Citations sur Les Rougon-Macquart, tome 1 : La fortune des Rougon (459)
La certitude qu'elle était aimée par quelqu'un, qu'elle ne se trouvait plus seule au monde, lui rendit tolérables les persécutions de Justin et des gamins du faubourg. Il y avait maintenant une chanson dans son cœur qui l'empêchait d'entendre les huées.
(...) ils étaient tout au charme triste de se sentir seuls, au milieu de l'ombre farouche, la main dans la main.
La nuit semblait s'épaissir encore. Les jeunes gens [Silvère et Miette] grimpèrent à tâtons le long de la pente des Garrigues, jusqu'à un rocher, sur lequel ils s'assirent. Autour d'eux, se creusait un abîme de ténèbres. Ils étaient comme perdus sur la pointe d'un récif, au-dessus du vide. Et dans ce vide, quand le roulement sourd de la petite armée se fut perdu, ils n'entendirent plus que deux cloches, l'une vibrante, sonnant sans doute à leurs pieds, dans quelque village, bâti au bord de la route, l'autre éloignée, étouffée ; répondant aux plaintes fébriles de la première par de lointains sanglots. On eût dit que ces cloches se racontaient, dans le néant, la fin sinistre d'un monde. (chap. 5)
La seconde fille, Gervaise, née l'année suivante, était bancale de naissance. Conçue dans l'ivresse, sans doute pendant une de ces nuits honteuses où les époux s'assommaient, elle avait la cuisse droite déviée et amaigrie, étrange reproduction héréditaire des brutalités que sa mère avait eu à endurer dans une heure de lutte et de soûlerie furieuse. Gervaise resta chetive, et Fine, la voyant toute pâle et toute faible, la mit au régime de l'anisette, sous prétexte qu'elle avait besoin de prendre des forces. La pauvre créature se dessécha davantage. C'était une grande fille fluette dont les robes, toujours trop larges, flottaient, comme vides.
(...)
Des taches roses montaient aux joues de Gervaise ; sa petite face de poupée, si délicate, se noyait dans un air de béatitude stupide, et rien n'était plus navrant que cette fille chétive et blême, toute brûlante d'ivresse, ayant sur ses lèvres humides le rire idiot des ivrognes.
" On voyait aussi, chez les Rougon, un personnage aux mains humides, aux regards louches, le sieur Vuillet, un libraire qui fournissait d'images saintes et de chapelets toutes les dévotes de la ville. (...) Cet homme illettré, dont l'orthographe était douteuse, rédigeait lui-même les articles de la Gazette avec une humilité et un fiel qui lui tenaient lieu de talent. ' (chap. 3)
Ce fut dans ce milieu particulier que végéta jusqu'en 1848 une famille obscure et peu estimée, dont le chef Pierre Rougon, joua plus tard un rôle important, grâce à certaines circonstances.
Et, au plafond, la tache de lumière s'arrondissait comme un oeil terrifié, ouvert et fixé longuement sur le sommeil de ces bourgeois blêmes, suant le crime dans les draps, et qui voyaient en rêves tomber dans leur chambre une pluie de sang, dont les gouttes larges se changeaient en pièces d'or sur le carreau. (P.327-328)
Il y a ainsi, dans chaque petite ville, un groupe d'individus vivant aux crochets de leurs parents, feignant de travailler, mais cultivant en réalité leur paresse avec un sorte de religion. Aristide fut le type de ces flâneurs incorrigibles que l'ont voit se traîner voluptueusement dans le vide de la province.
L'affreux tapage de ces garnements lui devint nécessaire pour emplir le vide de son cerveau.
Les nobles se cloîtrent hermétiquement. Depuis la chute de Charles X ils sortent à peine, se hâtent de rentrer dans leurs grands hôtels silencieux, marchant furtivement, comme en pays ennemi. Ils ne vont chez personne, et ne se reçoivent même pas entre eux. Leurs salons ont pour habitués quelques prêtres. L'été, ils habitent les châteaux qu'ils possèdent aux environs; l'hiver, ils restent au coin de leur feu. Ce sont des morts s'ennuyant dans la vie.