroquinerie.
p.40

Du respect, Walter De Bodt n'en a que pour le directeur du home, le manager santé comme ça s'appelle abusivement, qu'il salue d'un bras tendu et, lorsque son dentier est correctement placé, du cri "Heil !".
C'est rarement un cadeau de devoir vivre un seconde fois sa jeunesse.

et ma femme... Ben oui, ma femme... Elle a une gueule : elle peut mordre !

les 5 points qui reviennent le plus souvent dans ce que les mourants se reprochent sont, premièrement, d'avoir trop travaillé. deuxièmement, qu'ils ont trop vécu selon les attentes des autres. 3emement, qu'ils ont négligé les contacts avec leurs amis . quatrièmement, qu'ils se sont offert trop peu de bonheur. Et 5emement, qu'ils ont trop peu exprimé leurs sentiments...

Non, pour un acte bien barbare, il valait mieux encore et toujours convoler en justes noces. La probabilité d'être marié avec son propre assassin était statistiquement beaucoup beaucoup plus grande que celle de se faire occire par un quidam dans une grande ville. Le mariage, dans notre société, restait le milieu criminel numéro un, avec une fameuse avance même, et pourtant on n'entendait jamais un parti extrémiste monter aux barricades contre cette séculaire institution bourgeoise !

Notre Hugo avait depuis longtemps déjà cessé de considérer l'anniversaire de son père par exemple, comme impliquant l'obligation morale d'honorer de sa visite la maison parentale. Des festivités gonflées par le commerce telles le nouvel an, la fête des mères ou la Saint Nicolas le laissaient carrément froid, et en réalité je l'enviais énormément pour ça.

Dans la rue des Azalées, l'apparition d'un combi de police reste un évènement digne d'être commenté. Je dirais même : un évènement festif ! La sirène n'a même pas besoin de glapir avec colère, suffit que la voiture enfile calmement notre rue pour que les chiens se mettent à aboyer et les commères à prendre leur poste d'observation derrière les rideaux. Une histoire s'annonce, sur le malheur des autres de préférence. Les mateurs de sensation se frottent les mains, la vie a l'air de surgir hors de la télé, hourra!

Le processus avait été long et douloureux, mais en fait, nous étions mûrs pour vendre notre maison et nous acheter un appartement en ville. C'est elle qui s'était rebellée le plus violemment contre ce qu'elle considérait comme une collaboration avec la vieillesse. Quelle lâche capitulation, un petit appartement, où l'on s'habitue docilement au régime d'un home pour les vieux...

Avec calme et professionnalisme - je ne savais pas que ça existait encore dans le genre humain, le plus âgé, je crois, des deux agents, fit des remontrances aux deux ados boutiquières. Beaucoup était à mettre sur leur manque d'expérience et de leur arrogance juvénile et c'était bien pardonnable, mais ça l'étonnait tout de même que leur capacité de discernement fût sous-développée au point de confondre un homme sénile avec un criminel ordinaire.