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sur 4059 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ah Nana ! je revois la petite fille de l'Assommoir, traînant le sabot de la mère Boche pour jouer à l'enterrement, n'étant pas la dernière pour tremper dans le vice et faire les quatre cent coups, mettant la révolution dans la rue de la Goutte-d'Or à coups de frasques et de coquetterie exacerbée.
Rodée aux hommes dès son plus jeune âge, la petite à déjà compris que pour éviter le destin catastrophique de ses parents, il va falloir mettre le paquet pour se faire entretenir.
Ici, c'est au Théâtre des Variétés que nous retrouvons notre chipie de service, incarnant La Blonde Vénus. Une façon comme une autre de démarrer une carrière pour cette fille pulpeuse qui chante comme une savate. Son argument? Apparaître sur les planches presque dévêtue, ce qui annonce la couleur à un public essentiellement masculin avide d'un nouveau visage à encenser. Malgré un manque évident de talent, le succès est au rendez-vous et les hommes se pressent dans l'antre de cette jeune pousse du pavé, qui en était réduite à faire des passes pour des sommes modiques afin de financer un train de vie déjà conséquent. Pour Nana vient alors le temps de faire ses armes dans la cour des grandes...

Qu'elle soit aimée ou détestée, cette Nana est étonnante. Aussi puissant que l'Assommoir, ce neuvième volume des Rougon-Macquart nous emporte dans les coulisses du monde des filles et de la débauche. Assez similaire à La Curée dans sa construction en ce qui concerne le faste, Nana se révèle aussi être plus piquant dans le déroulement des événements. Son héroïne tient son rôle haut la main et c'est avec plaisir que nous suivons cette mauvaise graine dans ses toquades de gamine des rues. A l'opposé de sa mère Gervaise, Nana se révèle être une femme de tête à la personnalité hors norme, jouant brillamment au jeu de la vie, tenant le beau Paris qui bande à ses pieds bien au chaud entre ses cuisses de Vénus grasse. Comme une tornade, Nana balaye les fortunes des hommes riches incapables de lui résister. Tous y passent, béats de s'être fait délester la bourse et les bourses par cette mante-religieuse qui brûle la chandelle par les deux bouts. Jouissif et incisif, Zola nous montre une fois de plus l'étendue de son génie à travers ce portrait de femme qui, comme une étoile filante, passe, flamboyante et brillante pour disparaître en un éclair comme elle est apparue. Si vous n'avez pas encore fait la connaissance de Nana, n'hésitez plus, elle ne vous laissera pas indifférents.
A lire !
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Pour pleinement percevoir la puissance et l'impact de « Nana », neuvième volet de la série des Rougon-Macquart, il faut se livrer à l'exercice de se projeter en pensée en 1880, date de sa parution.

En 1880, la place de la femme dans la société du lectorat de Zola se traduit schématiquement par quatre positions sociales : commençons par la femme mariée sans profession, apanage des classes aisées, poursuivons avec la nonne, faisant souvent également office d'infirmière, puis vient la femme « du peuple » mariée ou non et exerçant une profession telle que couturière, vendeuse, ouvrière, lessiveuse, domestique, enfin, achevons avec la femme déchue, autrement dit la prostituée, infréquentable par les trois susnommées.

Cependant, à peine quelques décennies avant la période qui nous occupe, a émergé un groupe social nouveau qui a engendré pour la femme une cinquième "voie". Ce groupe a été nommé « demi-monde » par Dumas fils, lequel, épris de la célèbre « dame aux Camélias », était bien placé pour observer de près l'un de ses spécimens : la demi-mondaine.

