J'ai retrouvé avec étonnement, dans ces effusions enfantines, une preuve de plus de l'ascendant, que la personnalité extraordinaire de cet homme exerçait sur tout le monde. Il dirigeait personnellement sa Messe de Gran exécutée à l'église paroissiale de Budapesth. J'étais dans le choeur, en face de lui, et le jeu de cette physionomie unique frappa mon âme d'enfant de manière à m'inspirer les lignes suivantes :
« Il m'était impossible de détourner mon regard de cette figure sublime. Rien de plus intéressant que de voir diriger Liszt. Ses traits reflètent toujours le caractère du passage musical dont il entend les flots harmonieux. L'enthousiasme, la béatitude, la ferveur spiritualisée, se lisaient dans ses yeux. J'aurais toujours pu dire d'avance quel mouvement l'emporterait dans le passage commencé. Les traits de Liszt m'en révélaient le secret.
J'avais dix ans lorsque je vis Liszt pour la première fois à un de ses concerts d'orchestre. Il avait été le Sindbad, le héros de mes rêves d'enfant, et toute mon ambition, mon unique désir, était de me rapprocher de lui. J'y réussis.
« On ne doit pas pleurer les morts, on doit se réjouir avec les vivants», disait
Liszt, lorsqu'en ma présence on lui apprit la mort inattendue d'un ami. La leçon me profitera —je ne pleurerai plus l'homme unique qui vient de nous être ravi. Il restera vivant pour moi à tout jamais.
Liszt avait la mémoire des rois; — non, il avait la mémoire du coeur, ce qui vaut mieux.