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4,15

sur 1552 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je crois bien ne m'être jamais sentie aussi mal à l'aise pour écrire un avis. Non pas que le roman ne m'ait pas plu, bien au contraire, mais simplement parce qu'il est d'un tel niveau que je ne me sens pas du tout à la hauteur de l'exercice.
Je vais toutefois faire de mon mieux.

Pour commencer, si vous avez l'intention de lire ce roman et que vos connaissances historiques sont faibles, il va vous falloir réviser. Je pense très sincèrement qu'il est indispensable de bien connaître le cadre historique dans lequel évolue Zénon pour comprendre cette oeuvre un minimum. le récit se déroule au XVI ème siècle en pleine période de la Réforme, l'Europe connaît l'explosion de plusieurs formes nouvelles d'interprétation des Ecritures, les critiques violentes envers l'Eglise catholique, les moeurs scandaleuses de son Clergé, aboutissent à des contestations et à l'émergence du protestantisme, du calvinisme et d'autres doctrines. Théologiens, philosophes participent activement à un débat d'idées dont la diffusion au sein des masses populaires est facilité par le perfectionnement des techniques d'imprimerie. L'Eglise catholique sent le danger et prend des mesures : concile de Trente, censure, Inquisition, parlements, et tribunaux dits « d'exception » engagent la Contre-Réforme et font la chasse aux « dissidences ».
Marguerite Yourcenar place principalement son histoire aux Provinces-Unies ( une partie du Nord de la France actuelle, Belgique et Pays-Bas). Si les noms de Charles Quint, Duc d'Albe, Gueux de mer, des comtes d'Egmont et Hornes ne vous disent rien, vous risquez d'être rapidement perdu.
Je suis très contente d'avoir eu la question des guerres de religion à étudier pour le capes il y a quelques années. Sans ces connaissances, tout me serait resté affreusement obscur. Je pense en particulier à l'épisode de Münster que Marguerite Yourcenar fait revivre par sa plume bien que nos sources historiques ne nous permettent pas de savoir dans le détail ce qu'il s'est passé.

C'est donc un cadre historique très précis et très complexe qui accueille le personnage principal Zénon. Zénon est un esprit libre de l'époque s'intéressant et touchant à de nombreux domaines comme la médecine, les sciences techniques, l'astronomie, l'alchimie etc… Il concentre en lui nombre des traits de personnages ayant réellement existé et dont Yourcenar s'est inspirée : Erasme, Ambroise Paré, Léonard de Vinci, Paracelse… Marguerite Yourcenar s'amuse parfois à faire de Zénon un visionnaire rêvant à des progrès techniques qui permettraient à l'homme d'évoluer dans les airs et sous la mer et, à l'instar de ceux qui l'ont inspirée pour la création de son personnage, elle lui attribue des idées très modernes.
On retrouve donc en Zénon un peu de tous ces esprits éclairés qui ont marqué l'époque moderne.

L'oeuvre au Noir se découpe en 3 parties. La première s'attache à relater l'histoire de la famille de Zénon, on apprend aussi certaines choses sur Zénon lui-même mais uniquement par ouï-dire, on l'aurait vu à tel ou tel endroit. Sa réputation est déjà faite, on le soupçonne de nourrir des idées subversives et de sympathiser avec l'ennemi « mahométan ». Zénon voyage beaucoup et cette première partie est liée à cette époque de sa vie : l'errance au cours de laquelle il se forge son esprit et acquiert de solides connaissances. Il côtoie les plus grands en tant que conseiller ou précepteur.
Puis Zénon décide de se fixer. Il rentre à Bruges, sa ville d'origine. Ayant publié des écrits contrevenant à l'ordre établi, Zénon est recherché et doit donc utiliser une personnalité d'emprunt. Il se réinvente une vie et décide de consacrer son temps à soigner les malades et les plus pauvres au sein d'un établissement ecclésiastique. Des évènements feront que Zénon sera démasqué.
La troisième partie est alors consacrée à son procès et son séjour en prison.

Tout au long du roman, Marguerite Yourcenar analyse les mentalités de l'époque à travers l'esprit critique de Zénon. Elle le fait rencontrer des personnages tantôt tolérants, tantôt obtus. S'ensuivent alors de savoureux dialogues. Savoureux par le style, par le sens, bien qu'il ne soit pas toujours évident d'en saisir toutes les subtilités. le texte est truffé de références bien précises et certainement pas anodines, références à la mythologie, à la Bible, à des écrits des penseurs de l'époque. Lorsque comme moi, on a une culture assez pauvre dans ces trois domaines, c'est assez frustrant …mais pas gênant. Pas gênant parce que, sur le coup, on ne s'en aperçoit pas. Mais c'est une fois ma lecture achevée et ayant effectué quelques recherches que je suis tombée sur un document précisant toutes ces références et que je me suis alors rendue compte de tout ce qui m'avait échappé. C'est pourquoi je pense qu'une relecture s'impose. de plus, de nombreux thèmes sont abordés, tolérance, liberté d'expression et de culte, homosexualité, torture, l'innovation scientifique et ses conséquences, le pouvoir, l'inégale répartition des richesses... Et on se rend compte que les questionnements de l'époque ne sont pas si éloignés des nôtres. Ce qui en fait un texte étonnamment contemporain par certaines des problématiques soulevées.

