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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Dans l'imagerie populaire, le combattant japonais de la seconde guerre mondiale est l'héritier du samouraï. Il ne craint pas la mort, il consent au sacrifice de sa vie pour servir son pays. Au déshonneur, il préfère le suicide. le soldat du roman de Shôhei Ôoka, Tamura, est tout le contraire. L'anti-héros parfait. Il est couard, égare son fusil, assassine une pauvre femme sans mesurer la gravité de son acte, se cache quand les balles sifflent et fait peu de cas de son Empereur. de toute façon, la mort se refuse à lui. Elle le poursuit sans jamais l'atteindre, de l'hôpital en feu où il demande asile jusqu'aux rivages bombardés par l'aviation américaine. Ça fait de lui un zombie parmi les cadavres en décomposition de ses camarades et les paysages calcinés. Là réside le paradoxe. Plus il survit, plus il souhaite mourir et moins son périple lui en donne l'occasion. Serait-il l'envoyé de Dieu ? Dans quel but ? Tamura interroge le ciel embrasé, les animaux qui fuient, les plantes qu'il dévore – il se confronte au vivant et fait ce constant terrifiant : je ne mérite pas ce monde. Beaucoup de scènes m'ont rappelé le film de Terence Malik, la ligne rouge, quand le soldat fait corps avec la nature et que les hommes (les ennemis) l'en délogent. C'est un livre dont le titre rappelle aussi le chef d'oeuvre d'Henri Barbusse. Il en est proche, notamment dans l'implacable description du processus de déshumanisation des soldats confrontés aux horreurs des combats. Dans ce roman, la négation de l'homme, a le visage du cannibalisme. L'innommable, dans cette guerre-là, c'est de manger son prochain. Tamura en sera marqué pour le restant de ses jours. Tout comme la lectrice que je suis.

Bilan : 🌹🌹
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La guerre du Pacifique vue du côté japonais. Et même le commencement de la débâcle de l'armée nippone dans la jungle des Philippines. Un groupe de soldats complètement perdus, ne retrouvent plus leur bataillon. Ils meurent les uns après les autres, de faim, de soif, d'infection… L'horreur de la guerre dans toute son ampleur.
Pour survivre, ils ont recours au cannibalisme.
Roman sur l'homme qui débouche sur une réflexion ontologique.
Les écrivains japonais n'hésitent pas à parler de ce qui dérange. Ça ne change pas forcément les choses mais c'est salutaire.
Un grand roman sur un grand sujet.
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"Finalement, ils étaient comme moi des rebuts abandonnés par leur compagnie vaincue. [...] on aurait dit des animaux plutôt que des êtres humains."  (P. 42-3)
Tamura est l'un de ces soldats japonais abandonnés sur une île au cours de la Guerre du Pacifique. Il erre depuis que son chef lui a conseillé de crever. En effet nombreux sont les soldats japonais qui n'ont rien à manger, sans chef, sans ordres, sans ravitaillement. Où se trouve donc l'organisation et la rigueur qu'on prête au peuple japonais ? 
C'est en ce sens une découverte qui bouscula le lecteur que je suis. 
N'y cherchez pas les scènes d'action les scènes de combat...Non, il ne s'agit que d'une longue errance, l'errance d'un homme taraudé par la faim, miné par la défaite, un homme à la recherche d'autres combattants, à la recherche des siens. 
Tamura, du reste, n'a pas l'âme d'un combattant, comment donc pourrait-il avoir envie de se battre. Il est seul, il ne rencontre que des cadavres, certains dont les fesses ont été découpées et mangées par d'autres soldats, comme lui, abandonnés par leur hiérarchie. Lui est sans aucun doute bien plus humain que les autres, car il se refuse à  de telles pratiques. Et pourtant.....Je ne vous raconterai pas. 
Corps en décomposition, corps découpés, vidés, pourrissants ...heureusement que ce corps affamé est guidé par un esprit sain, qui refuse les ignominies. 
Ces descriptions de corps, de souffrance ne servent en fait qu'à dépeindre l'âme humaine, l'âme de certains capables du pire pour satisfaire leur corps, et l'âme d'autres, incarnés par Tamura qui malgré la tentation de la faim résistera.
Cet esprit sain souffre bien sur, voire surtout, du comportement des autres soldats, de certains chefs; des ignominies que de nombreux soldats, voire de nombreux chefs sont capables de commettre, de l'inhumain qui est est en eux. 
Mais restera-il un esprit sain?
Un beau coup de coeur !
Lien : https://mesbelleslectures.co..
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Un soldat japonais est abandonné en 44 par son commandement sur une île des Philippines. Ce voyage au bout de l'enfer made in Japan surprend par sa portée universelle tant le désespoir et la volonté de vivre de Tamura rejoignent ceux de tous ces soldats engagés dans des conflits qui les dépassent. Intellectuel peu porté sur le hara-kiri, son humanité sera mise à l'épreuve à plusieurs reprises mais toujours une petite lumière brûlera en lui. Roman de la souffrance extrême, "Les feux" peut se comprendre aussi comme une célébration de la vie et un pamphlet anti-militariste sans concession. Fort !
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Roman autobiographique, Les Feux raconte les errances physiques et morales d'un soldat japonais égaré, dans tous les sens du terme, sur une île des Philippines. L'histoire débute après la Bataille de Leyte, entre les Japonais et les Américains, épisode sanglant, comme tant d'autres, de la 2e Guerre mondiale dans le Pacifique.

