Entre tension sexuelle et hystérie, entre Stella, Stanley et bien entendu Blanche, voici une pièce qui oscille violemment entre désir, rage et folie.
Les cinéphiles se souviendront de Vivien Leigh (alias Blanche) et Marlon Brando (alias Stanley) dans le film éponyme et impeccable d'
Elia Kazan. Mais le texte de
Tennessee Williams vaut pour lui-même, balançant les répliques avec une incisive et cruelle justesse, sans oublier une didascalie offrant une vision particulièrement précise du cadre et qui prend çà et là des allures narratives. Tout ça dans une atmosphère de chaleur oppressante, puisque la pièce se déroule dans un appartement exigu à la Nouvelle-Orléans.
C'est donc un tramway qui file vers le dérèglement des sens et de la raison : « Ce dont tu parles, c'est du désir bestial, simplement du désir, comme le nom de ce vieux tramway qui bringuebale à travers tout ce quartier. »
C'est aussi une lutte entre le réel et l'illusion, qu'incarne si désespérément le personnage de Blanche, vaincue, finalement, par la brutalité attractive de Stanley. Un Stanley qu'elle voyait ainsi : « Il agit comme une bête ! Il a les manières d'une bête ! Il mange comme une bête ! Il rôde comme une bête ! Il parle comme une bête… C'est un être préhistorique, il n'a pas encore tout à fait atteinte l'ère humaine. »
Stanley a effectivement l'esprit simple, soudain perturbé par les débordements et les nerfs à fleur de peau de sa belle-soeur qui débarque dans son existence, lui qui se satisfaisait jusqu'alors de sa vie avec Stella, une belle fille simple acceptant son sort et portant son enfant.
De son côté, en croyant abuser les autres, Blanche s'est abusée et abîmée, tandis qu'autour d'elle la terne réalité est demeurée comme telle. Son monde, « c'est un monde de cirque et d'illusion », comme elle chantait dans son bain brûlant pour calmer ses nerfs, qui auront raison d'elle…
En 1952, tandis que triomphait la pièce un peu partout dans le monde et que le film d'
Elia Kazan venait de sortir dans les salles,
Christine de Rivoyre, dans le quotidien le Monde, résumait très bien cette oeuvre aussi enivrante que repoussante, en parlant « de romantisme morbide ».
A noter dans cette édition trois levers de rideau de l'auteur, dont «
Portrait d'une madone », où une certaine Miss Collins semble un écho vieilli de Blanche. On peut y lire cette phrase simple, fataliste : « Qui est cinglé et qui ne l'est pas ? Si tu veux mon avis, le monde est fait de gens qui sont aussi détraqués qu'elle. »