Un dernier mot concernant le titre :
L'oeuvre au noir est la première étape du processus alchimique censé aboutir au Grand Oeuvre c'est-à-dire à la pierre philosophale apportant immortalité et permettant de transformer les métaux en or. Ce processus compte 4 étapes : l'oeuvre au noir, l'oeuvre au blanc, l'oeuvre au jaune et enfin l'oeuvre au rouge.
L'étape de l'oeuvre au noir « désigne dans les traités alchimiques la phase de séparation et de dissolution de la substance qui était, dit-on, la part la plus difficile du Grand Oeuvre. On discute encore si cette expression s'appliquait à d'audacieuses expériences sur la matière elle-même ou s'entendait symboliquement des épreuves de l'esprit se libérant des routines et des préjugés. Sans doute a-t-elle signifié tour à tour ou à la fois l'un et l'autre. » (tiré des notes de l'auteur)
Tout le roman illustre parfaitement, à travers Zénon, l'acception symbolique de la définition de l'oeuvre au noir donnée par Marguerite Yourcenar.

L'oeuvre au Noir est donc une lecture très exigeante et qui nécessite un solide bagage culturel. C'est une oeuvre très riche, magnifiquement écrite, qui décrit parfaitement toute une époque et ses mentalités et qui m'aura donné du fil à retordre pour écrire cette chronique. Néanmoins, ça en valait la peine tellement cette oeuvre m'a éblouie par ses qualités littéraires et son érudition.

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Quelques bouquins avalés à la hâte avaient forgé mon orgueil et je me targuais d'érudition. Je me croyais armé pour défier Marguerite Yourcenar. Avec son "look" de paysanne du terroir, elle n'impressionnait pas le jeune coq que je suis en littérature.

Il m'avait quand même fallu élever un peu le regard avec Mémoires d'Hadrien, et mesurer du même coup l'ombre que répandait sur mes certitudes la dimension de son auteure. Mais soit, cette ouverture sur l'antiquité m'avait mis du baume au coeur. N'était-ce pas une « période dorée » comme le disait elle-même Marguerite à Bernard Pivot dans un entretien en son refuge américain.

C'est avec Zénon, le héros de L'Œuvre au noir, que j'ai poursuivi mon bras de fer avec le monstre d'érudition. Au gré des chapitres, j'ai partagé la vie d'errance de l'alchimiste. Lui pourchassé par l'obscurantisme d'une religion qui n'admet ni concurrence ni contradiction, moi par les mêmes démons que ceux qui m'ont conduit sur les chemins de l'école buissonnière.

Je me rends compte très vite que Marguerite Yourcenar a placé la barre très haut. Elle a en outre convoqué dans cet ouvrage tant de célébrités des temps anciens qui me sont inconnues, que la solitude m'étreint dans ce monde surpeuplé. Pas étonnant que je ne perçoive que froideur chez les contemporains de Zénon. Il faut dire aussi que, convaincus d'une foi qui nous est aujourd'hui étrangère, ils sont capables d'avancer vers le bûcher avec moins de trouble que moi vers le siège du dentiste.

Zénon rêve de liberté. Celle-là même qui nous fait aujourd'hui récuser les lois de la nature. Philosophe, il trouve dans la sagesse compensation à sa privation. C'est un grand observateur de son temps. Son point de vue donne à Marguerite Yourcenar prétexte à développer le sien propre sur cette époque intraitable envers qui oserait avancer que la terre tourne autour du soleil.

Alchimiste, il croit à l'immanence de la matière, la transmutation du plomb en or. Malgré les efforts de la science pour nous convaincre du leurre, ce rêve insensé nous est resté. Mais les jeux de hasard se sont substitués au plomb dans une alchimie encore plus subtile dont on connaît le bénéficiaire.

Médecin, Zénon redevient réaliste. La plus grande qualité de l'époque pour un tel praticien étant le fatalisme, en la maladie il détecte une raison supérieure, en la souffrance une punition. Quand pour nous le refus de la douleur est devenu une exigence.

Humaniste, il regrette cependant ce que les hommes font de leur vie. Les espoirs qu'il tire de son idéalisme forcené sont battus en brèche par une religion qui gouverne les esprits en ce XVIème siècle en Europe. Il lui récuse néanmoins le monopole de la vérité : "Je me suis gardé de faire de la vérité une idole, préférant lui laisser son nom plus humble d'exactitude".

