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Critique de thomassandorf


Sous-titré « Souvenir d'un Européen« , le monde d'hier est un texte dense et émouvant. Cri d'alarme poussé au milieu des ténèbres de la guerre, il retrace la vie de Zweig et, suivant son histoire personnelle, montre comment l'Europe a basculé inéluctablement dans une logique destructrice.

« Il n'y avait guère de ville en Europe où l'aspiration à la culture fut plus passionnée qu'à Vienne. »

Zweig nous parle d'abord d'une Autriche, prospère, cultivée, insouciante, héritière d'une histoire brillante qu'on ne connait absolument pas en France, l'Empire des Habsbourg. On pourrait croire qu'il idéalise le temps de sa jeunesse.

Cependant la nostalgie du bon vieux temps n'occulte pas les défauts de cette société rigide ; Zweig ne tombe pas dans un écueil aussi facile. Ce qu'il l'intéresse est plutôt de dévoiler la fracture qui sépare deux époques d'une façon radicale et violente et fait basculer sa génération dans la barbarie.

« Entre notre aujourd'hui, notre hier et notre avant-hier, tous les ponts sont rompus. »

Au terme du XIXème siècle, l'humanité glisse sur une pente raide. L'accélération du temps conduit à des ruptures brutales et incontrôlables dans une ampleur jamais connue à l'échelle d'une seule génération. Quel contraste avec le rythme paisible de ses parents ou grands parents ! Un paradoxe ne manque pas de surprendre entre un progrès technologique inédit tandis que dans le même temps le monde sombre dans une déchéance morale brutale.

Exilé à cause de la guerre, moralement épuisé par « les chevaux livides de l'Apocalypse (qui) se sont rués à travers (son) existence« , Stefan Zweig nous donne ce texte comme un testament en 1941 avant de mettre fin à ses jours.

Il ne s'agit pas d'un livre de plus dans la grande production de Zweig, mais bien d'un cri du coeur et, plus encore, d'un devoir : « Si, par notre témoignage, nous transmettons à la génération qui vient ne serait-ce qu'une parcelle de vérité, vestige de cet édifice effondré, nous n'aurons pas oeuvré tout à fait en vain.«

Si on s'intéresse plus à la biographie de Zweig, le lecteur risque d'avoir le tournis devant la liste des éminents personnages qu'il fréquente : des compositeurs comme Johannes Brahms, Richard Strauss, beaucoup d'écrivains et de poètes comme Paul Valéry, Jules Romain, Gide, Rainer Maria Rilke, Yeats, Claudel, Gorki, Arthur Schnitzler, Anatole France, Pirandello, Bernard Shaw, H.G. Wells, des hommes politiques tels Walter Rathenau, Théodore Herzl, et bien d'autres artistes ou intellectuels comme Freud ou Rodin.

Loin d'un simple « name droping », Zweig montre le lien quasi affectif qui le liait à chacun d'entre eux. D'une anecdote à l'autre, se dessine la carte d'amitiés solides qui traversent les disciplines et les pays.

« Vous êtes un homme libre, mettez à profit cette liberté ! »

Alors qu'il parcourait l'Europe avec cette facilité que nous n'avons plus connu qu'après les accords de Shengen, sur l'invitation de Rathenau, Zweig se lance à la découverte du monde. Puis survient 1914, l'enfermement commence. Les frontières font leur apparition et ne s'effaceront plus pour des générations. La montée du nazisme poursuivant le triste travail de la première guerre mondiale définit les contours dramatiques d'une bascule de l'homme moderne dans la barbarie.

Sans se limiter à cette peinture de son époque, Zweig nous donne aussi un accès à ses propres questionnements, aborde discrètement sa vie familiale et parle de ses succès littéraires. Au passage, alors qu'il évoque ses propres ouvrages, apparait la clé de sa méthode d'écriture, combinaison de travail documentaire pointilleux et de condensation littéraire (qu'il nomme « l'art du renoncement« ).

Texte brillant et passionnant sur lequel il y aurait tant à dire, j'ai cherché la raison pour laquelle, le monde d'hier reste d'actualité et nous parle encore.

Zweig livre ici de façon pressante un témoignage historique et une dénonciation des sectarismes politiques. Une urgence qui ne détonne plus dans notre Europe malmenée et rappelle le texte brillant de Guglielmo Ferrero, La Ruine de la civilisation antique.

Le monde d'hier est définitivement un ouvrage essentiel qui mériterait être inscrit au programme de nos lycées. C'est là que se trouve la « génération qui vient » citée plus haut, et qu'il convient de ne pas laisser dans l'ignorance.

T. Sandorf
Lien : https://thomassandorf.wordpr..
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