Dans l'île en proie à la guerre et au chaos, le soldat Tamura, malade, affamé, seul, traumatisé, déroule ses réflexions et ses pensées avec une logique plus ou moins délirante. C'est dur, c'est terrible, c'est impensable et c'est humain. Les horreurs de la guerre ne nous sont pas épargnées, certains épisodes sont très difficiles à lire. Pourtant c'est prenant, je n'arrivais pas à lâcher mon livre.

La plume est fluide, simple ou dense selon ce qui est raconté, mais toujours ciselée à la perfection, en totale adéquation avec le récit. Les images utilisées sont marquantes et efficaces. On sent les déchirements intérieurs du narrateur tout autant que ses souffrances physiques. le parcours retracé ici, halluciné et apocalyptique, n'est pas facile à lire et en même temps je ne pouvais pas m'arrêter. J'ai été fascinée par ce côté halluciné, par l'absence de frontière entre la réalité et les visions de Tamura.

Une lecture qui laissera son empreinte.
Lien : https://bienvenueducotedeche..
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Ce classique japonais nous plonge dans une guerre assez lointaine, pour nous Européens : la guerre du Pacifique. Il s'agit d'une guerre opposant le Japon et les Etats-Unis.
Dans ce court roman nous suivons un soldat japonais, qui tente de survivre , dans ce chaos, bloqué aux Philippines. C'est un roman qui m'a laissée retournée. En effet, les descriptions faites peuvent être assez crues. On nous décrit la maladie, la faim, la survie, l'instinct animal, la cruauté humaine, la guerre, etc. Je peux affirmer que c'est le roman parlant de la guerre qui m'a le plus touchée à ce jour.

Je vous recommande ce roman japonais qui mérite d'être lu !
Petit bémol pour les âmes sensibles, je pense qu'il vaut mieux s'abstenir...
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Cette ballade d'un soldat japonnais coupé de son unité n'a rien d'une partie de campagne.L'île de Leyte ayant été reprise par les américains en 1944, des soldats vaincus errent sans but mais surtout sans ravitaillement et sans espoir.

L'homme ordinaire Tamura dans la solitude et la faim, entre rêve et réalité trouvera du réconfort dans le souvenir des femmes aimées et de la religion de son enfance.
Dans ces conditions extrêmes les réflexes primaires vont reprendre le dessus, l'altruisme initial laisse place à l'instinct de survie. Tamura va être confronté à deux des tabous ultimes de l'espèce humaine : le meurtre et le cannibalisme. Un des enjeux du livre est de savoir ce qui peut faire basculer l'homme et si la rédemption est possible, peut on aussi juger du comportement d'un homme mis dans une situation désespérée ? qui est le plus fou ? celui qui survit à tout prix ou celui qui le juge depuis un confortable fauteuil ?
Voilà un livre qui n'est guère aimable mais qui pose des questions majeures sur l'Homme.
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Première partie d'une chronique portant aussi sur les deux adaptations cinématographiques du roman : http://nebalestuncon.over-blog.com/2019/03/les-feux-de-shohei-ooka/feux-dans-la-plaine-de-kon-ichikawa/fires-on-the-plain-de-shinya-tsukamoto.html