Seul un personnage fictif pouvait regrouper autant de qualités pourtant parfois difficiles à faire cohabiter dans le même esprit. Il est construit sur mesure et donne ainsi à Marguerite Yourcenar le champ pour développer ce que son esprit foisonnant peut concocter afin de faire passer son message.

S'il est vrai que la quête alchimique commence par l'introspection, L'Œuvre au noir m'a renvoyé à mes insuffisances. Voilà un ouvrage propre à redonner de l'humilité à qui voudrait se glorifier d'une culture qu'il n'a pas. Il s'en trouvera forcément détrôné au sortir d'un tel ouvrage. Je ne dirai pas que cette lecture m'a comblé de bonheur. Chaque page est si lourdement chargée d'autant de volumes ingurgités par son auteure pour en sculpter chaque phrase que mes frêles épaules ont ployé.

Me voilà dépité au sortir de mon empoignade. Une fois de plus je n'ai pu que mesurer la hauteur de la montagne dont le sommet se perd désormais dans les nuages. Me voilà renforcé dans ma conviction de persévérer pour combler ce que les dissipations de mes universités ont pu me faire accumuler de lacunes.

Le sourire malicieux figé sur le masque de celle que je voyais comme une paysanne du terroir m'a fait comprendre l'inégalité du combat. Quand tu ne peux pas abattre ton ennemi, embrasse-le. Marguerite, je t'aime un peu, beaucoup, à la folie. Même si tu es sévère avec mon pauvre discernement, je reste beau joueur.
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Quelle claque! Que dire d'un tel livre ? Que sa lecture est exigeante, qu'il faut avoir atteint une certaine maturité pour le lire ? (Amis professeurs de français ne le donnez pas à vos élèves de lycée par pitié!). Entre les références historiques et religieuses d'une part et d'autre part un style riche voire précieux, il faut un lecteur aguerri et courageux.
Mais enfin quel bonheur de lecture! Quel voyage initiatique merveilleux nous faisons avec Zénon dans sa recherche de la sagesse et de sa vérité. Je ne sais pas si l'alchimiste transmue véritablement la matière vile en or, mais je sais que l'écrivain, lui, est le véritable alchimiste qui change toute matière linguistique anodine en oeuvre d'art (quelle que soit sa couleur!). Et ce livre figurera longtemps en moi comme un trésor sur lequel on veille jalousement.
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L'oeuvre au noir ! que ce titre m'a interpellée !
Bien sûr, ce terme fait référence à l'alchimie et selon la 4ème de couverture, ce roman conte l'histoire d'un …alchimiste !

L'alchimie : mélange de soi-disant science et de mysticisme pour arriver à la pierre philosophale capable de transformer n'importe quel métal en or, ou, pour le dire moins trivialement, prolonger la vie humaine en guérissant tous les maux de l'humanité pour prolonger la vie. Et Zénon est un médecin, à la pointe du progrès et des innovations. Mais c'est aussi un penseur, un philosophe, auteur dont les oeuvres sont bonnes pour le bûcher.
Si elle « colle » à Zénon ce qualificatif d'alchimiste, n'est-ce pas plutôt pour mieux le vêtir d'invisibilité auprès de ses concitoyens ? L' alchimiste analyse les métaux, recherche des solutions (tant en terme de liquide que de résolution de problèmes) c'est un scientifique mais c'est aussi et surtout un mystique , un religieux. Et en ces temps mieux valait ne pas être athée : c'est l'empoignade entre catholiques, réformés, musulmans ; un soupçon et le bûcher flambe.

Le temps de Zénon est celui du 16ème siècle et quel siècle ! Celui de la Renaissance : le Moyen Age se termine et l'époque classique sera son futur. Siècle des Grandes Découvertes , de la Réforme et des guerres de religion. Tout bouge et tout évolue dans la violence, le sang et la foi. Et si c'était cette époque le fondement de notre civilisation ?

Zénon n'est pas un croyant. Il est un homme libre de la plus belle espèce. Il est intemporel. C'est un homme de science qui assumera tous ses choix.

Le premier chapitre nous montre deux jeunes hommes, deux cousins à la croisée des chemins : si l'un fait le choix des armes et prend la grande route, pour rejoindre une armée et s'y fondre dans sa discipline, l'autre choisit les chemins de traverse et l'étude. Tout est dit, ou presque : Zénon sera un voyageur, un écumeur d'horizons uniquement mené par son intelligence, son esprit critique.

Marguerite Yourcenar nous raconte ce philosophe médecin depuis sa conception ; rencontre improbable d'un beau manipulateur formé à l'école florentine qui avait discuté machines de guerre avec un certain Léonard de Vinci, partagé l'amitié de Michel Ange et d'une riche et belle illettrée de Bruges. Quel héritage pour Zenon !