1868, Paris. Nana, fille de l'ouvrière Gervaise (« L'Assommoir), est une demi-mondaine. Actrice et courtisane, elle permet à Zola d'incarner le demi-monde et ses moeurs nouvelles, cruelles, dissolues et sans scrupules. Dans les théâtres et les restaurants, sur les champs de courses et jusque dans les médias (ou dans le lit des journalistes) se retrouvent les « cocottes », effrontées et sensuelles, vendant leurs charmes et offrant à Zola le spectacle d'une première « émancipation par le sexe » de la moitié réputée « faible » de l'humanité. Au XIXème siècle, et cela se ressent jusque dans l'art, la femme est méprisée, elle est soumise à l'homme, au père, au mari, au frère, au patron, au client ; elle n'a aucun droit de cité et si elle est parfois dénudée avec gloire sur la toile, sa « tenue d'Eve », nouvellement photographiée, commence à circuler sous le manteau ; les maisons closes font recette. le XIXème siècle est l'apogée du sexisme et du règne de domination de l'homme sur la femme qui devra attendre la Première Guerre mondiale pour acquérir un début de reconnaissance. Mais déjà, "avant-guardistes" qui s'ignorent, les demi-mondaines renversent ce rapport de force ancestral...

La demi-mondaine, telle Nana, va chercher à tirer son épingle du jeu par le biais de son arme la plus redoutable : son cul, celui-là même que les hommes sont prêts à payer cher. Dans le roman de Zola, les hommes s'agglutinent autour de Nana comme les mouches autour d'une bouse fraîche et, sociologiquement parlant, il est tout à fait fascinant pour le lecteur d'essayer de décoder les mécanismes psychologiques qui poussent des bourgeois fortunés et « arrivés » à risquer leur fortune, leur honneur et leur statut social pour brûler leurs ailes aux flammes de l'interdit ; il est captivant de voir quelles extrémités ils peuvent atteindre pour posséder l'antithèse de leur épouse et/ou de leur mère.

Pour toutes ces raisons, « Nana » est plus que jamais un roman social, tel que l'a voulu et conçu son auteur qui, par le grand projet naturaliste qu'il a porté pendant plus de vingt ans, offre ici un magnifique témoignage de la société (notre société !) dont il était le contemporain. Voilà pourquoi il est essentiel de se projeter à la place d'un lecteur de 1880 pour mesurer tout le caractère précurseur, cru, provocateur et choquant de ce roman qui fait définitivement partie de mes tomes de prédilection.
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Nana, la petite fille des ruisseaux, la canaille de la Goutte d'or, qui a vécu sa jeunesse en guenille, entre des parents en proie à leurs démons, faibles et et malchanceux. La revoici, Nana, reine du vice, qui peu à peu étend son pouvoir sur la société huppée de cette fin de siècle, affolant par sa liberté et sa sensualité ces beaux messieurs bien mis et fortunés, du moins avant de se laisser prendre dans la toile d'araignée de la belle.

Elle commence au théâtre, et malgré ses dons très modestes, au point de transformer en comédie un drame passionnel, elle attire l'attention sur sa personne. faisant feu de tout bois, elle introduit peu à peu le ver dans le fruit :

« Ici, sur l'écoulement de ces richesses, entassées et allumées d'un coup, la valse sonnait la glas d'une vieille race; pendant que Nana, invisible, épandue au-dessus du bal avec membres souples, décomposait le monde. »

Passant de bras en bras et de lit en lit, elle soumet les hommes ou les femmes (une prostituée avec laquelle elle entretient une liaison), et dilapide des sommes faramineuses, ruinant peu à peu ses amants.

Inspirée de la vie de prostituées mondaines, la vie de Nana symbolise pour certains le destin de l'empire agonisant.


