La modernisation de Budapest avait transformé la petite demeure en un îlot au milieu des rails
Il ne supportait pas ses euphémismes ni son air compatissant. Il ne supportait pas que l'infirmière ait dit: Elle nous a quittés. Est-ce qu'elle t'a abandonnée, toi? Connasse en blouse. Est-ce qu'elle t'a abandonnée toi aussi, privée d'une mère? La perte n'était que celle d'Imre et de sa famille. Il ne voulait pas la partager avec le personnel de l'hôpital, avec la fausse infirmière gentille qui devait faire semblant vingt fois par jour d'avoir elle aussi perdu un proche quand les patientes mourraient derrière des rideaux de plastique.
Au début ils avaient progressé dans la connaissance de l'autre mais les deux dernières années, ils les avaient passées à se déconnaître, à s'oublier, à redevenir étrangers l'un à l'autre.
Ceux qui ne sont pas satisfaits émigrent, disait le grand-père. C'est bien. C'est mieux. Avant ils se pendaient. C'était l'émigration à la hongroise.
Tous ceux qui ne sont pas contre nous sont avec nous
La Seconde Guerre mondiale [qui] avait été un chaos total durant lequel le pays avait servi de parc à thèmes aux Hongrois, aux Allemands et aux Russes qui l'avaient tour à tour contrôlé. Chacun avait eu son temps de barbarie et chacun en avait usé. (p.31)
Imre marchait sans bruit. Ses semelles étaient molles. Il avait les mains dans les poches. Il avançait au hasard, comme lorsqu'il avait quinze ans. Il avançait comme s'il n'avait pas de maison.
Et Pál comprit que si l'année 1956 avait été si longue et si terrible, c'était parce qu'elle avait duré jusqu'en 1961.
Il aurait voulu savoir si elle se posait les mêmes questions que lui. Est-ce qu'elle se rendait compte que la vie était bien plus vide qu'elle n'aurait dû l'être ?
La mesquinerie quotidienne de l’humanité, sa faiblesse n’étaient pas des données qu’elle prenait en compte. Pourtant il semblait à Imre qu’il ne s’agissait que de ça. Il y avait très peu de vrais salauds et de vrais saints. Il n’y avait que des hommes qui regardaient leur nombril, tremblaient pour leur nombril et protégeaient leur nombril sans jamais cesser d’être d’une banalité insoupçonnée.