Elle le fait voyager depuis le coeur des Flandres jusqu'en Orient et en Suède. Pour Marguerite Yourcenar le voyage c'est la découverte d'autres façons de vivre, de penser, c'est donc oublier ses « pré-jugés ». Et c'est ce que fait Zenon. Si je devais imaginer une image, ce serait celle de l'épée. Pour quelle soit belle et efficace, il faut la fabriquer dans un beau métal, la forger à grands coups, la plonger dans l'eau glacée et le feu. Et quand, enfin elle est achevée, il ne lui reste plus qu'à affronter ce pour quoi elle a été réalisée : la mort. Et là, je ne suis pas d'accord avec cette fameuse quatrième de couverture : Zénon n'est pas broyé, il choisit SA mort.

Comment ne pas admirer ce livre ?
L'écriture est belle et si riche. Ce siècle, nous est dépeint dans toute sa fureur mais surtout dans toute son énergie et sa créativité. Plus dangereux mais aussi tellement plus exaltant que le 19ème siècle.
Un beau portrait de ce que pourrait être l'humanité traversant la vie en assumant pleinement ses choix.
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Comment approcher un tel sommet de la littérature autrement qu'avec modestie et, dans mon cas particulier, j'avoue, avec une certaine dévotion aussi, que je ne saurais cacher?

L'oeuvre au noir, dans la tradition hermétique, est le premier échelon à gravir avant toute mutation alchimique. L'«opus nigrum», oeuvre de «dissolution et de calcination des formes» («solve et coagula», selon la formule du célèbre Nicolas Flamel) serait l'étape la plus difficile à réaliser et, en même temps, celle qui dépendrait le plus étroitement de la volonté propre de l'alchimiste.

Outre, bien évidemment, les expériences qui peuvent être conduites sur la matière elle-même, il s'agirait en l'occurrence, pour ce dernier, sur un plan plus symbolique, de s'affranchir de ses passions et de ses instincts primitifs, de ses croyances personnelles les plus enracinées, ainsi que «des routines et des préjugés» provenant en grande partie du formatage extérieur exercé par son époque, dans le but de dissoudre son moi profond dans l'universel et, le cas échéant, de pouvoir accéder à une forme de connaissance nouvelle et supérieure. L'image du Phénix s'impose ici : renaître à partir de la «calcination» de sa condition humaine...trop humaine!

Séparation et dissolution qui, mutatis mutandis, auront demandé plus de trente ans à Marguerite Yourcenar avant de parachever son oeuvre à elle, entamée en 1923-24, écrite et réécrite de nombreuses fois pendant plus de trente ans, depuis la toute première apparition de son personnage central, Zénon, dans ses fictions de jeunesse. Personnage en or parmi ceux que l'auteure abritait en elle et avait réussi à rendre autonomes et à vivre en dehors d'elle-même («chaque écrivain ne porte en soi qu'un certain nombre d'êtres»), ce médecin et alchimiste, né au début du XVI siècle, semble avoir été, plus qu'aucun autre (y compris que son cher Hadrien !) proche de l'auteure. Pour preuve, ce qu'on peut lire dans ses «Carnets de notes de l'Oeuvre au Noir» incorporés, selon sa volonté, aux éditions de son roman:
« Que des fois, la nuit, ne pouvant dormir, j'ai eu l'impression de tendre la main à Zénon (...) Je connais bien cette main d'un brun gris, très forte, longue, aux doigts en spatules, peu charnus, aux ongles assez pâles et grands, coupés ras. le poignet osseux, la paume assez creuse et sillonnée de nombreuses lignes. J'en connais la pression, de cette main, son degré exact de chaleur. (Je n'ai jamais pris la main d'Hadrien.) »

Et comment ne pas vous comprendre ? Parfaitement, chère Dame Yourcenar ! Votre sublime homoncule est un personnage inoubliable, et il se transformera aussi en un être proche à ceux qui, grâce à votre art, auront eu la chance de le croiser et de s'arrêter sur sa route.

Partant avec lui de Bruges dans sa prime jeunesse, «in media res», l'on cheminera dans l'Europe de son temps, et bien au-delà, jusqu'au aux portes de l'Orient, jusqu'aux limites des savoirs consacrés par son époque, notamment la scolastique, avant de le retrouver à nouveau à Bruges, à l'âge mûr, obligé désormais à cacher sa vraie identité dans sa ville d'origine, toutes les conditions étant réunies pour qu'il se sente enfin prêt à délaisser «les douteux produits de sa pensée » lui ayant valu entre autres de figurer à l'Index , pour s'intéresser davantage à «l'acte de penser lui-même».

Zénon exerce cette même fascination éveillée par certaines de ces figures emblématiques qui semblent avoir ouvertement inspiré sa créatrice, un Érasme, un Leonardo ou un Giordano Bruno, dont le génie, l'humanisme, l'éthique personnelle et la liberté de pensée continuent à personnifier pour la plupart d'entre nous les plus nobles aspirations et les plus hautes cimes atteintes par l'esprit humain. Maîtres à penser intemporels que, à l'image des mots qui seraient adressés par Pessoa des siècles plus tard à son guide spirituel, dans ce bas monde des apparences, purement «sensationniste », rien n'a semblé avoir «touché, ni blessé, ni troublé», « sûrs comme un soleil faisant son jour involontairement».