Je vais retenter la même expérience que pour Narayama il y a quelque temps de cela, en chroniquant en même temps un roman japonais, en l'espèce Les Feux (Nobi 野火) d'Ôoka Shôhei, datant de 1952, et ses deux adaptations cinématographiques japonaises, tout d'abord Feux dans la plaine, d'Ichikawa Kon (1959), et ensuite, bien plus récente, Fires on the Plain, de Tsukamoto Shinya (2014).



Et attention, les gens : si parler de SPOILERS est à vue de nez un peu étrange pour ce roman et ces films, je vais, dans cet article, révéler des éléments cruciaux du récit – alors à vous de voir…



À l'origine, il y avait donc un livre : Les Feux, roman d'Ôoka Shôhei, paru en 1952, et qui a considérablement marqué la littérature japonaise de son temps en envoyant aux orties un certain nombre de tabous. C'est que l'auteur y revenait sur son expérience de la guerre, et des atrocités qui lui étaient liées. Or, à cette époque, c'était là un sujet très difficile à traiter au Japon : les Japonais n'étaient guère disposés à revenir sur ce qui, pour eux, avait constitué une humiliante défaite, et encore moins enclins à mettre dans la balance les crimes commis par l'armée japonaise, en son sein mais plus encore contre les populations conquises (à vrai dire, sur ce point, c'est toujours compliqué aujourd'hui...) – et, durant les années qui ont suivi immédiatement la capitulation, les autorités d'occupation américaines préféraient de même que l'on évite de traiter de certains sujets jugés trop noirs et dangereux en étant tournés vers le passé, là où il valait bien mieux « construire ensemble » un avenir plus lumineux et démocratique : la censure pouvait donc se montrer très sévère.



Ôoka Shôhei, critique et spécialiste de la littérature française (notamment De Stendhal), a combattu sur le front : il a été appelé courant 1944, alors que la situation était déjà catastrophique pour le Japon depuis bien deux ans, et, après une formation hâtive, il a été envoyé sur le théâtre d'opérations philippin, qui devait sceller le sort de l'armée japonaise : fin 1944, début 1945, les Américains et les partisans philippins emportent la bataille terrestre sur l'île de Leyte, tandis que la flotte japonaise est anéantie durant la bataille dite du golfe de Leyte – la plus grande bataille navale de l'histoire.



Là-bas, Ôoka Shôhei, comme tant d'autres de ses compatriotes (pensez à ce que raconte Mizuki Shigeru dans les tomes 1 et 2 de Vie de Mizuki, par exemple), subit un véritable enfer et assiste à des atrocités sans nom. Il erre dans la forêt, seul, pendant des dizaines de jours, avant d'être capturé, en janvier 1945, par les Américains, et envoyé dans un camp de prisonniers – il ne rentrera au Japon qu'à la fin de 1945.



L'expérience avait constitué un véritable traumatisme – et, exceptionnellement, l'emploi de ce terme n'est pas une figure de style, ainsi qu'on aura l'occasion de le voir. Ôoka ressent le besoin de parler, de témoigner, dans un contexte qui, on l'a vu, n'y était pas très favorable. C'est le moteur de sa carrière littéraire : à la suggestion d'amis, mais aussi semble-t-il de son psychiatre, il rédige ses mémoires, Journal d'un prisonnier de guerre, ce qui lui impose de jongler avec les sentiments de la censure américaine. Un premier roman, sur un tout autre sujet, La Dame de Musashino, lui vaut également l'attention de la critique. Mais il n'en a pas fini avec la guerre, et, en 1952, il publie donc Les Feux, qui revient sur son expérience aux Philippines ; il s'agit cette fois d'un roman, pas de mémoires, mais les traits autobiographiques sont nombreux, personne n'en doute. Et le livre fait l'effet d'une bombe, si j'ose dire : Ôoka y dénonce frontalement les méfaits du commandement impérial qui avait totalement abandonné ses soldats sans le moindre ravitaillement, les amenant par la force des choses à perdre toujours un peu plus leur humanité, jusqu'à franchir la ligne rouge – celle… du cannibalisme. le réquisitoire est impitoyable, et ce d'autant plus qu'il sonne vrai, même sous sa forme romanesque ; il en résulte un tableau proprement terrifiant, une condamnation sans appel des horreurs de la guerre et des crimes de l'armée japonaise.



