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Citations sur Les filles de Monroe (14)

Je dansais d'un pied sur l'autre. Je n'avais jamais trouvé qu'il y eût trop de fractions dans le Parti. J'appartenais, il est vrai, à plusieurs tendances à la fois et, en particulier, à une tendance tolérante et oecuménique - "Les Marxistes de la grande compassion" - ma préférée. C'était une fraction secrète et il était déconseillé de s'en réclamer devant un flic, bien évidemment.
- A propos, s'interrompit Kaytel. Et toi, Breton, tu es membre de quelle fraction du Parti ?
- "Les Samouraïs prolétariens", proclamais-je aussitôt avec assurance.
Kaytel me giflait ou soupirait bruyamment.
- Tu mens, décidait-il.
Et il me giflait de nouveau. D'une manière générale, il n'accordait aucune confiance à ce que je débitais devant lui.
Autre séance, autre conversation, je sortais autre chose. J'avais le choix.
- A quelle fraction tu m'as dit que tu appartenais, déjà ? demandait Kaytel.
[....]
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«  L’étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance » …
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Le type qui se tenait près de la porte appuya sur l'interrupteur et le globe central s'alluma, d'abord rougeoyant puis prenant malingrement de la puissance. C'était une lampe écologique et, depuis plusieurs milliers d'heures, elle économisait ses forces et diffusait une lumière pour agonisants et développement durable. Quand nous étions dans cette chambre, Breton et moi, nous préférions en général les lueurs un peu plus fortes que diffusaient les deux lampadaires de la cour.
p. 20
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Accablant était d'avoir hérité des valeurs sacrées de la révolution mondiale ,alors que le monde existant s'était ratatiné jusqu'à n'être plus qu'un asile de fous, une minuscule poche sur la carte du globe.
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Ils restèrent tous deux face à face sans rien dire, un long moment, comme dans un film taïwanais sous désastreuse influence française, ou comme dans un narrat post-exotique avant une scène de violence criminelle. Dehors, dans la cour, la pluie crépitait, et aussi parfois sur les vitres, quand le vent soufflait du nord. La lumière diminuait sans cesse. Bientôt il allait faire nuit. Conformément aux recommandations du Parti sur les économies d'énergie, Kaytel n'allumait aucune lampe. Il semblait indifférent à l'invasion du crépuscule. La fumée qui sortait de sa bouche formait des volutes dont il pouvait de moins en moins suivre les sinuosités. Elle empestait plus le fourrage que le tabac, cette fumée.
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Kaytel émit un gémissement indécryptable. 'Mais si vous collaborez avec Dame Patmos, le Parti vous réhabilitera' promit Strummheim. 'J'ai jamais été exclue' fit remarquer Kaytel. 'Ben il vous réhabilitera, c'est prévu' insista Strummheim. 'Avant ou après l’exécution?' s'informa Kaytel.
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– Tu es un drôle d’oiseau, Breton, disait Kaytel. C’est quand même une sacrée aventure qu’on soit obligé de passer par toi pour en savoir plus sur Monroe.
Je me rengorgeais.
– Qu’on soit obligé de compter sur un détraqué comme toi, précisait-il.
Le terme de « détraqué » me paraissait manquer de rigueur scientifique, mais il en aurait fallu plus pour que je me dérengorgeasse.
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Kaytel n'avait pas de blouse blanche et, souvent, il conservait son imperméable de flic pour nous interroger. Je craignais sa brutalité, mais j'étais moins dérangé par ses odeurs que par les odeurs de ses sous-fifres. Un imperméable ou un manteau, selon la météo, en tout cas un vêtement lourd et couvrant, mais ce que je veux souligner ici c'est que, s'il pouvait éventuellement sentir l'humidité et le tabac, il n'exhalait pas comme ceux de Bronks et de Strummheim des souvenirs de souterrains, de flaques d'huile noire, de boucheries à l'abandon. De gargotes où des rongeurs hirsutes finissent sous forme de vilaines brochettes. Kaytel émettait des odeurs de commandant. Bronks et Strummheim brassaient autour d'eux des puanteurs d'arrière-mondes.
p. 41
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Ensuite plus rien n’advint, sinon quelques frémissements d’eau noire. La rue n’était guère moins figée que sur une photographie. On distinguait des portions de rails entre les flaques, un brouillard qui stagnait autour du réverbère, loin de l’endroit où Rausch avait perdu l’équilibre. Pas une seule fenêtre ne s’était, fût-ce très fugitivement, éclairée. Aucune bougie, aucune lampe de chevet, aucune lanterne. L’obscurité des maisons suggérait une absence de vie catastrophique. Ou la prédominance de formes d’existence trop liées à l’au-delà pour éprouver le besoin de lumière, aussi ténue fût-elle.
