Citations sur D'après une histoire vraie (590)
Il n'empêche que vous devez vous sentir très seule, comme si vous étiez toute nue au milieu de la route, prise dans les phares d'une voiture.
L. se donnait à voir sous des jours différents, tantôt grave et sous contrôle, tantôt facétieuse et imprévisible. C'est sans doute ce qui rend si complexe la représentation de sa personne, ces failles brusques dans la maîtrise d'elle-même, ce mélange d'autorité et de sérieux, que venait soudain contredire un accès d'humeur ou de fantaisie, dont la violence m'évoquait ces appels d'air inattendus, lorsque les fenêtres s'ouvrent en fracas sous la pression du vent.
A l'âge adulte, l'amitié se construit sur une forme de reconnaissance, de connivence : un territoire commun. Mais il me semble aussi que nous recherchons chez l'autre quelque chose qui n'existe en nous-même que sous une forme mineure, embryonnaire ou contrariée. Ainsi, avons-nous tendance à nous lier avec ceux qui ont su développer une manière d'être vers laquelle nous tendons sans y parvenir.
Peut-être était-ce d'ailleurs cela, une rencontre, qu'elle soit amoureuse ou amicale, deux démences qui se reconnaissent et se captivent.
[...] il me semble parfois qu'une particule étrangère est entrée dans mon cerveau et que les transmissions, les connexions, les désirs sont brouillés, toutes ces choses qui ne marchaient pas si mal sont maintenant sujettes à des soubresauts, des défaillances, alors je préfère rester seule, voyez-vous, me tenir à l'écart quelque temps, ne m'en veuillez pas, je serais heureuse d'avoir de vos nouvelles si je n'avais pas besoin en échange de vous donner des miennes, mais ce n'est pas comme ça que ça marche, je le sais bien.
(p. 240)
Par quelle opération nous parvenons à assimiler certains évènements, certains souvenirs, qui se mélangent à notre propre salive, se diffusent dans notre chair, quand d’autres restent comme des cailloux coupants au fond de nos chaussures. Comment déchiffrer les traces de l’enfant sur la peau des adultes que nous prétendons être devenus ? Qui peut lire ces tatouages invisibles ? Dans quelle langue sont-ils écrits ? Qui est capable de comprendre les cicatrices que nous avons appris à dissimuler ?
Car le livre n’est rien d’autres qu’une sorte de matériau à diffusion lente, radioactif, qui continue d’émettre, longtemps. Et nous finissons toujours par être considérés pour ce que nous sommes, des bombes humaines, dont le pouvoir est terrifiant car nul ne sait l’usage que nous en ferons. P 125
Parfois, même, la fiction était tellement puissante qu'elle avait des prolongements dans le réel. Quand j'étais allée à Londres avec Louise et Paul, nous avions visité la maison de Sherlock Holmes. Des touristes venus du monde entier venaient visiter cette maison. Mais Sherlock Holmes n'a jamais existé. On vient pourtant voir sa machine à écrire, sa loupe, sa casquette...
À cet instant précis, j'ai pensé cela: de certains mots, de certains regards, on ne guérit pas.
Est-ce que chacun de nous a ressenti cela au moins une fois dans sa vie, la tentation du saccage ? Ce vertige soudain tout détruire, tout anéantir, tout pulvériser parcequ'il suffirait de quelques mots bien choisis, bien affutés, bien aiguisés, des mots venus d'on ne sait où, des mots qui blessent, qui font mouche, irrémédiables, qu'on ne peut pas effacer. Est-ce que chacun de nous a ressenti cela au moins une fois, cette rage étrange, sourde, destructrice, parce qu'il suffirait de si peu de choses, finalement, pour que tout soit dévasté ?