Le roman met en scène un soldat du nom de Tamura, qui souffre de tuberculose – une mauvaise idée, sur le front… Son supérieur, le jugeant incapable de se montrer utile, l'en rend responsable, et le chasse pour qu'il retourne à l'hôpital de campagne qui l'avait pourtant renvoyé, avec de maigres rations – mais on le chasse également de l'hôpital… Alors il n'a que se suicider ! Il a bien une grenade, qu'il s'en serve, c'est le seul moyen pour lui de se montrer utile à son pays ! Autant dire que ça commence bien…



Mais l'hôpital est bombardé, et Tamura contraint d'errer seul dans la jungle. Puis, attiré par la croix surmontant un clocher, il arrive dans un village abandonné, et y trouve quelque chose de très précieux : du sel ! Hélas, c'est le moment que choisit un couple de jeunes Philippins pour retourner au village – et, sous le coup de la panique, Tamura abat la femme ; l'homme prend la fuite, et il ne fait aucun doute qu'il va chercher les partisans – qui effrayent les soldats japonais bien plus que les soldats américains : les guérilleros philippins entendent leur faire payer les rigueurs de l'occupation… Et c'est à cela que renvoient ces « feux dans la plaine » : des fumées qui s'élèvent çà et là, dont les soldats japonais ne comprennent pas très bien le propos, mais qu'ils sont portés à envisager comme un moyen de communication employé par les partisans – ces feux sont une menace permanente, d'autant plus terrifiante qu'elle est impalpable…



Les errances solitaires de Tamura, qui a abandonné son fusil par dégoût, sont interrompues par la rencontre d'autres soldats japonais, qui l'informent qu'ils doivent traverser l'île et se rendre à Palompon pour y continuer le combat – mais atteindre cette destination implique de franchir les lignes américaines, autant dire que c'est du suicide…



Et la situation est rendue plus terrible encore par la faim omniprésente. L'armée japonaise ne s'est jamais montrée très généreuse avec ses soldats, pour ce qui est des rations – mais, à ce stade du conflit, elle les a tout bonnement abandonnés… Il n'y a aucun ravitaillement : les soldats de l'empereur sont supposés vivre du terrain, Demerden Sie sich autrement dit, et la situation est toujours plus catastrophique…



La faim est le motif central des Feux – et son moteur, et un outil métaphorique de choix. Tout y renvoie à la faim – et ce dès le tout début du roman comme des films, avec ces bien maigres rations, de patates douces ou de manioc, qui sont censées « acheter » une place temporaire à l'hôpital ; de même quand Tamura tombe sur un Philippin en train de cuisiner, ou trouve le sel dans le village, etc.



Mais ce thème à la base très dur devient plus sombre encore à mesure que la menace du cannibalisme est introduite dans le récit. Dans les premières occurrences, notamment quand Tamura rencontre un petit groupe de trois soldats très intéressés par son sel, cela sonne comme une mauvaise blague – un peu inquiétante d'ores et déjà, cela dit : cela semble beaucoup amuser le caporal que de faire trembler Tamura en lui racontant que son groupe, pour survivre en Nouvelle-Guinée, a bien dû recourir à la consommation de chair humaine… Mais chaque nouvelle mention du cannibalisme sonne plus concrète que celle qui précède, et la mauvaise blague n'a très vite plus rien de drôle. Ainsi quand Tamura tombe sur un soldat devenu fou, et emporté par une crise mystique bouddhique (nous verrons que Tamura n'est pas insensible à ces pensées, même si, dans son cas, c'est la mystique chrétienne qui l'emportera), qui lui offre de le manger une fois qu'il sera mort…



