Citations sur La Maison du joueur de flûte : Géographie du Grand Tour.. (4)
Il y a toujours en moi des trains prêts à partir pour le vieux pays de mes songes et la maison du grand tourment. Ils ont des rideaux bleus où filtre parfois une raie d'or.
Ce vieux pays de mon tourment est en moi et au fond de moi comme un souvenir, enfoui au fond des tourbières ; et l'on entend parfois monter le son des cloches englouties. Il est en moi, au bout de moi, comme une promesse, comme une voile à l'horizon. Il est en moi, au bord de moi, sur le quai de mon âme, comme un vertige, comme un coup de sifflet de chef de gare qui fait partir tous les trains à la fois.
La maison qui me tourmente est bien une maison de pierre, une pierre jaunâtre, mauve et grise, couleur croûte de fromage. Les gens qui veulent tout expliquer sont trop savants et leur science les gêne pour comprendre. Je sais aussi que je suis chez moi dans la maison ; je m'y retrouve, je m'y guide ; je me rappelle mais seulement quand je vois les choses. C'est une espèce de patrie personnelle. Il paraît que chacun a la sienne mais ne la connaît pas toujours. Il y a des gens qui vivent sans eux-mêmes. Et les mieux partagés, dit-on, passent parfois toute leur vie à la chercher...
Mon Dieu ! Mon Dieu ! où est la vie ? Elle vient rôder aux portes. Il ne faut pas l'attendre ainsi. Il faut se jeter au devant d'elle, il faut se jeter éperdument au devant d'elle.
Ce vieux pays m'assiège et me tourmente. Je n'en finirai jamais de m'expliquer avec lui. Il bourdonne autour de ma tête comme une mouche qu'on ne peut pas chasser. Sa neige n'est pas la même qu'ailleurs, ses ombres ne sont pas les mêmes. J'en ai fait le tour bien des fois, comme un chien qui gratte à la porte et rôde autour de la maison, flaire des traces et réfléchit, s'égare et hurle un peu en regardant la lune, et ne voit, sur la place familière, que la fontaine Louis-Philippe (avec son urne dans le ciel) et les maisons qui découpent dans la nuit des rectangles noirs percés d'or comme des cartes postales de Noël.
Ils sont là, deux ou trois qui restent, même pendant les grandes vacances ; l'écorché leur tient compagnie dans la salle de sciences naturelles. Par dix fenêtres très étroites et très hautes, on découvre toute une campagne dont le mystère vous serre le coeur. On attend une espèce de fête, une dame, un page, qui ne viennent jamais. Pas une feuille ne remue dans l'après-midi immobile, on se sent perdu, sans explication, sans remède. Peut-être prennent-ils ici le goût dangereux de l'absence de joie.
Ce vieux pays de mon tourment est en moi et au fond de moi comme un souvenir , comme une tour des chansons , enfoui au fond des tourbières ; et l'on entend parfois monter le son des loches englouties. Il est en moi ,au bout de moi ,comme une promesse, comme une voile à l'horizon. Il est en moi ,au bord de moi, sur le quai de mon âme ,comme un vertige , comme un coup de sifflet de chef de gare qui fait partir tous les trains à la fois.