Fallait-il que tout soit compliqué pour la jeune Ro ? Que son désir si intense d'inspiration artistique trouve une source inextinguible en la figure d'un mystérieux fantôme ? La question étant : est-il allié ou ennemi ? Et de quels sentiments profondément ancrés en Rowena cet énigmatique monstre se nourrit-il … ?
Celui que tu aimes dans les ténèbres (The Me you Love in the Dark) se veut récit d'amour sombre et malsain jouant habilement avec les codes de l'épouvante. Portée par les riches planches de
Jorge Corona, l'histoire de
Skottie Young s'impose donc au lecteur avec la qualité éditoriale qu'
Urban Comics sait apporter à ses ouvrages. Paru en octobre 2022 en France, le titre ne laisse pas les amateurs de bande-dessinées indépendantes indifférents.
Intéressons-nous tout d'abord au scénario : on doit à Corona une intrigue simple mais terriblement efficace qui se déploie en plusieurs temps. L'identification au personnage de Rowena se fait facilement, sa nonchalance et son absence de peur au début du récit ouvrent la porte à une potentielle belle histoire : le manoir qu'elle a acheté est hanté et cet être qui l'habite prendra la forme de ce qu'elle recherche désespérément c'est-à-dire l'inspiration. Avec lui, au diable la toile blanche ! L'art renaît enfin sous le pinceau de Ro. Elle le cherche donc ce fantôme, provoque la rencontre, pousse la discussion là où lui se contente de faire acte de présence, d'une façon presque passive… il est celui dont elle a besoin semble-t-il mais de passif il devient peu à peu… possessif. Et tout bascule.
« - Est-ce ainsi que tu me vois ? – Oui. Tu en penses quoi ? - Je dirais que tu as trouvé ce que tu cherchais… et c'est magnifique ! » La chute s'amorce avec ce narcissisme flagrant et le lecteur assiste alors à l'émergence d'une relation des plus toxiques : l'entité ne propose plus sa compagnie mais l'impose, ses violentes sautes d'humeur sont entrecoupées de mots d'amour et d'excuses doucereuses : le schéma de manipulation du pervers narcissique se dessine ainsi et Rowena se retrouve piégée par sa ténébreuse Muse. Dans son caractère de femme forte au caractère bien trempé s'instille alors une peur grandissante pour cet être dont elle ne sait finalement rien du tout. Saura-t-elle lui échapper ? Pourra-t-elle lui survivre ?
Côté graphismes, l'histoire inquiétante qui nous est proposée peut compter sur le dessin riche et unique de
Skottie Young. le découpage moderne et audacieux des planches confond le lecteur façon série d'épouvante : on nous offre un trait dynamique qui retranscrit à la perfection l'ambiance sombre et oppressante qui est contée. Notons l'ingénieux choix de leitmotiv avec ce tentacule blanc que Ro semble suivre et qui se déploie case après case, comme une musique lancinante qui ajoute du poids à l'ambiance déjà pesante de l'ouvrage. La colorisation des plus qualitatives nous offre également un beau schéma : les couleurs chaudes et rassurantes des premières pages laissent vite la place à la noirceur et au bleu glacial lesquels portent une grande majorité du récit. de la même façon : la beauté énigmatique de notre hôte laisse place à une monstruosité terrifiante qui finit par envahir tout l'espace et s'impose à Ro comme au lecteur : il ne se contente plus de la petite case qui lui était allouée, il possède désormais la page et prend le contrôle.
En quelques mots donc et sans plus divulgâcher ce one-shot des plus qualitatifs :
Celui que tu aimes dans les Ténèbres est une oeuvre rafraîchissante au coup de crayon audacieux qui a su allier les genres de l'horreur et du fantastique avec brio. Un must-have pour tout fan de comics indépendant qui se respecte.
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