Je ne sais pas si tu as déjà réfléchi à cette chose étrange qu'est le moi. Il change au fur et à mesure qu'on l'observe, comme lorsque tu fixes ton regard sur les nuages dans le ciel, couché dans l'herbe.
Le murmure du ruisseau qui passait sous le pont de pierre, à la porte du temple, et le murmure du vent du soir semblèrent alors, l'espace d'un instant, s'écouler de mon propre cœur.
Que sont en définitive les souvenirs d'enfance ? Comment peut-on en prouver l'existence ? Mieux vaut les garder en soi, à quoi bon les vérifier ?
L'homme est un être difficile qui se crée ses propres tourments.
Il te suffira de te familiariser avec la nature et elle se rapprochera de toi. L'homme, lui, s'il est intelligent bien sûr, est capable de tout inventer, depuis les calomnies jusqu'aux bébés-éprouvettes, mais en même temps, il extermine chaque jour deux ou trois espèces dans le monde. Voilà la supercherie humaine.
Voilà pourquoi Bouddha a enseigné l'éveil : toutes les images sont des mensonges, l'absence d'image est aussi un mensonge.
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Les vieilles maisons situées de chaque côté de la rue présentaient toutes des façades en bois. Au rez-de-chaussée on fait du commerce, et à l'étage on fait sécher les vêtements : des couches de bébés aux soutiens-gorge, des culottes rapiécées aux draps à fleurs, ils flottent dans la poussière et le bruit des voitures, comme autant de bannières des pays du monde entier.
Ce "moi" au milieu de "tu" n'est qu'un reflet dans le miroir, l'image inversée des fleurs dans l'eau ; si tu n'entres pas dans le miroir, tu n'arriveras pas à repêcher quoi que ce soit et tu ne feras que t'apitoyer sur toi-même en pure perte.
Ici, ni lichens, ni bosquets de bambous-flèches, ni buissons, les larges espaces entre les arbres rendent la forêt plus claire et la vue porte loin. Et, au loin, une azalée d'une blancheur immaculée, élancée et pleine de grâce, provoque un irrépressible enthousiasme par son extraordinaire pureté. Elle grossit au fur et à mesure que j'approche. Elle porte de grosses touffes de fleurs aux pétales encore plus épais que ceux de l'azalée rouge que j'ai vue plus bas. Des pétales d'un blanc pur qui n'arrivent pas à se faner jonchent le sol au pied de l'arbre. Sa force vitale est immense, elle exprime un irrésistible désir de s'exposer, sans contrepartie, sans but, sans recourir au symbole ni à la métaphore, sans faire de rapprochement forcé ni d'association d'idées : c'est la beauté naturelle à l'état pur.
Blanches comme la neige, luisantes comme le jade, les azalées se succèdent de loin en loin, isolées, fondues dans la forêt de sapins élancés, tels d'insaisissables oiseaux invisibles qui attirent toujours plus loin l'âme des hommes.
L'homme vient au monde dans les pleurs et les cris, il le quitte dans le vacarme. Voilà la nature humaine.