C'est n'est que dans ce bref et magnifique intervalle ouvert dans l'histoire des idées, à l'orée du XVIe siècle, que l'on peut situer la démarche intellectuelle d'un Zénon, lorsque celui-ci tente de faire converger et d'embrasser, sans faire s'entrechoquer, connaissance de la matière et quête spirituelle. Une pensée absolument suspecte et passible d'hérésie à cette époque - dont par ailleurs notre médecin et alchimiste, comme nombre de ses contemporains de génie, finirait lui-aussi par faire les frais - , et que le triomphe progressif d'un empirisme et d'un scientisme de plus en plus conquérants vouera, au cours des siècles à venir, aux gémonies de l'irrationalité, du mysticisme, voire du pur charlatanisme. Une démarche intellectuelle dans un juste équilibre, encore possible à ce moment-là, entre ce que l'auteure définit, dans ses notes consacrées à la genèse de son personnage, comme «le dynamisme subversif des alchimistes et la philosophie mécanistique (...) l'hermétisme qui place un Dieu latent à l'intérieur des choses et un athéisme qui ose à peine dire son nom, entre l'empirisme matérialiste du praticien et l'imagination quasi visionnaire de l'élève des cabbalistes».

L'oeuvre au noir ne s'opère cependant pas aisément ici, et le roman risque de rebuter fortement les amateurs invétérés de page-turners. On n'y trouve en effet aucune concession à l'assimilation facilitée, ni à la grande vitesse de lecture : on est aux antipodes de toute préparation littéraire lyophilisée à consommation instantanée...
Il est donc tout à fait recommandé à ses potentiels lecteurs de prendre le temps et faire preuve d'une certaine constance. Nous n'avançons et ne pénétrons que peu à peu les arcanes d'un roman dont, d'une part, la recherche de fidélité à un cadre historique particulier, assez peu connu et par ailleurs très complexe lui servant de toile de fond (celui de la Flandre espagnole au XVIe siècle, prise en étau entre divers conflits d'intérêt locaux, politiques et religieux, à géométrie variable et ayant abouti à la révolte d'une grande partie des provinces des Pays-Bas contre la monarchie espagnole, jusqu'à conduire enfin, en 1568, à la guerre des Quatre-Vingts Ans), d'autre part le perfectionnisme manifesté dans la recherche d'adéquation à la mentalité et au champ lexical d'une époque déterminée, la subtilité du propos et l'étendue de l'érudition qui les sous-tend, ne se laisseront guère apprivoiser, et pour cause, sans une participation active du lecteur pour combler peu ou prou ses lacunes plus ou moins conséquentes en la matière.

Dans la mesure, cependant, où ses bienheureux lecteurs-apprentis accepteront humblement de s'y soumettre, le temps de franchir cette étape «initiatoire» avant de pouvoir rentrer de plain-pied dans l'oeuvre, tout en acceptant les embûches que cela pourrait éventuellement comporter pour chacun, la lecture de cette exaltante quête d'absolu telle qu'elle ait pu être vécue de l'intérieur par un médecin alchimiste du XVIe siècle, dans un mouvement en quelque sorte en sens inverse, subséquent à la réussite de l'oeuvre de séparation et de dissolution mûrie longuement par l'immense talent de Yourcenar, pourrait alors leur permettre d'expérimenter à leur tour cette autre sublime opération alchimique que la littérature seule nous autorise par moment à accomplir: celle d'implanter solidement un personnage, à l'origine parfaitement irréel et imaginaire, dans notre propre paysage psychique, de le réintégrer d'une certaine manière comme une partie de soi-même.

À l'instar de sa créatrice, moi aussi, il suffit maintenant que je ferme parfois les yeux pour que Zénon soit là.