C'est encore une fois un superbe roman, dont le réalisme a sans doute pu choqué lors de sa parution.
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Émile Zola a imaginé et construit une immense fresque, Les Rougon-Macquart, bâtie sur vingt romans pour décrire et aussi décrier un certain univers social sous le Second Empire. Neuvième volume de la série des Rougon-Macquart, Nana a un ton que j'ai trouvé inouï par rapport aux autres ouvrages de ce cycle. Comme je me suis fait fort de les lire dans l'ordre chronologique, mon avis ne concerne donc que les seuls romans lus jusqu'ici...
Ceux qui connaissent cette saga savent le poids de l'hérédité de la lignée des Rougon et des Macquart sur les personnages...
Je me suis réjoui de la lecture de ce roman et je me suis encore plus réjoui d'imaginer la déflagration qu'a pu susciter la parution de ce roman en 1880, dans une France alors très conventionnelle.
Mais qui est Nana ? Gustave Flaubert, qui en connaissait un rayon sur le sujet, disait de ce personnage féminin haut en couleurs : « Nana tourne au mythe, sans cesser d'être réelle ».
Les premières pages nous invitent au théâtre. Comme souvent, Zola use de ce procédé narratif où le personnage principal est évoqué et tarde à venir.
Et puis Nana finit par entrer en scène, sensuelle, dégageant un érotisme irrésistible et c'est l'émoi parmi le public des hommes...
Mais qui est Nana ?
Insouciante, frivole, Nana ne pense pas au lendemain, demain n'existe tout simplement pas. Elle obéit simplement à sa nature. Elle n'est pas vraiment belle mais elle plaît, elle fait venir les foules chaque soir au théâtre où elle apparaît en Vénus presque dévêtue, ce n'est pas forcément pour son talent de comédienne que les hommes se pressent mais pour son coup de hanche, elle est même déjà célèbre, les hommes viennent la voir, se bousculent pour cela.
Pourrait-on dire que Nana est un pur produit du second Empire dans son parcours insolite, sa volonté de conquête dans le désir qu'elle porte en elle ? Nana, femme presque encore enfant et devenue trop vite adulte par la force des choses, fille capricieuse, insolente, déchue et vengeresse du monde d'où elle vient, c'est-à-dire la rue, les trottoirs, le quartier de la Goutte d'Or, là-bas où elle faisait déjà les quatre cents coups, gamine des ruisseaux et des lavoirs, Gervaise sa mère, le peuple, le peuple de Paris et de ses faubourgs.
Elle a la cervelle d'un moineau et elle est gaie comme un pinson. Peut-on lui reprocher cela ?
Nana n'est pas méchante, elle est juste cruelle sans vouloir le mal au début.
Elle commence à comprendre peu à peu le pouvoir qu'elle détient, un pouvoir qui peut séduire, attirer, annihiler, détruire aussi. Elle se sent alors brusquement toute puissante. Par sa sensualité et par le sexe aussi...
Alors, elle affole les hommes, en fait des marionnettes, elle triomphe. Ah ! Ce pauvre comte Muffat... Pitoyable personnage symbolisant à lui seul ce second Empire et ce à quoi cette période ressemble alors...
Nana croque la fortune des banquiers comme on croque une pomme. Elle fait tourner les hommes riches qu'elle séduit dans une danse frénétique et endiablée.
C'est une époque, une classe sociale qui s'écroule, elle leur porte l'estocade, le pied de Nana posé sur cette hécatombe, ce charnier de la bourgeoisie et de l'aristocratie chancelantes déjà...
Ce récit est d'une férocité joyeuse, Nana rosse l'empire, elle humilie ce monde de pantomimes, elle se vautre dans le luxe des autres, et j'imagine que Zola, derrière elle, derrière sa créature diabolique qu'il a créée, jubile, jubile et se moque de l'empire, lui fait un bras d'honneur...
Les personnages secondaires, - mais sont-ils si secondaires que cela ? sont parfois touchants comme Georges qu'on surnomme Zizi, ou encore Satin, amie de Nana et même un peu plus après...
Je pense aussi à la position de la femme incarnée par le personnage de Nana sous le second Empire, ce qu'a voulu dire, transmettre Zola, ce que serait Zola aujourd'hui...
Je pense qu'aujourd'hui, Zola serait encore Zola, un homme d'esprit et de combat qui nous manque terriblement...
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Le Tout-Paris est en effervescence : une nouvelle actrice monte sur les planches ce soir. On la dit belle, on la dit blonde, on la dit éblouissante. Pour sa première, Nana se fait désirer et ce n'est pas par son talent qu'elle enchante le parterre. « Est-ce qu'une femme a besoin de savoir jouer et chanter ? » (p. 8) le talent de Nana, c'est bien entre ses cuisses et entre ses bras qu'il se trouve. Échappée, on ne sait comment, du ruisseau et des trottoirs gras de Paris, Nana est maintenant bien loin de la boutique de ses parents, disparus à la fin de L'Assommoir. Alors qu'elle triomphe dans le théâtre de Bordenave, les hommes se pressent dans son salon, impatients de se frotter à ses jupes. Dans son appartement, c'est tout un monde de grues qui se donnent des airs, qui se chamaillent et se disputent les attentions des hommes.