Après une demi-heure d’observation, l’odeur de la rue arriva dans la chambre. Elle rappelait celle des mouroirs.
Je fis un signe à Breton. Il regarda la rue à son tour, renifla et n’émit aucun commentaire.
– La fille est tombée, dis-je.
– Je sais, dit Breton.
– Elle a quitté l’espace noir, dis-je.
– Elle a réussi, confirma Breton. Elle est née.
– C’était Rausch, dis-je.
– Elle ou une autre, nuança Breton.
Dans le ravin lugubre à quoi ressemblait la rue Dellwo, la pluie avait cessé. L’eau glissait le long des câbles qui allaient et venaient sans logique entre les maisons, elle dégoulinait depuis les toits et elle rythmait la nuit, mais, à l’exception de ces multiples et parfois mélodieux flic-flocs, il n’y avait rien de particulier.
Puis, au fond de l’obscurité humide, dans un angle, la fille réapparut. C’était Rausch, il n’y avait aucun doute. On voyait surtout ce qu’elle portait sur le dos, du matériel militaire et des sacs qui encombraient sa silhouette et lui donnaient une apparence de bête difforme, mal réveillée, en lambeaux. Elle s’étira pour vérifier l’un après l’autre l’état de ses membres, puis elle eut un frisson ou un spasme et presque aussitôt elle se remit en marche. Il n’était pas facile de suivre son déplacement tant il se produisait loin et au cœur du noir. Elle allait sans presse, droit devant elle, apparemment indifférente à l’eau des flaques qui lui trempait les articulations et les extrémités.
– Elle va avoir du mal à s’intégrer, fis-je remarquer.
– Je suppose qu’elle va rester cachée un moment, dit Breton.
– Cachée ou pas, elle va voir du mal, soupirai-je.
Alors qu’elle venait de marquer une pause dans sa reptation, la fille prononça quelques mots. Puis elle s’ébranla de nouveau vers l’avant et, l’instant d’après, elle entra dans une zone très sombre dont elle ne ressortit plus.
– Qu’est-ce qu’elle a dit ? demanda Breton.
– Je sais pas, dis-je. Ça s’est perdu dans le noir.
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La fille resta suspendue un instant à la corniche qui courait le long du troisième étage, puis elle tomba et disparut dans l’obscurité luisante de la rue Dellwo. Elle s’appelait Rausch. Rebecca Rausch. Trente ans plus tôt, je l’avais follement aimée. Et ensuite, elle était morte.
Après la brève traînée noire de cette chute, il n’y eut aucun changement au cœur de la nuit. L’image sans couleur était très nette mais il ne s’y passait rien. Il avait plu. Des gouttes froides se rassemblaient sous les fils électriques qui reliaient les maisons et, avec régularité, elles se détachaient pour s’écraser beaucoup plus bas, sur les pavés ou sur les flaques, après un bref scintillement et, sans doute, une note cristalline. C’était une image fixe, mais rien n’empêchait d’y superposer une discrète bande sonore. Des tintements espacés d’après la pluie. En dehors de cela, aucun bruit ne donnait vie au décor. Deux lampadaires sur trois étaient éteints. Pas une seule lumière ne brillait derrière les fenêtres. Au milieu de la chaussée, les rails du tramway paraissaient en piteux état, émergés ou noyés selon les creux et les bosses du sol.
La fille était toujours là, en chien de fusil sur le pavé. Au bout de cinq minutes, elle remua.
Elle avait sur elle tout un attirail militaire, un sac ventral, une carabine à canon scié, un poste de radio, et elle avait mis fin à son immobilité. Si quelqu’un s’était trouvé à proximité, il aurait pensé qu’elle ressemblait à un très gros et très vilain scarabée en train de barboter dans la graisse boueuse de la nuit. Mais personne ne la regardait et, quand elle se fut mise à genoux pour commencer à ramper, elle frissonna, à la fois de douleur, de froid et de solitude.
– Putain ! marmonna-t-elle. Que j’aurais bien pu me casser une patte !
Comme bon nombre d’entre nous, elle appartenait à une espèce intelligente, du moins à une espèce suffisamment intelligente pour réfléchir à voix haute. Sur notre activité intellectuelle dans les moments où nous ne bougonnons pas, où rien ne sort d’entre nos lèvres, vétérinaires et thanatologues se disputent. Ces querelles sont d’un autre âge. En réalité, ni le langage ni la pensée ne sont nécessaires pour vivre ou pour survivre. La fille ne pensait peut-être pas en permanence, mais elle agissait.
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