Et le cauchemar devient toujours plus matériel. Lors de ses pérégrinations, seul ou en groupe, Tamura ne cesse de recroiser les mêmes deux personnages : Yasuda, un vieux bonhomme cynique à la jambe cassée, et Nagamatsu, un jeunot naïf que le précédent exploite sans vergogne – Yasuda a accumulé une réserve de tabac, que Nagamatsu (peu doué…) est supposé échanger contre du manioc ou des patates douces. Mais, lors de cette ultime rencontre, les choses ont changé – c'est qu'ils ont à manger ! Yasuda a appris à Nagamatsu comment chasser « les singes »… et Tamura ne se fait guère d'illusions sur ce que cela signifie : Nagamatsu chasse des êtres humains, des soldats japonais ! L'ultime ligne rouge a été franchie, la déshumanisation est totale… Et double, en fait, car cela s'applique aussi bien au prédateur, qui abandonne de lui-même son humanité, qu'à la proie, hypocritement animalisée par cette désignation de « singe ». Or la confiance ne règne pas entre les trois soldats, en toute logique, et tout cela s'achèvera dans une tuerie…



Mais, ici, le roman et les films (surtout celui d'Ichikawa Kon) se concluent de manière très différente. le roman, en effet, se termine par un épilogue assez développé, quelques années plus tard : Tamura est dans un hôpital psychiatrique, où on le soigne en raison du véritable traumatisme qu'il a vécu sur Leyte – on le voit, le mot n'est pas employé gratuitement ici, c'est bien d'une pathologie psychiatrique qu'il s'agit. Ce traumatisme affecte la mémoire de Tamura, qui ne sait plus très bien ce qui s'est passé « à la fin », en même temps que le souvenir de la femme qu'il a tuée continue de l'obnubiler.



Mais l'esprit malade de Tamura a eu recours à un moyen un peu tordu pour lui permettre de « survivre » et de composer avec les atrocités qu'il a vécues. Lui, « l'intellectuel », qui dissertait sur Bergson durant ses errances solitaires, mais tout autant théologie, après son expérience dans l'église, a développé une sorte de complexe messianique d'inspiration essentiellement chrétienne (avec quelques traits bouddhiques cela dit – notamment concernant le respect de tout le vivant, animal ou végétal, qu'il ne faut pas tuer pour manger), doté d'une symbolique forte qui englobe aussi bien la croix que les feux des partisans, dont la signification devient en quelque sorte apocalyptique, un délire dans lequel l'idée de l'eucharistie se teinte de nuances forcément plus sombres au regard des pratiques cannibales des soldats japonais abandonnés. La foi et la faim sont ainsi imbriquées jusqu'à la folie obsessionnelle, et Tamura halluciné se figure tantôt en ange exterminateur, tantôt en ascète, tel un bouddha christique porteur de la bonne parole de la faim ; écrire doit lui permettre de ramener du sens dans son passé traumatique et absurde…



Les Feux est un roman très éprouvant – on conçoit bien à quel point ce livre, en 1952, dans un contexte où le Japon refusait de se repencher sur son passé immédiat (ce qui confère d'ailleurs au traumatisme de Tamura une signification supplémentaire), ce livre donc a pu produire un tel choc. Il a contribué, avec d'autres, à libérer la parole des conscrits – ces jeunes gens qui, au nom du fantasme impérial, et au travers de mille mensonges de l'élite militaire, ont vécu sur le terrain un véritable enfer. S'il n'adopte pas les atours d'un pamphlet, le roman d'Ôoka Shôhei n'en dénonce pas moins les impostures de la guerre comme du nationalisme, avec la force de la colère et de la honte : il n'y a rien d'héroïque dans la guerre, qui n'est qu'une entreprise de déshumanisation poussée jusque dans ses extrêmes limites – et même la franche et fraternelle camaraderie du front, tant vantée dans quantité de romans, de BD, de films ou de séries pas avares de clichés et de flonflons, cette idée naïve et creuse à la Band of Brothers, sonne en définitive comme une mauvaise blague, quand votre semblable s'interroge sur la possibilité de vous manger pour survivre, ou, pire encore, quand c'est vous-même qui vous posez la question quant à votre semblable.