Nana est très demandée, très désirée et bien incapable de se satisfaire d'un seul homme. Si elle laisse le comte Muffat l'entretenir, elle ne peut s'empêcher de tomber dans d'autres bras. Cette belle fille blonde et grasse qui excite tous les appétits bourgeois de Paris a parfois des envies de salissure et serait prête à tout abandonner pour une tocade. « Et tu te ruines pour un oiseau pareil ; oui, tu te ruines, ma chérie, tu tires la langue, lorsqu'il y en a tant et des plus riches et des personnages du gouvernement. » (p. 243) Alors qu'elle est prête à retourner au ruisseau, Nana a des rêves d'honnêteté et de puissance. Elle se voit en grande bourgeoise qui donne le ton, en femme du monde à qui personne ne refuse rien. Pour assurer son train de vie, elle essore ses nombreux amants et les hommes sont bienheureux qu'elle accepte de les ruiner. « Un homme ruiné tombait de ses mains comme un fruit mûr, pour se pourrir à terre, de lui-même. » (p. 405) À Paris, il est du dernier chic de se faire rincer par la belle Nana.

Enragée de luxe et de splendeur, cette sublime prostituée est folle de désir pour des plaisirs dégoûtants qui lui font croire qu'elle est libre. Aidée de Zoé, sa rusée femme de chambre, Nana fait défiler les hommes et les femmes dans ses salons, orchestrant le plus fabuleux vaudeville de Second Empire. Chez Nana, l'amant n'est pas sous le lit : il fait antichambre pendant qu'une canaille se vautre dans les draps et les dentelles. Les acteurs, les journalistes, les banquiers, les nobles, tout le monde se presse chez la plus grande cocotte de Paris. Pendant ce temps, Madame se donne sans honte dans le lit d'un client, parce qu'il faut bien payer le boulanger.

Que j'ai aimé cet épisode des Rougon-Maquart ! Cette Nana ne manque pas de panache, ni de ressources. Sous des dehors superbes, ce personnage incarne toute la pourriture de la lignée. Son fils Louis est l'aboutissement d'un sang faible et vicié. Peu à peu, Zola élague l'arbre généalogique et fait tomber les branches pourries. On se demande toujours si le prochain printemps verra fleurir un nouveau Rougon ou un nouveau Macquart. La suite au prochain volume !
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En 1866, Zola écrit deux articles assez virulents, prenant position contre un roman anonyme, Mémoires d'une biche russe. Selon lui, il ne présente pas réellement les moeurs de son temps. Il dira ainsi : " J'attends l'histoire vraie du demi-monde, si jamais quelqu'un ose écrire cette histoire." Cette personne, ce sera lui-même, quelques années plus tard. Il se met alors à enquêter (au grand dam de sa femme) sur ce monde particulier des courtisanes. Il veut décrire la débauche effrénée tout en la marquant au fer rouge.

C'est ainsi qu'apparaît le personnage de Nana. Fille de Gervaise et de Coupeau, elle est la figure même de la perversité. Fuyant la misère de ses parents, elle se lance sur les planches. Sans talent et sans voix, elle attire néanmoins tous les regards par sa beauté envoûtante. Elle vit ainsi de ses charmes. Elle se venge des hommes, et notamment des aristocrates, en leur révélant les infidélités de leurs femmes et en les ruinant tour à tour : Steiner, le banquier véreux, le comte de Vandeuvres, le capitaine Hugon... Elle finira par se mettre en ménage avec Fontan, un comédien mais la violence de ce dernier aura raison du couple. Nana préfèrera s'égarer dans les bras d'une de ses consoeurs, Satin. le sommet de sa réussite est atteint lorsqu'elle parvient à conquérir le comte Muffat, chambellan de l'empereur, à qui elle fera subir les humiliations les plus ignobles.

