On n’en est pas certain, mais on aime à croire que l’histoire commence ici (ou là), figée dans le givre, grisée dans le grésil, et la vitesse, le mouvement malgré tout ne sont pas faciles, soit ils sont happés par les vents polaires, soit il faut aller voir ailleurs.
De toute façon, nous allons quitter ces espaces de landes, ces crêtes écorchées et ces embryons de fjords, ces troupeaux de lochs, parce qu’en vérité il nous faut aller voir ailleurs, et d’autres paysages nous sont beaucoup plus familiers, ou bien nous faisons mine de le croire, il nous faut d’autres crêtes, d’autres lochs appelés bayous, d’autres fjords appelés mangroves.
Parce qu’en vérité, nous avons de l’ambition.
Nous avons l’ambition d’une terre vierge – et le dessein de bâtir ici – oui – une nouvelle ville. Faire sa maison dans le sauvage. Construire une échoppe et un comptoir. Labourer la terre le long de la rive du lac gelé. Voilà notre secret désir. Fonder une ville nouvelle ; connaître la sensation d’être de quelque part, et toutefois choisir le meilleur endroit.
Alors nous partons, nous allons partir.
C’est l’hypothèse #2, et personnellement, je ne l’aime pas. J’aimerais que tu évites de plonger dans ce travers – car c’en est un – et tu as la moelle sensible, assez en tout cas pour céder à ces pulsions. Tu dis par exemple qu’on t’a formé à fermer ta gueule. Qu’on t’a choisi pour faire le clown. Enfin qu’on parle à présent à un autre homme. Tu commences déjà à te plaindre ! Ou bien tu veux nous faire croire que tu es venu à bout de bien des épreuves, de sorte qu’aujourd’hui te voici plus juste, plus fort, plus honnête encore ?
Personne ne sait de quel avenir est fait une carrière, personne ne connaît par anticipation le chemin de la gloire.
Un bon gars, un mec bien ; personne – je crois, n’est-ce pas – personne ne doute a priori de la bonne foi avec laquelle tu te jettes dans la mêlée. Au contraire, très vite on te fait prendre conscience de ton importance ; les foules t’acclament, tu pars en tournée, les plus grands t’appellent à l’aide, parfois même tes idoles (ou tes parangons, ou ceux que, machinalement, tu essaies d’imiter, que tu… singes).
Les erreurs ne sont pas les errements ; les errements sont légers, ils enjambent les montagnes et les fleuves, ils égayent les matins mornes, ils précèdent la fantaisie et donnent du cœur à l’ouvrage.