J'ai trouvé très intéressante, par ailleurs, la manière dont Ôoka traite du thème du traumatisme – et, pour le coup, de manière assez visionnaire, anticipant notamment sur quantité de récits portant sur la guerre du Vietnam, mais en posant la question frontalement, au travers de cet épilogue tout dédié aux considérations psychiatriques liées à l'expérience militaire. Or cette dimension est totalement absente du film d'Ichikawa Kon, et seulement allusive dans celui de Tsukamoto Shinya.



Mon regret, ici, porte sur une traduction parfois pas tout à fait à la hauteur (la première traduction de ce roman était semble-t-il bien pire, mais, concernant Rose-Marie Makino-Fayolle, que j'ai souvent lue traduisant Ogawa Yôko notamment, le niveau m'apparaît globalement très variable), et un texte pas ou mal relu, avec de nombreuses coquilles, dont un certain nombre qui semblent provenir d'un OCR imprécis. C'est dommage, même si le plaisir de lecture demeure…
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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Voici donc un livre de Shôhei Ôoka (1909-1988), auteur réputé pour ses écrits et qui a remporté le prix Yomiuri en 1951 pour ce roman. Il a écrit ce livre, fortement inspiré de son propre vécu, sur la survie de l'homme et ses capacités à faire face à la solitude et la faim. J'ai trouvé ce livre très marquant, d'une part car il traite de la défaite de l'armée japonaise et de la difficulté de ses soldats à respecter le code d'honneur ou simplement de survivre et d'autre part de la dégradation psychologique de l'homme dans cette situation.

Le style est très agréable, on plonge doucement dans l'univers de Tamura à travers ses pensées, ses critiques envers l'armée, la vie et lui-même. On est saisit par sa volonté dans sa lutte pour garder son humanité. On éprouve une compassion pour ces soldats, abandonnés, dépouillés et affamés qui ne pensent plus qu'à une chose…survivre. L'auteur nous fait partager les doutes avec beaucoup de sensibilité et on arrive à se poser la question ‘Et s'y c'était moi ? »

La situation de détresse est telle que l'on découvre l'effroyable passage à des actes de cannibalisme, ce que l'auteur décrit avec prudence. Ce qui est étonnant c'est que l'on éprouve pas véritablement de malaise à la lecture du livre, mais plutôt une forte compassion et beaucoup de tristesse.

Le livre est découpé en chapitre et on sent toute l'inspiration de la littérature européenne dans sa construction, mais la plume japonaise est bien présente ;-) .

J'ai bien aimé ce livre et j'ai envie de découvrir un peu plus l'oeuvre de Shôhei Ôoka, notamment Reite senki, relatant la bataille de Leyte.

Mon petit point positif :

L ‘auteur à travers ce livre met en avant son témoignage sur l'horreur de la guerre et rappelle que pour beaucoup de soldats n'ont pas choisit de la faire mais que tous en ont souffert.
Lien : http://www.tamisier.eu/les-f..
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C'est un récit que j'ai lu au détour d'un échange sympathique sur Babelio, juste comme cela, par curiosité. Je ne le regrette pas. Ce texte aborde plusieurs thèmes à dimension universelle, du moins du point de vue humain : l'homme et la guerre, l'homme et ses désespérances, l'homme et ses limites à l'humanité, l'homme et la Nature, l'homme et les autres, l'homme et lui-même.
Originalité du roman, pour nous occidentaux imprégnés de l'Histoire vue de notre côté, cet homme est un soldat japonais égaré sur une île des Philippines, à la fin de la seconde guerre mondiale, en pleine déroute militaire de son pays. Un homme malade, au presque bout du bout, qui ne tient sa vie que par un fil ténu dont parfois il n'a que faire, sinon de se laisser porter par les dernières forces que peuvent encore produire son corps.
Un roman plein de sensibilité qui m'a fait toucher des yeux cette universalité de notre humanité. Et bien sûr, plein de questions à se poser ensuite, quand bien même on se les est déjà posées tant et tant de fois en lisant ces romans de guerre et tant d'autre qui font ressortir tous ces saisissants contrastes dont nous sommes parfois capables.
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