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Marguerite Yourcenar avait dit dans l'émission "Radioscopie" que lui avait consacré Jacques Chancel en 1979, qu'elle pensait que son livre le plus important était "L'Oeuvre au Noir". La relecture de l'histoire de Zénon, dont l'auteure précisait également qu'il était "son frère", est un bonheur peu comparable à d'autres ; Zénon médecin et chirurgien De La Renaissance, mais aussi philosophe, alchimiste et athée, est un homme au corps et à la pensée libres.
Splendeur de l'écriture, intelligence du propos, grande érudition sous jacente, la première femme académicienne nous offre là un récit extraordinaire ; elle est extrêmement douée pour recréer tout un monde autour de son personnage principal et nous faire ainsi entrer sans effort dans un XVIème siècle intéressant mais très violent.
Il y a des pages (beaucoup !) absolument magnifiques, en particulier lors des discussions entre Zénon et le prieur des Cordeliers de Bruges qu'il soigne, sur le mal que les hommes sont capables de faire aux autres hommes, sur la richesse de l'Eglise à un époque où les luthériens s'organisent, sur Dieu lui-même ; passionnants également les échanges entre Zénon et l'évêque chargé d'instruire son procès ; il est en effet accusé d'avoir embrassé la foi de Mahomet quand il était en Orient, d'être un agent secret, de n'être pas, surtout, un bon catholique et de blasphémer. Ce médecin philosophe a beaucoup voyagé puis est revenu à Bruges, sa ville d'origine ; c'est un révolté, tracassé de nombreuses questions existentielles comme la question de l'infinité des mondes, ou celle de l'éternité de l'âme.
Un livre indispensable, un très grand moment de lecture !
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J'ai terminé il y a quelques jours la lecture des *Mémoires d'Hadrien* et l'envie me prend maintenant de faire une courte rétrospective sur cet autre monument littéraire, dans la limite de mes capacités, en espérant communiquer le goût que j'ai eu pour cette lecture.

En effet même si ces livres sont relativement accessibles en apparence il ne faut pas être très fin pour se rendre compte de l'extraordinaire érudition de l'écrivaine, de l'immense richesse de sa langue, et par conséquent de la difficulté qu'il peut y avoir à saisir la portée réelle de son oeuvre.
Marguerite Yourcenar a eu tôt l'idée d'écrire L'Oeuvre au noir, ou tout du moins un texte analogue; comme pour le cas des Mémoires d'Hadrien son travail de reconstitution, d'élaboration et d'écriture a duré plusieurs décennies. La mort conduit l'attelage, écrit en 1924, est la première esquisse du roman définitif, paru en 1968. Zénon, comme Hadrien, ont été en quelque sorte pour l'écrivaine les compagnons de toute une vie. La version que j'ai lu incluait des notes très intéressantes, compilées par l'écrivaine, et qui retraçait les étapes de l'écriture, j'aurais envie de dire du processus créatif qui a donné vie à Zénon et à toute la galerie des personnages hauts en couleur qui le côtoient dans le roman. Ce gigantesque effort de création aboutit à une sensation de "vrai" qui affleure à chaque page. Tout dans le livre, les événements, les personnages, leurs motivations, leurs actes et leurs croyances, paraît être véritablement tiré de cette époque de la Renaissance, à la sensibilité si différente de la notre.
Le roman se déroule justement dans une Europe en proie à des bouleversements profonds, politiques mais aussi spirituels; ceux que l'on désigne alors comme les huguenots achèvent de consommer leur rupture avec l'Eglise catholique, et une violence extrême, en lien, entre autres, avec les angoisses eschatologiques de ce temps, éclate aux quatre coins de l'Europe. Les déviances fleurissent, et avec elles leur lot d'horreurs; l'auteure nous introduit avec la révolte de Münster de 1534-1535, durant laquelle les anabaptistes millénaristes instaurent un régime de terreur et prônent un bouleversement total de la société en vue de la préparer au jour du Jugement Dernier. C'est aussi l'époque durant laquelle des individus comme Zénon, dangereusement libres vis-à-vis de leur temps, osent se poser une infinité de questions, touchant à la foi, aux mystères de la création.
Zénon est un alchimiste, médecin, ingénieur, érudit passionné, c'est un homme à l'intellect très développé qui part sur la route à 20 ans et voyage dans toute l'Europe en quête de connaissances. Enfant illégitime d'un prélat italien et de la fille d'un notable flamand, ce personnage se retrouve très tôt en porte-à-faux, à la croisée de plusieurs mondes; c'est un être singulier et solitaire, assoiffé de connaissances, un aventurier de l'esprit en somme.
Le roman se divise en trois parties qui sont autant de phases de la vie de cet homme; la vie errante, la vie immobile, la prison qui amène à une fin abrupte, en écho à la trilogie de l'âme, de l'esprit, du corps. L'âme, l'esprit, le corps, ce sont là les thèmes qui portent ce livre tout entier; Zénon, en aventurier, sonde son âme, teste les limites de son corps selon des démarches neuves, libéré des contingences de son temps. Il tente de percer les secrets de la matière et de la transmutation des minéraux, c'est pourquoi ils s'adonne à l'alchimie et cherche à aboutir au Grand oeuvre; l'oeuvre au noir est une étape, en effet, du processus qui doit aboutir à la création de la pierre philosophale.

