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Certifié conforme" est un recueil de 9 nouvelles, écrites en 2016, dont le fil rouge est la ville de Diyarbakir.
Diyarbakir, se trouve en Turquie dans la région de l'Anatolie du sud-est et principalement peuplée de Kurdes. C'est la ville natale de l'auteur Murat Özyasar.
Avec son pinceau d'encre noire,
Selçuk Demirel a calligraphié d'une manière épurée et touchante, la fragilité et la solitude des Kurdes.
La lecture des nouvelles se révèle étrange jusqu'à ce qu'on se familiarise avec l'écriture poétique.
Diyarbakir, c'est une ville sans espoir que l'auteur arpente avec ses souvenirs comme seul guide.
"le kurde, parce qu'il a été interdit, n'est pas un kurde correct, .../... le turc, parce que ceux qui vivent là ne sont pas turcs, n'est pas un turc correct .../... c'est une langue qui « boite »"
"Il est question d'une langue fêlée qui contamine à la fois mon intellect, ma façon de concevoir les choses et de comprendre les objets" page 27
Le langage entrave la pensée, car les mots sont hybrides (mi-turc, mi-kurde) : le cauchemar de l'auteur qui est un brillant écrivain.
La nouvelle "L'âge de certains mots" raconte l'évolution du langage au fil des âges. Il y a un âge pour apprendre certains mots. Certains mots ont un âge. Certaines histoires commencent par "lorsque le temps fut venu". L'auteur nous dit que pour Diyarbakir "le temps venu" a commencé dans les années 90 (1,5 millions de kurdes ont fui l'Irak lors de la guerre du Golfe) et a apporté le mot "serhildan" signifiant révolte, soulèvement.
"Le nombre de mots devant votre porte augmente de jour en jour ..."
Quand quelqu'un dit "Le tilleul est meilleur que le thé" vous comprendrez que la police fait une descente dans le quartier.
Ainsi s'exprime l'auteur, dans une écriture imagée, répétitive et poétique, tantôt ironique, tantôt poignante. "La colère et le rire c'est bien, ça vous garde en vie". Les mots et leur étymologie font écho aux problèmes politiques de la région où vivent les Kurdes.
Toutes les histoires frappent l'esprit ; elles sont en quelque sorte une représentation photographique, un instantané, un fragment de vie, une peinture de l'âme humaine : un aveugle qui se repère avec les impacts de balles sur les murs de la ville, un balafré qui fume et se défonce jour et nuit, une mère qui cherche son fils…
Les mots, toujours les mots… Murat Özyasar est un érudit des mots et de la phrase.
Dans le vocabulaire kurde, il y a un mot pour dire orphelin de père, ou bien orphelin de mère. Mais qui est l'orphelin maintenant ? "Ce n'est plus l'enfant qui a perdu sa mère qui est orphelin, c'est la mère qui a perdu son enfant à la guerre".
Le film "Yol, la permision" dont le scénario a été écrit en prison par Yilmaz Güney a été primé à Cannes en 1982 et est resté interdit en Turquie jusqu'en 1999.
Trente ans de conflit, comment Diyarbakir peut-elle faire le deuil de son passé tragique, et se tourner vers l'avenir ?
Merci à Babelio et les Éditions Kontr pour la découverte de ce recueil pas toujours évident à lire.
Si je peux me permettre une suggestion, j'aurais aimé quelques rappels politiques en complément des annotations en fin d'ouvrage.