Triste figure que celle de cette femme qui assiste à la déchéance de sa société tout en voyant sa vengeance s'accomplir. On ne peut s'empêcher de faire la comparaison entre la peinture d'une courtisane et le reflet d'un monde retrouvant ses propres faiblesses en elle.

Ce neuvième tome de la fresque est encore un coup d'éclat de la part de l'écrivain. Il finit ce tome par la mort de Nana, dans une chambre sordide. La courtisane, malade et ruinée, meurt de ses frasques au moment même où on fête bruyamment dans les rues la déclaration de guerre à la Prusse. " Poème sinistre des amours du mâle" selon Zola, ce tome est une illustration flamboyante de la corruption et des vices d'une société.

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♬ Une super Nana, une super Nana... ♬
Elle promettait cette Nana que nous avons vue naître et grandir dans L'Assommoir, et elle ne nous déçoit pas !
Quelle femme pouvait-elle devenir après avoir grandi entre Gervaise et Coupeau, dans les conditions que l'on connaît ?
Une demi-mondaine, une courtisane, une cocotte... allons, cessons de tourner autour du pot : une prostituée. de luxe, certes, mais prostituée.

Nana vend ses charmes, et Dieu sait qu'elle en a ! Elle fait tourner les têtes, elle séduit, elle rend fou.
À son contact, des fortunes et des réputations se font et se défont.
Loin de voir dans son choix de vie un avilissement, Nana y voit une fierté mais surtout une façon d'assouvir sa vengeance. À travers les hommes de la haute société dont elle se joue, elle se venge. Elle leur fait payer le prix de son enfance misérable, et le prix fort, s'il vous plaît.
Pour saisir ses motivations, il faut avoir vu la pauvreté dont elle a souffert dès son plus jeune âge et comprendre qu'elle s'est sans doute juré de ne jamais manquer de rien... quitte à user de méthodes peu catholiques.
Il faut avoir lu L'Assommoir pour bien comprendre Nana.
Elle est prête à tout pour gagner argent et pouvoir : de l'argent qui lui offre un grand train de vie, du pouvoir dont elle use avec délectation sur les hommes qui tombent entre ses griffes.
Nana veut dominer et pour cela elle est prête à utiliser toutes les armes à sa disposition, la plus redoutable d'entre elles étant son physique.
Il faut dire que Nana est tellement belle ! Pas d'une beauté élégante et distinguée, non. D'une beauté éclatante, sensuelle voire érotique.

L'entrée en matière du roman, très réussie, est similaire à celle de Son excellence Eugène Rougon dans lequel le personnage principal s'impose d'emblée, avant d'apparaître physiquement : tous parlent de lui, tout tourne autour de lui, tous les projecteurs sont braqués sur lui. Zola fait monter l'impatience du lecteur, puis fait enfin entrer en scène son personnage.
Pour Nana, il s'agit d'une entrée en scène au sens propre puisqu'elle joue dans une opérette de second ordre, ou troisième, ou plus : un navet en fait, dans lequel elle se montre autant dépourvue de talent que de vêtements... d'où son succès.
Elle joue mal, elle chante mal, mais qu'importe : il se dégage d'elle une sensualité irrésistible, surtout pour les hommes à qui elle fait tourner la tête.
Débordant d'ironie, le premier chapitre m'a ravie !

Nana est le tome de la débauche. D'une autre façon que dans La curée (ici, c'est sur un fond de volonté de revanche sociale que tout se joue), mais avec une même envie de dépeindre de façon féroce la "haute" société, Zola nous montre l'envers du décor.
Que dire de tous ces hommes du monde capables de se ruiner financièrement, moralement ou socialement pour goûter aux charmes de demoiselles fort éloignées de leur univers ? Que cherchent-ils ? le frisson de l'interdit ? Sont-ils tellement blasés de leur vie matériellement aisée qu'ils ont besoin de s'encanailler pour se sentir exister ?