Les personnages de Zénon et d'Hadrien diffèrent énormément l'un de l'autre, le premier traverse son siècle turbulent avec une relative passivité vis-à-vis des événements, c'est un homme en fuite, qui ne recherche que peu la compagnie des hommes et des femmes; pauvre, souvent traqué, il sert le genre humain d'une manière tout à fait différente de celle d'Hadrien, qui en tant qu'empereur régit le monde et a bien plus prise sur son temps. Zénon est un homme discipliné, maître de lui au sens le plus plein du terme. Trop différent en cette époque où règne l'irrationnel il attire l'attention, et il finit par s'attirer la suspicion, puis les foudres d'un Clergé déjà initié à la chasse aux comportements déviants. Il est cependant important de noter que l'on échappe à tout manichéisme, Zénon croise tour à tour des gens tantôt ouverts, tantôt bornés, quel que soit leur origine sociale et leur statut. Très loin d'être le récit d'un homme seul contre son époque, L'Oeuvre au noir est plutôt, entre autre aspects, le portrait d'une société, avec tout ce que cela amène de richesse et de complexité.

Je recommande ce livre à tous ceux qui aiment les belles lettres et l'histoire; Marguerite Yourcenar a réussi l'exploit, ici aussi, de retranscrire une époque dans toute sa richesse sans pour autant en sacrifier à la narration. C'est avec un très grand plaisir que j'ai parcouru ces pages, même si l'état actuel de mes connaissances ne m'a pas permis d'apprécier ce livre dans toute sa valeur.
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« J'ai rêvé mes songes .Je ne les tiens pas pour autre chose que des songes. Je me suis gardé de faire de la vérité une idole préférant lui laisser son nom plus humble d'exactitude. »
Zénon, médecin, alchimiste, philosophe, supposé né en 1510 aurait eu 9 ans à l'époque où le vieux Léonard s'éteignait dans son exil d'Amboise, 31 ans au décès de Paracelse,33 à celui de Copernic.A l'époque de l'exécution de Dolet, Zénon aurait eu 36 ans et 43 à celle de Servet.
Contemporain à peu près exacte de l'anatomiste Vésale, du chirurgien Ambroise Paré, du botaniste Césalpin, du mathématicien et philosophe Jérôme Cardan.Il meurt 5 ans après la naissance de Galilée, un an après celle de Campanella. A l'époque de son suicide, Giordano Bruno destiné à mourir par le feu 31 ans plus tard, aurait eu à peu près 20 ans.
Incroyables pensées dans une effroyable nuit. Et pourtant le Cinquecento s'annonçait.
Politique, sciences, géographie, religion, économie, arts, littérature tout n'allait être que bouleversement. Nouvelle définition de nos limites. Le monde,l'homme. L'infiniment grand, l'infini petit. Le corps et l'esprit.
Hérésie, enfer et damnation. On brûlait encore, on pendait toujours , on torturait, écartelait, enchaînait. Les livres, les chats, les sorcières. On brûlait celle ou celui qui pensait librement, celle ou celui qui pensait autrement que la Loi religieuse. Raison d'état, raison de temple ou d'église, raison de frontière et de politique.
«  Il n'existe aucun accommodement durable entre ceux qui cherchent, pèsent, dissèquent, et s'honorent d'être capables de penser demain autrement qu'aujourd'hui, et ceux qui croient ou affirment croire, et obligent sous peine de mort leurs semblables à en faire autant. »
Aucun accommodement, aucun compromis, aucun arrangement.
L'oeuvre au noir est en terme d'alchimie la phase de séparation et de dissolution de la matière qui constituait la partie la plus difficile du Grand Oeuvre. Elle symbolisait également les épreuves de l'esprit se libérant des routines et des préjugés.
Oratio de hominis dignitate, Pic de La Mirandole
« Je ne t'ai donné ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ô Adam, afin que ton visage, ta place, et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. Nature enferme d'autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t'ai placé, tu te définisses toi-même. Je t'ai placé au milieu du monde, afin que tu puisses mieux contempler ce que contient le monde. Je ne t'ai fait ni céleste ni terrestre, mortel ou immortel, afin que de toi-même, librement, à la façon d'un bon peintre ou d'un sculpteur habile, tu achèves ta propre forme. »
Zénon choisissant la liberté de sa pensée quittera ce monde de sa propre volonté.
« Prépare toi à des luttes, Joseph Valet, je vois bien qu'elles ont déjà commencé. ».Le jeu des perles de verre, Hermann Hesse, extrait, 1943.

Astrid Shriqui Garain

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Lecture obligée dans le cadre du lycée, c'est avec une curiosité certaine que je me penchai sur cet ouvrage, cette dernière étant due au statut de l'auteur : en effet, Marguerite Yourcenar peut se targuer d'avoir été la première femme admise à l'Académie française.

