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Dans les méandres de la Réunification
Interview : Bernhard Schlink à propos de La Petite-Fille   

Article publié le 20/02/2023 par Pierre Krause 

 

Alors que sa femme vient de mourir, Kaspar découvre un manuscrit de sa main dans lequel celle-ci révèle un pan de son passé, et notamment l'abandon de son nouveau-né au moment de son passage d'Allemagne de l'Est à celle de l'Ouest. Rongée de remords, Birgit envisageait de retrouver son enfant sans jamais franchir le cap des recherches. C'est Kaspar qui se lance, décidé à découvrir la vie de cette enfant de l'Est. 

Le grand auteur allemand, à qui l'on doit notamment Le Liseur, revient sur le passé compliqué d'une Allemagne déchirée tout en dessinant le portait - et l'avenir ? - d'un pays qui n'a pas encore pansé ses plaies. 

Attention, certaines questions ou réponses dévoilent quelques moments-clés de l'intrigue. 

 

©Francesca Mantovani - Gallimard

 

Le roman commence par le deuil d'un homme qui a perdu sa femme, Birgit, et qui se rend compte qu'il ne la connaissait pas aussi bien qu'il le pensait. Qui est-elle exactement ? Est-ce qu'elle représente toutes ces personnes de la RDA qui se sont réfugiées en RFA sans forcément y trouver leur place ?

Les expériences que Birgit fait après être passée de la RDA à la République fédérale ne sont pas seulement partagées par d'autres personnes qui sont passées de là-bas à ici. Après la réunification, les Allemands de l'Est ont également été confrontés aux attentes des Allemands de l'Ouest, qui leur demandaient d'être comme eux, dès lors que la dictature du SED (le parti socialiste unifié d'Allemagne) était terminée. Le fait qu'ils aient apporté avec eux leurs propres destins différents, leurs propres conceptions différentes, leur propre vie différente, n'a pas été reconnu et a été rejeté.


La voix de Birgit transparaît dans le manuscrit que découvre Kaspar. Etait-ce important de lui donner une voix ? 

Oui, c'était important. Elle meurt avant que le livre ne commence, c'est très important pour la suite de l'histoire - nous devons apprendre à la connaître, et comment le faire mieux qu'en l'écoutant ? Et nous, Occidentaux, devons de toute façon écouter avec une attention particulière ceux qui viennent de l'Est si nous voulons les comprendre.


Dans son manuscrit, on trouve cette phrase : « Malheur à ce qu'on cache, malheur à ce qu'on tait » ; c’est aussi votre vision du monde, ce que l’on cache ressurgit forcément de la pire des façons ? 

Dans une relation, les secrets ne cachent pas uniquement ce qu'ils sont censés cacher, ils modifient aussi le reste de la relation, dans laquelle ils introduisent de la prudence, de l'incertitude, de la méfiance.

Ils interrogent le monde, qu'il s'agisse de secrets « légitimes » - secrets d'affaires, de production, d'État -, ou encore de secrets illégitimes qui font effectivement des dégâts, ne serait-ce qu'en gardant caché ce qui devrait être révélé publiquement, et en faisant s'écrouler comme des châteaux de cartes, les constructions mensongères fondées sur eux s'ils sont justement révélés - que ce soit avec malveillance ou bonne volonté.



La fille de Birgit, Svenja, finit par vivre au sein d'une communauté völkish : des néo-nazis qui s’organisent entre eux dans les campagnes. Que vouliez-vous explorer à travers cette communauté ?

Les Völkischen sont un segment de l'éventail de droite qui, avec sa touche écologique, est plus proche de notre époque que d'autres segments de l'éventail de droite. C'est là que grandit Sigrun, la fille de Svenja, et Kaspar doit se rapprocher de cette communauté pour l'atteindre.


Entre alcool et violence, le parcours de Svenja est très triste : elle représente pour vous assez fidèlement la jeunesse désœuvrée, en colère, qui a grandi en Allemagne de l’Est ?

Svenja est l'une des nombreuses jeunes qui, en RDA, se sont rebellées contre leurs parents, qui incarnaient le système, puis contre ce même système en rejoignant l'extrême-droite. 

 

Kaspar fait assez vite la rencontre de Sigrun. Elle est tout aussi fascinante que terrifiante : elle est en effet extrêmement intelligente et pourtant complètement embrigadée dans les pensées de sa communauté (raciste, antisémite, etc.). Comment avez-vous construit ce personnage ? Que représente-t-elle ?

Oui, Sigrun est fortement influencée par les Völkischen auxquels appartiennent ses parents et au milieu desquels elle grandit, tout en ayant développé une intelligence qui lui est propre. Pendant longtemps, les personnes d'extrême-droite ont été considérées comme un peu primitives, un peu arriérées, un peu stupides. Et effectivement, certains sont comme ça, mais d'autres sont différents.

 


L’une des clefs de la transmission « positive » entre Kaspar et Sigrun, est-ce l’art ? La littérature autant que la musique ?

Kaspar ne peut pas atteindre Sigrun en la sermonnant, en opposant son endoctrinement juste à celui, incorrect, de ses parents. Il essaie de lui ouvrir un autre monde, plus grand, alors que son monde à elle est finalement petit et étroit. Il y parvient avec la musique, le piano, pour lequel Sigrun a un don et développe une passion.



Bernhard Schlink à propos de ses lectures
 


Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?


Mes premiers livres étaient des romans policiers. Je ne voulais pas, comme beaucoup le font, écrire mon premier livre sur moi. Dans un roman policier, comme dans une affaire juridique, il s’agit d’abord de développer un problème, puis de le résoudre. Aussi, j’aimais les romans policiers, surtout les romans américains, en particulier The Long Goodbye de Raymond Chandler. J’aime toujours ce livre, mais ce n’est pas celui-ci, ni d’ailleurs aucun autre livre, qui m’a donné envie d’écrire.


Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?


Si le livre dont je rêve existait déjà, je ne l'aurais pas écrit.

 


Quelle est votre première grande découverte littéraire ?

 
Le Rouge et le Noir de Stendhal.

 


Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?


Henri le Vert de Gottfried Keller.


Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu  ?

Y a-t-il des livres que tout le monde doit avoir lus et que l'on doit avoir honte de ne pas avoir lus ?


Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?


Roméo et Juliette au village de Gottfried Keller. J'espère qu'il existe une bonne traduction française de ce récit.


Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?


Chaque œuvre qui s'est hissée parmi les classiques doit se réjouir de sa gloire - la gloire n'est pas juste.


Et en ce moment, que lisez-vous ?


Jack de Marilynne Robinson.  

 

 

 
Merci à Aurore Touya, Marguerite Bekelynck et Margot Faudeil d'avoir rendu cet entretien possible.

 

Découvrez La Petite-Fille de Bernhard Schlink publié aux éditions Gallimard

 

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