Lire La Curée 150 ans après sa publication se révèle passionnant. Ce roman a tout pour retrouver un second souffle à travers le portrait qu'il dresse de cette femme captivante qu'est Renée. Une vraie surprise pour moi qui n'avais jamais vu
Zola sous cet angle. J'ai d'ailleurs souvent pensé à Madame Bovary – paru quelques années auparavant – mais là, on a un roman qui s'envole très haut dans le mordant, l'exubérance,
la poésie… Je suis heureux d'avoir lu La Curée, deuxième tome des Rougon-Maquart après le Docteur Pascal – le dernier tome et sorte de résumé de la série qui en compte vingt. J'ai ainsi pu voir comment
Emile Zola fait le lien entre ses personnages au fil du temps : Clotilde, personnage principal dans le Docteur Pascal, est la fille d'Aristide Saccard que celui-ci confie à la mort d'Angèle, sa première femme, à l'un de ses frères, Pascal Rougon, médecin à Plassans.
La curée commence en 1870, par la promenade au Bois de Boulogne de Renée et son beau-fils Maxime. Elle a à peine 30 ans, Maxime a seulement 20 ans. le chapitre 2 reprend l'histoire à partir de l'arrivée d'Aristide Rougon, dit Saccard, en 1851, l'année du coup d'état de Louis-Napoléon. Bien décidé à faire fortune, il rejoint à
Paris sa soeur Sidonie et son frère Eugène alors en quête d'une carrière politique (il deviendra ministre). Par l'intermédiaire de sa soeur Sidonie, agissant en dessous – ah… son « éternelle robe noire, limée aux plis, fripée et blanchie par l'usage » –, Saccard se marie avec Renée, qui enceinte doit accepter un mariage arrangé avec cet homme qu'elle ne connaît pas. Consacré à la spéculation lors des grands travaux du baron Haussmann, la magnifique Renée trône telle une déesse dans toutes les scènes. Il y a là un très grand roman qui m'a impressionné, décuplant mon admiration pour cet auteur incroyable.
Saccard semble le gagnant dans cette morale de l'argent où tous les coups sont permis. Et pourtant… Si
Zola place la honte du côté de Renée, avec ses dépenses inconsidérées pour le paraître, avec l'adultère – grand mot quand le mariage avec Saccard n'est qu'un mariage d'intérêt : elle parce qu'elle est enceinte, lui pour l'argent et la position sociale –, quant à l'inceste avec Maxime, ils ont peu de différence d'âge et il n'est pas son fils... En prenant un peu de recul sur l'ensemble du récit, il me semble que
Zola a créé à travers Renée un personnage de femme très moderne. La beauté et l'humanité sont du côté de Renée, pas d'Aristide Saccard. La honte mise en avant est liée à la morale de son époque, que
Zola ne pouvait ignorer s'il voulait être publié. On a le portrait d'une femme cherchant la liberté, éprise du beau. Elle se met en scène que ce soit dans sa chambre, dans la serre – le talent de
Zola pour la description est fabuleux. C'est elle qui est à la manoeuvre, un rôle habituellement réservé aux hommes : Maxime est décrit comme beau, faible, comme une fille.
Zola renverse, par ce procédé, les conventions. C'est Renée qui demande au jeune homme de monter dans sa chambre et, en l'absence de sa femme de chambre, de l'aider à se déshabiller… C'est elle qui est à la manoeuvre, un rôle habituellement réservé aux hommes : Maxime est décrit comme beau, manquant de volonté, faible comme une fille.
Zola renverse, par ce procédé, les conventions de son temps. C'est Renée qui demande au jeune homme de monter dans sa chambre et, en l'absence de sa femme de chambre, de l'aider à se déshabiller… C'est elle qui séduit Maxime, un être sans volonté propre, pour le plaisir et un amour véritable qu'elle semble n'avoir jamais connu. L'inversion des rôles permet de questionner la place des femmes (on a pour compléter ce questionnement le couple lesbien formé par la marquise Adeline d'Espanet et Suzanne Haffner, appelées les inséparables…).
Qui aime
Paris et son histoire devrait lire La Curée. Je me suis promené avec Renée et Maxime dans cette calèche, entre le lac du Bois de Boulogne et l'hôtel du parc Monceau, aménagé à grand frais par Aristide Saccard. J'ai vécu l'« embarras de voitures », les chevaux « soufflant d'impatience », la file des voitures bloquées au soleil couchant : calèches, coupés, huit-ressorts, victorias, landaus, fiacres, équipages somptueux où le tout
Paris se donne en spectacle. Suivre sur une carte de
Paris prend un peu de temps, mais quelle merveille de se transporter à cette époque où les joies du périph, des gaz d'échappement et des vrais embouteillages n'étaient même pas imaginés ! Prendre par l'avenue de l'Impératrice (aujourd'hui avenue Foch) avec l'Arc de Triomphe tout au fond, poursuivre par l'avenue de la Reine-Hortense (aujourd'hui avenue Hoche), observer les cavaliers dans les contre-allées, entrer dans la cour du luxueux hôtel particulier au bout de la rue Monceau, à quelques pas du boulevard Malesherbes tout juste percé en 1962 ! La plume de
Zola permet ce miracle de voyager dans le temps !
La curée paraît à la chute de l'empire à partir de septembre 1871, en feuilleton dans La cloche, avant d'être interdit par décision du parquet de M. Thiers. Ce qui ne m'étonne pas tant la charge contre le second empire de
Napoléon III, une classe sociale avide d'argent quels que soient les moyens utilisés, et aussi la liberté accordée par l'auteur à son héroïne sont très en avance sur l'époque.
La scène où Saccard emmène Angèle aux buttes Montmartre est centrale et magnifique. Il observe la ville en bas comme un général avant la bataille. Il a appris, en tant que simple employé à l'Hôtel de ville, que des travaux gigantesques vont commencer et devine qu'il y a beaucoup d'argent à gagner.
Cette édition bénéficie de nombreuses illustrations insérées dans le texte, d'une préface intéressante de
Henri Mitterrand, d'une étude et de commentaires de
Philippe Bonnefis et de notes de
Brigitte Bercoff. Les notes sont très utiles même si elles datent un peu (à la différence du texte de
Zola qui semble rajeunir), insistant sur des incohérences de dates – il s'agit bien d'un roman et l'aspect historique constitue une toile de fond et pas l'inverse – alors qu'il n'est pas du tout question de la modernité du personnage de Renée, ce que j'explique par rapport au regard nouveau porté sur la place des femmes dans la société. Un avis très personnel donc un peu risqué…
Avez-vous lu La Curée ? Que pensez-vous de la modernité ou non des thèmes et de Renée en particulier ?
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Chronique avec illustrations - compositions personnelles à partir de la couverture du livre - sur Bibliofeel, lien ci-dessous.
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