Dès les premières pages, le style...académique, dira-t-on (!), de Marguerite se fait ressentir. Les allégories, métonymies, métaphores et autres figures de style sont nombreuses, mais toujours intelligemment placées, sans que cela ne plombe le texte. La plume est relevée, la langue précise et concise, littéraire; Yourcenar montre avec prestance l'étendue de sa connaissance de la langue française. le texte est également agrémenté de diverses citations latines, qui viennent s'ajouter à une masse articulée de références renvoyant à divers contes, légendes, récits, mais aussi à des événements réels de l'époque dans laquelle évoluent ses personnages.
L'Oeuvre au noir est un roman d'initiés, il pousse à la culture, et sans un sérieux bagage, l'on risque de laisser de côté de nombreuses subtilités sous-jacentes du roman ; ici est mis le doigt sur un autre aspect du style de Marguerite : un style que l'on dira elliptique, ou implicite. En effet, des nombreux événements ne sont pas clairement explicités ; des figures de style, ou des renvois à tel ou tel personnage mythique permettent de comprendre le sens exact des propos de Marguerite. Ainsi, le livre prend une dimension secrète, mystérieuse, et qui exige du lecteur une concentration sans faille.

Si l'on se tourne enfin vers le contenu narratif du roman, l'on fait connaissance avec la Flandre du XVIème siècle, où grondent les révoltes paysannes et la Réforme d'une part, mais aussi les conquêtes répétées de Charles Quint, Empereur du Saint-Empire romain germanique, mais aussi Roi d'Espagne, que tout dresse contre les Rois Très Chrétiens de France. le roman dispose donc en arrière-plan d'un décor politique et historique, où se mêlent financiers, princes et bas-peuple.
Du côté des personnages, ce sera Zénon que l'on suivra, jeune bâtard de la soeur d'un riche banquier, engoncé très jeune dans les apprentissages de l'église, qu'il tourne rapidement en dérision face aux hypocrisies dont celle-ci fait preuve. La vraie passion de Zénon est la vérité, la connaissance pure ; après une recherche inassouvie dans les livres, il décide de se tourner vers la profession de médecin, qui lui permet d'approfondir ses connaissances du corps humain. Au-delà du simple aspect matériel, Zénon apprend les mathématiques, l'astronomie, l'alchimie. Ce livre narre sa réalisation alchimique, les évolutions notables du personnages, grand voyageur qui cessera pourtant ses périples pour se cacher dans son village natal.
Zénon est le personnage principal, mais l'auteur dresse également les portraits de son cousin, Henri-Maximilien, parti lui servir sous les drapeaux afin de recevoir gloire et argent, ou encore celui de sa jeune soeur Martha, tourmentée par sa lâcheté qui la tance et l'emprisonne, sans parler du prieur torturé par ses propres opinions qu'il voit trop souvent différer de son église bien-aimée.

Tableau magnifique et grandiose d'une époque riche et dense en événements, Marguerite Yourcenar dresse d'un coup de pinceau la vie d'un homme à la poursuite de la liberté et de la vérité, notions que l'on croit bien trop souvent posséder - à tort.

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Il émane de ce roman une admirable noirceur mêlée d'une tragique lumière, pareilles à celles que l'alchimiste s'efforce de domestiquer dans le ventre de ses alambics et cucurbites. L'autrice des sublimes « Mémoires d'Hadrien » me fascine et m'impressionne tout autant avec cette biographie d'un personnage historique fictif traversant une grande moitié du XVIe siècle, avec ses conflits et ses contradictions, sa brutalité et ses querelles religieuses, mais ici et là parcouru par les éclats de la Renaissance et d'une modernité en gestation.

Le personnage de Zénon est un homme extraordinaire pétri d'une touchante humanité, tout à la fois médecin, philosophe et alchimiste, et qui voit le jour dans la fameuse cité de Bruges, au port ensablé et à la prestance fanée. Scindé en trois grandes parties dont les deux premières s'intitulent « La Vie errante » et « La Vie immobile », ce roman vise à décrire par touches tantôt impressionnistes tantôt réalistes la destinée d'un homme au sein d'une époque et d'une multiplicité de lieux qui tous concourront à façonner son regard et sa pensée. Dans le creuset d'un contexte historique admirablement maîtrisé, l'autrice fond différents métaux pour en tirer un individu à l'alliage fascinant, empruntant autant au polymathe Leonard de Vinci, qu'au philosophe Giordano Bruno ou au médecin et alchimiste Paracelse.

Si la première partie du roman élude les pérégrinations de Zénon à travers le monde, préférant s'attacher aux destins de ses proches, les suivantes en revanche permettent au héros de ce récit de prendre réellement corps et esprit, et notamment par le biais de ses flamboyantes introspections ou captivants dialogues. Tenté dans sa chair, malmené par ses idées, transporté par ses recherches, Zénon est une âme prisonnière d'un corps qu'il ne cesse de vouloir décrypter et d'un monde qu'il s'efforce de comprendre et d'aimer malgré ses contredits. Toute sa vie il défendra sa liberté de soigner et de penser, au péril même de sa propre sûreté.

Un roman à l'ambition et à la maîtrise comparables à celles déployées pour « Les Mémoires d'Hadrien ». Une lecture exigeante mais fascinante.
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L'oeuvre au noir de Marguerite YOURCENAR

Que signifie l’œuvre au noir ?

Une action cachée
Une action faite dans l’obscurité
Une fusion
La séparation et la dissolution de la substance

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