" Nous avons oublié depuis si longtemps la franchise. Nous n’avons appris que la méfiance et la dissimulation. "
(page 103).
Je fais taire Najma et Jamil, je les rends muets et sourds, je ne leur apprends pas les mots que le président n'aime pas. Ces mots-là, je les garde pour moi, je les ai enfermés dans ma tête, je leur ai interdit ma langue, ils se cognent contre les parois de mon cerveau, ils n'ont pas le droit de sortir, ils crient à l'intérieur. Pourtant, ces mots-là sont chantés sur les places des villes et des villages.
Le président a le visage masqué par des lunettes de soleil d’aviateur, les lèvres serrées, le cou démesurément long, le menton levé. Il ne protège pas la ville. Il la mate.
On ne parle pas des services secrets. Ce n'est pas prudent. Votre interlocuteur peut en être, des moukhabarat, et de la pire branche. Il peut boire avec vous, manger avec vous, jouer au trictrac avec vous et, le jour où il l'a décidé, vous faire enfermer là d'où on ne sort jamais.
Ils savent tout. Ce que nous avons planifié, Ce que nous faisons. Le plus petit changement apporte le soupçon. Le soupçon le plus infime mène aux caves et aux bourreaux .
J'ai pleuré sur ce que le président a dévoré, de son appétit d'ogre, sans rien laisser de nos vies que la peur, les armes et la folie.
Les morts sont des gens têtus. Ils m’accompagnent dans l’escalier de l’immeuble, rentrent dans l’appartement, dorment dans notre lit et commentent les informations à la télévision
Je les traîne en me forçant à ne plus fermer les yeux. Je ne veux plus fermer les yeux. Je ne peux plus fermer les yeux.
"Tous ces bandits payés par l'étranger. Il en vient de partout", il avait hurlé avant de lire les noms et les lieux. Des lieux que tout le monde veut ignorer. Des lieux qui ne se murmurent même pas. Des lieux qui n'existent pas. Des lieux qui recrachent des chairs brûlées et des os brisés
Ma vie est morte bien avant moi.