À une époque où l'on n'aime pas montrer ce qui n'est pas convenable, quitte à cacher la poussière sous le tapis, Zola ne recule devant rien, abordant tous les sujets d'une façon crue et osée pour son temps. Paru en 1880, ce neuvième volume des Rougon-Macquart a beaucoup choqué.
Voici une sélection de petits mots doux relevés dans la presse de l'époque :

"Le monstre a paru. Ce n'est pas un monstre que je devrais dire, mais une monstruosité."
"Se coaliser contre cette invasion, soi-disant naturaliste, qui, par certaines souillures spéciales rappelle l'invasion des Prussiens, me paraît, pour les écrivains français, une oeuvre patriotique, nationale, nécessaire."
"Le nom de M. Zola est, depuis quelques jours, dans toutes les bouches – même celles d'égout. Il n'est plus question que de son dernier roman, Nana… C'est le scandale du moment.
Qu'est-ce que Nana ? C'est la suite de L'Assommoir.
On sait que M. Zola a un mépris de mauvais bourgeois pour le peuple. Suivant lui, le peuple est condamné à la dégradation, et ne peut se mouvoir qu'entre deux vices : l'ivrognerie et la prostitution."

C'est plutôt violent, non ?

Et je ne résiste pas au plaisir de recopier un autre "mot doux", un petit poème sobrement intitulé "À Émile Zola" :

"Malgré ta morgue doctorale,
Ordure et « Nana » c'est tout un ;
Si ton livre est de la morale,
Alors la m… est un parfum."

Si vous vous lancez dans la lecture de Nana en frissonnant d'avance, en vous délectant à l'idée de lire des lignes érotiques, vous allez être déçus. S'il a fait scandale à l'époque, le roman semble de ce point de vue très banal aujourd'hui. Lisez-le donc pour les bonnes raisons : Nana est une peinture féroce et réjouissante des moeurs de certains contemporains d'Émile Zola.

Ni bonne ni mauvaise, ni gentille ni méchante, ou un peu tout cela à la fois, Nana n'apparaît pas responsable de sa vie. Née dans le ruisseau, son seul "talent" est sa beauté provocante qui rend les hommes fous. À maintes reprises, Zola la décrit "blanche et grasse", ce qui à son époque correspond aux canons de la beauté féminine. Qu'aurait-elle pu faire d'autre que de vivre de ses charmes ?
Drôle de Nana qui brûle la chandelle par les deux bouts.
Sacrée Nana qui joue tant avec le feu qu'elle finira par s'y brûler.
Faut-il la blâmer ?
La réponse vers laquelle Zola entraîne son lecteur est non.
Ce n'est pas le choix de vie de Nana que l'écrivain dénonce, parce que de choix, elle n'en n'a pas eu.
Ce qu'il dénonce, ce sont ces hommes qui gravitent autour d'elle et qui profitent d'elle.
Même s'ils en viennent à se perdre et se ruiner, ce sont bien eux les coupables.
Le tableau est bien brossé, le texte fait mouche, le lecteur ne peut plus fermer les yeux sur la réalité.

Si je ne vous ai pas convaincus d'aller faire la connaissance de Nana, peut-être Gustave Flaubert le fera-t-il. Aussi, je lui laisse le mot de la fin.
Voici tout d'abord un extrait de ce qu'il écrivit dans une lettre à sa nièce Caroline :
"Toute ma journée d'hier s'est passée à lire Nana (de 10 h. du matin à 11 h. et demie du soir sans désemparer). Eh bien, on dira tout ce qu'on voudra. Les mots orduriers y sont prodigués, le milieu est ignoble, et il y a des choses d'une obscénité sans pareille. Tous ces reproches sont justes. Mais c'est une oeuvre énorme faite par un homme de génie ! Quels caractères ! Quels cris de passion ! Quelle ampleur ! – et quel vrai comique ! Nana tourne au mythe sans cesser d'être une femme et sa mort est michelangelesque !"
Et voici une partie de ce qu'il écrivit à Émile Zola lui-même :
"Nom de Dieu ! quelles couilles vous avez ! quelles boules !
S'il fallait noter tout ce qui s'y trouve de rare et de fort, je ferais un commentaire à toutes les pages ! Les caractères sont merveilleux de vérité. [...]
Un livre énorme, mon bon ! […]
Maintenant, que vous ayez pu économiser les mots grossiers, c'est possible. Que la table d'hôte des tribades « révolte toute pudeur », je le crois ! Eh bien ? après ! merde pour les imbéciles ! – c'est nouveau en tout cas, et crânement fait !"
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Comment rester toujours insensible, quand on lit un roman de Zola ? Tout de suite, on est pris au piège des mots qui créent un monde toujours fantasmagorique, et d'ailleurs, Flaubert disait que "cette création est babylonienne". Il est vrai que le génie prolixe de Zoa nous emporte encore au-delà, parfois, de l'imaginable, tant les détails et les événements foisonnent, toujours peints dans la luxuriance d'un style inimitable.

