Elle a reculé, elle a inspecté chaque fille de la tête aux pieds, lentement mais avec assez d'insistance pour que chacune se sente grosse, hideuse, mal fagotée, puis elle leur a ordonné de regagner leurs bureaux.
J'ai compris que ma vie était sur le point de changer-mais quant à pouvoir prédire si c'était en mieux...
Lily et moi avons emprunté la voiture d'Alex pour faire une virée chez Ikea, la Mecque de tout étudiant qui s'installe.
Je suis descendue chercher une maxi-portion de crème de brocolis au cheddar ; de retour à mon poste trois minutes plus tard, j’ai trouvé Miranda qui, assise à son bureau, tenait le combiné du téléphone à bout de bras pour l’éloigner de son visage, comme s’il était couvert de sangsues. Elle devait partir pour Milan en fin d’après-midi, mais je n’étais pas certaine de vivre assez longtemps pour voir ça.
— An-dre-âââ, le téléphone sonne, mais quand je décroche – puisque, apparemment, vous vous désintéressez de le faire – il n’y a personne à l’autre bout. Pourriez-vous expliquer ce curieux phénomène ?
Évidemment que je pouvais l’expliquer, mais pas à elle. Les très rares fois où Miranda se retrouvait seule à son bureau, il lui arrivait de décrocher si le téléphone sonnait. Forcément, c’était un tel choc, pour ceux qui appelaient, d’entendre sa voix qu’ils s’empressaient de raccrocher. Aucun de ceux qui composaient son numéro ne s’attendaient à lui parler en personne, puisque l’éventualité d’être mis en relation était quasi nulle. J’avais reçu des dizaines de mails paniqués de rédactrices ou d’assistantes pour m’informer que Miranda était encore en train de répondre au téléphone. « Où êtes-vous passées, les filles ??? Elle répond quand on l’appelle !!! »
Mais j'ai muselé ma paranoïa en me souvenant que cette nana était caissière de cafétéria, et non une conseillère Weight Watchers. Ni une rédactrice de mode.
Je dédie ce livre aux trois seules personnes vivantes qui croient sincèrement qu'il rivalise avec Guerre et Paix :
Ma mère, Cheryl, la mère pour laquelle des milliers de filles seraient prêtes à se damner ;
Mon père, Steve, qui est beau, spirituel, brillant et talentueux, et qui a tenu à écrire sa propre dédicace ;
Mon phénomène de soeur, Dana, leur préférée (jusqu'à ce que j'écrive ce livre).
J'avais beau me trouver dans la même salle qu'elle, elle m'a commandé par téléphone de la San Pellegrino.
Je veux juste que tu fasses partie de ma vie, et je n'imagine pas ne plus faire partie de la tienne.
Un peu comme, lorsque j'avais découvert la Suisse, j'avais trouvé que ce pays ressemblait à sa reproduction outrée de Disneyworld.
C'est à peine si nous lui avons accordé un regard. Il n'était que quatre heures de l'après-midi, mais nous avions l'impression qu'il était minuit.
- Bon laissez moi deviner. Mère a décrocher son téléphone parce qu'elle a égaré une boucle d'oreille entre le Ritz et le restau d'Alain Ducasse, et elle veut que vous la retrouviez, bien qu'elle soit à Paris et vous à New York.
- Tu crois qu'il en faut aussi peu pour nous mettre dans cet état ? ai-je ricané. Mais c'est notre pain quotidien, ça. Trouve un truc plus compliqué.
Même Emily a ri.
- Oui, franchement James, ce n'est pas assez. Je pourrais retrouver une boucle d'oreille en moins de dix minutes dans n'importe qu'elle ville du monde, a-t-elle déclaré, brusquement désireuse de se joindre à la conversation pour une raison qui m'échappait. Ce ne serait un défi que si elle ne nous indiquait pas dans quelle ville elle se trouve. Et encore... Même dans ces conditions je parie que nous pourrions la retrouver.
James est sorti à reculons en feignant d'être horrifié.
- Eh bien, ç'a été une journée de gagnée, mesdemoiselles, vous m'entendez. Au moins, elle ne vous a pas bousillées toutes les deux. Franchement, vous pouvez remercier le ciel pour ça. Vous êtes l'une et l'autre saine et sauve. Allez, bonne fin de journée...