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Citations sur Le détour (54)

Que tout se soit passé ainsi, je l’ai nié ensuite à moi-même. Il m’a fallu arriver à cinquante ans pour reconnaître que j’avais été rapatriée. Après Vérone, j’ai pris l’habitude de raconter que j’avais été déportée à Dachau avec mes camarades à la suite de la grève, et j’ai fini par m’en convaincre. […] Mes souvenirs se rétrécissent. […] En 1961 seulement, année de « Sous les pierres » […], j’ai osé reconnaître ouvertement que je m’étais engagée volontaire dans un Lager. […] Et après, il m’a fallu encore quinze ans pour admettre que dans les Lager, j’y étais retournée de ma propre initiative.
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À présent je me demandais : si notre abrutissement, je l'ai imputé aux nazis, l'abêtissement des nazis à qui je dois l'imputer? Ils sont à leur tour les Untermenschen de qui? Ils se défoulent sur nous parce que nous leur avons été désignés comme sous-hommes ou plutôt, ils nous ont assumés comme tels. Mais eux, sont-ils des hommes libres ? Ils en sont réduits aux plus basses corvées de négriers, de geôliers, d'exterminateurs, de pillards, de tortionnaires et donc d'ultra sous-hommes. Pour le compte de qui? Il doit bien rester quelque part des gens qui ne font pas ces choses-là, sans qu'ils soient pour autant des victimes. Une humanité rien que de sous-hommes? Rien que d'esclaves-tyrans et d'esclaves-esclaves ou les premiers trient, embrigadent et surveillent les seconds? Un univers d'esclaves-victimes et d'esclaves-bourreaux? Impossible.
Réfléchissons.
[...]
J'avais compris que je me trouvais en face d'esclaves et cela me donnait une force infinie, me libérait du besoin de riposter du tac au tac aux nazis comme s'ils avaient été responsables de leurs propres actions. Alors qu'ils ne l'étaient pas. Ils étaient les exécutants de ceux qui avaient désagrégé leur conscience à partir des années vingt, dans cette chute vertigineuse du mark qui avait mis sur le pavé des millions de petits épargnants ruinés, des millions de travailleurs allemands. Le tout était de ne pas se laisser impressionner par le ton autoritaire que les esclaves-tyrans se donnaient.
C'était un masque derrière lequel il n'y avait rien. Il fallait les clouer à leur esclavage.
J'étais arrivée, à travers tant d'épouvantes et tant de coliques, à me convaincre qu'ils n'avaient aucun pouvoir sur moi si ce n'est celui que je leur donnais et je me suis réellement sentie soulagée. Je n'ai même pas été effleurée par le doute que mon diagnostic pouvait être subjectif. Pour moi, son objectivité était indiscutable, prouvée par ses effets sur mon esprit : je ne sentais plus ma peur.
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La lâcheté m'a toujours dégoûtée. Quand les officiers s'arrêtèrent devant moi et apprirent que j'étais italienne, le plus imposant d'entre eux dit machinalement:
"Fasciste, non ?
-Fasciste oui", que je répondis.
ils appelèrent un interprète et l'interrogatoire commença.
J'avais bien été fasciste fanatique; inscrite au G.D.F. mais antinazie convaincue en Allemagne; pour ce qui concernait le fascisme en particulier, je ne pouvais formuler aucun jugement, sauf sur son alliance avec Hitler. Les problématiques de l'Italie étaient depuis trop longtemps éloignées de mon quotidien.
Au bout du compte, ils m'exprimèrent toute leur estime pour ma sincérité et pour ma dignité. (p. 138)
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Quelques mots sur Luce d'Eramo [par Corinne Lucas Fiorato, l'une des meilleurs connaisseuses de l'oeuvre de Luce d'Eramo ]

Peut-on résumer la conception de la littérature selon Luce d'Eramo

Peut-être par tempérament, peut-être parce qu'elle avait vu, très jeune, mourir les autres bien des fois, et frôlé la mort elle-même, ses écrits, qu'ils soient universitaires, romanesques, ou journalistiques, montrent que, pour elle, la littérature n'est pas un ornement classant l'écrivain dans une sorte de l'intelligence. Elle est un moyen d'apprendre à connaître ce qui nous entoure et de le partager avec les autres. (p. 528)
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Mais j'étais mieux avec les folles. Je devais veiller à ne pas donner l'impression d'avoir des préférences bien que ma favorite soit en réalité ma turbulente voisine qui donnait des coups de poing à toutes les autres et les dominait dans sa vitalité effrénée. Courant, il suffisait que je l'appelle en italien pour qu'elle se couche docilement. Elles avaient toutes un besoin d"humanité, de rationalité, d'affection qui me déchirait le coeur. Toutes les neuf étaient espiègles, farceuses, indécentes et ombrageuses. Elles ne comprenaient pas ce que je disais mais elles sentaient l'état d'âme qui était derrière. Je devais toujours rester sur le qui-vive, comme un dompteur avec ses tigres. elles exigeaient que je rende la justice et s'en remettaient à ma sentence pour le moindre litige. Elles ne cessaient de se crêper le chignon comme des enragées. (page 186)
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[…] toujours est-il que mes souvenirs ne m’aidaient pas du tout. Ils en sont arrivés à se liguer ensemble contre moi pour m’empêcher de passer. C’était comme un embouteillage. Un épisode en tamponnait un autre, lequel en cabossait un troisième et ainsi de suite. Il en surgissait des nouveaux de partout, si bien que les positions respectives de chacun changeaient continuellement. Et puis, ils s’en prenaient à moi. Chacun d’eux prétendait être un souvenir authentique, contrairement à l’autre prétentieux d’à côté qui, poussé par mon imagination, voulait le doubler.
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J'avais refoulé tout cela
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En fait, chacun (moi comprise) s'habituait à l'agonie de son voisin, l'esprit tendu vers sa propre survivance, obligé de se rendre unique pour ne pas mourir. (p. 364)
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De retour à la maison, au camp, où tout est tranquille, mon épouvante dissoute me semble une hallucination. Je voudrais parler avec quelqu'un , raconter, me libérer. Mais en même temps, je sens que ma clandestinité sera protégée tant que les autres ne me verront ni souffrir ni avoir peur. (p. 53)
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Désormais, je ne vivais plus que pour tenir compagnie à la mort des autres et cette activité m'absorbait tellement qu'elle multipliait mes forces (p. 129)
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