Nana est sans doute plus à plaindre qu'à blâmer, elle qui était la fille de Gervaise et de Coupeau, dans l'Assommoir. Toute petite elle connut la faim et la misère. Il fallait bien qu'elle mordît dans la vie de toutes ses dents, et qu'elle transformât en or la boue de son enfance.

Incroyable atmosphère, que celle de ce milieu d'artistes qui nous fait même revivre, à ses débuts, les opérettes d'Offenbach. Incroyable Comte Muffat, transformé en petit animal domestique, se traînant à ses pieds pour plaire à sa maîtresse, elle qui le piétine, en minaudant. Incroyables hommes, tous subjugués par la beauté et l'espièglerie, tantôt perfide, tantôt affectueuse de Nana, de l'adolescent Georges Hugon, enfant adorable, encore dans les jupes de sa mère, au banquier Steiner le plus aguerri. C'est pratiquement toute une frange de la société qui est brossée de façon impitoyable et juste, sans aucune intention de caricature.

Ce roman, c'est le naufrage, de toute une société déjà en décomposition au moment où commence l'histoire. Nul ne sera épargné, jusquà la femme fidèle du Comte Muffat, prenant un amant, pour oublier les frasques de son mari, ruiné à cause de Nana, et qui reviendra ce qu'il était, avant de connaître la dévoyeuse : un dévot repentant.

C'est réellement un livre aux milles rebondissements, aux longues descriptions propres à l'époque, de ces tableaux qui ont fait de Zola ce qu'il est à tout jamais : le plus grand peintre du réalisme, d'une société qui est malade, et qui trouve rarement le bon remède pour guérir.

Nana est le roman de la démesure. A la différence de l'Asssommoir, il comporte des scènes érotiques et souvent joyeuses, car la bonne humeur de Nana illumine ce roman en demi-teinte. Il y a toujours une morale, qu'on le veuille ou non : la démesure, l'égarement, le mépris des conventions et du respect d'autrui, toutes les hypocrisies finissent par faire sombrer l'individu dans la déchéance, et la Mort arrive, faisant de la plus belle fille de Paris une pauvre épave, atteinte de la petite vérole. Oui, comme dit Rose, "elle est bien changée", en la voyant sur son lit, en train de mourir.

Un roman éblouissant, que l'on relit, en y découvrant toujours des trésors oubliés ou passés inaperçus, roman qui a donné lieu à une série télévisée, il y a une vingtaine d'années, avec dans le rôle de Nana la sympathique Véronique Genest.

Je ne peux que recommander ce livre, qui me paraît, malgré tout, dynamique et d'un pittoresque non point pesant, mais sarcastique et humoristique. Avec Zola, on ne s'ennuie jamais.
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Quelle cocotte cette Nana ! Je l'ai quitté il y a quelques semaines dans L'assommoir et je la retrouve, magnifique et attirante dans ce roman.

Zola dresse un portrait de cette jeune femme très maligne, utilisant le seul pouvoir qu'avaient les femmes dans cette période, sa beauté. Car pour être belle, elle doit l'être, entraînant à ses pieds tous les hommes de tout milieu. Fous d'elle, ils seront prêts à mettre en péril leurs mariages, leurs réputations et leurs biens-être.

C'est un roman riche sur le monde du théâtre, des influences, de la prostitution et du monde équestre. du coup, on s'éloigne un peu du milieu plus modeste dont Zola est expert.
Mais la lecture est toujours aussi plaisante, j'ai beaucoup aimé la parole donné à Nana et ses ambitions.

Encore un roman fascinant de la part de ce grand auteur !
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Le miroir aux alouettes
est bien trop beau pour être vrai ...

Mais comment résister,quand l'on a faim, une faim terrible qui vous tenaille le ventre, et qu'une idée, seule, vous tient et vous entraîne : manger !

Au début, il s'agit de la faim bien réelle de ceux qui n'y mangent pas, justement, à leur faim. Ainsi Nana, s'échappant de chez elle, s'offrant, à quinze ans, sur une borne routière, pour quelques pièces, ratrappée par son père, qui la rosse. S'échapper, aussi, du froid, de la saleté, de la violence... On s'enfuit dès qu'on peut, comme on peut, où on peut...De bal de barrière en tripot, à la rue, aussi, lent apprentissage des hommes et de la façon de les tenir. Appétits qui se rencontrent...

Oh, à ce stade, l'on mange à sa faim, plus ou moins, à cette faim littérale du moins. Mais d'autres faims vous agitent. On peut gagner de l'argent en tenant un petit rôle dans un théatre, se faire des clients qui paient mieux, qui reviennent ! de spectacle en spectacle ... la haute bourgeoisie, l'aristocratie même viennent s'encanailler, en prenant des airs de sainte nitouche. Des Oh! et des Ah ! Miroir étrange, que celui du spectacle, et de ses suites, ou les unes font semblant d'aimer, et les autres affectent une respectabilté de pacotille, mince couverture, feuille de vigne vermoulue qui doit recouvrir la faim, vicieuse, ardente, qui les pousse. Ainsi le mensonge et la faim sont les deux constantes, qui affectent tant le haut que le bas de cette société. Faim jamais assouvie, mensonge éternellemnt soutenu, l'un va avec l'autre, est la condition de l' existence de l'autre.

Le monde du spectacle est le foyer des ces oppositions qui se rencontrent sans pouvoir se résoudre, et Nana est la personne qui concentre ces tensions en elle. Arrivée au sommet de son métier de courtisane quasi illetrée, elle engorge de véritables capitaux, menant un train de princesse, pourtant, elle n'a jamais un sou vaillant. Elle se veut mère aimante, mais visite son enfant - en nourrice - quand elle se souvient en avoir un, l'étouffe alors de caresses, puis disparaît. Elle exige une véritable fidélité de ses amants payants, mais se fait culbuter par tout ce qui bouge, et s'ennuie mortellement quand elle n'est pas occupée avec un homme. Dévore des paquets de pralines et grignote quelques radis au souper. Jamais couchée avant l'aube, ou levée avant onze heures, éternellement épuisée, sentant un vide intérieur angoissant dès qu'elle se retrouve seule ... La faim, toujours la faim ... mais de quoi donc ?

Autour d'elle, ces dames qui jalousent ses succès et lui volent ses amants ( elle n'est pas en reste). La coterie de flambeurs qui vendent forêts et châteaux dans l'insousiance totale, puis essayent de se refaire en épousant une riche héritière, s'ils en trouvent une. Quelques pervers tels que Chouard, vicieux à l'aune même de ce monde là, guettant les fillettes et les fonds de culottes. Quelques dévots. Un ou deux nigauds à dépuceler. Aucun saint, point d'héros. La faim et le mensonge, et rien que cela, pour tous. Quelle drogue cherchent ils donc ?

Pour Zola, ce roman structuré en palais des glaces est la dénonciation foudroyante d'une sociéte - celle du second empire - qu'il juge pourrie de fond en comble. Une société qui s'éffondre avec la défaite de Sedan. Gageons qu'il estimait qu'une politique plus juste saurait en recréer une bien meilleure. Je ne partage cet optimisme que modérément.

Le monde de Nana existe t-il encore en tant que tel ? Comment savoir ? Mais quand on entend que certain prince anglais, ami d'Epstein, n'ose plus se montrer au Royaume Uni, pas même entouré de gardes du corps... Quand on se souvient d'un ministre francais, de certains navires, de quelques oeuvres d'art, et d'une amie précieuse...En vacances l'on peut voir de l'autoroute une petite principauté qui n'a pas volé, sans doute, les plaisanteries de Coluche .. On ne peut pas savoir, mais on se demande ...
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