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EAN : 9782260056249
224 pages
Julliard (04/01/2024)
4.31/5   40 notes
Résumé :
Un matin, un photographe militaire voit arriver, à l'hôpital où il travaille, quatre corps torturés. Puis d'autres, et d'autres encore. Au fil des clichés réglementaires qu'il est chargé de prendre, il observe, caché derrière son appareil photo, son pays s'abîmer dans la terreur. Peu à peu, lui qui n'a jamais remis en cause l'ordre établi se pose des questions. Mais se poser des questions, ce n'est pas prudent.
Avec une justesse troublante, ce roman raconte ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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Il y a très longtemps, au collège, nous avons eu comme lecture cursive un ouvrage avec le même titre "Camera obscura", un recueil de nouvelles de 1839 et un classique de la littérature néerlandaise de la main de Hildebrand, le pseudonyme de Nicolaas Beets, traduit en Français comme "La Chambre obscure".

La "Camera obscura" de Gwenaëlle Lenoir est une toute autre histoire, mille fois plus captivante, quand bien même s'il s'agit d'un récit angoissant et oppressant.
Un récit, par ailleurs, véridique.

Le narrateur (sans nom), marié avec sa bien-aimée Ania, une laborantine, et père de deux charmants enfants, Najma et Jamil, a une drôle de profession : il doit prendre des photos des morts qui arrivent à la morgue de l'hôpital militaire de son pays.

Comme son nom, ce pays n'est pas spécifié non plus, mais par recoupement tout porte à croire qu'il est question du paradis dictatorial de Bashar al-Assad, autrement dit la Syrie en pleine guerre civile, aidée par un autre despote criminel, l'occupant actuel du Kremlin.

Nous n'assistons pas aux combats proprement dits, mais nous suivons notre photographe des services secrets (syriens), qui reçoit à la morgue des livraisons de corps suppliciés plus ou moins atrocement, en nombre toujours croissant.

Ces corps martyrisés sont ceux des opposants au régime d'Assad, fréquemment des adolescents, comme le pauvre jeune Azzam Azzaz, à peine 16 ans, par exemple.

Notre photographe, un homme consciencieux et humain, souffre de plus en plus de sa tâche horrible, il passe des nuits blanches et finit par se sentir totalement déphasé.
Il n'en peut plus, mais se trouve coincé par son amour pour Ania et ses gosses.
Et en plus, il vit dans une peur constante.

À vous de découvrir s'il réussira à s'en sortir.

Gwenaëlle Lenoir nous offre dans cet ouvrage un aperçu dramatique des conditions de vie épouvantables dans la Syrie de père et fils Assad, avec tous ses morts et un nombre record d'exilés. La Syrie compte, selon l'ONU, le plus grand nombre de réfugiés au monde, soit environ 6,6 millions ou un quart de sa population globale.
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Tous les jours, avec la même constance rigide, il applique le protocole à la lettre. Un rituel qui se répète inlassablement et qui consiste à enfiler sa blouse “le bras gauche en premier, laisser les pans flotter, tenir l'appareil photo du bras droit et pousser les battants de la porte avec l'épaule” avant d'entrer dans la morgue. Prendre cinq ou six clichés par corps et passer au suivant. Rester neutre, impassible, toujours, face à ces corps sans vie. Ne rien laisser paraître, ne pas changer les habitudes, jamais, car “c'est plus prudent”. Mais, ce jour-là, rien n'est comme d'habitude. le regard pesant des chefs derrière l'épaule, les ordres donnés, les corps mutilés, torturés sont autant de signes qui viennent alerter notre narrateur que sa normalité est en train de changer… L'angoisse monte, viscérale. Dans un pays dirigé par la tyrannie, le moindre faux pas, le moindre changement dans l'attitude, peut conduire à une dénonciation et tout droit dans les fourgons rouillés qui déposent les corps sans vie, mutilés, par dizaine tous les jours… Mais, face à l'horreur à l'état pur, est-il encore possible de se taire?

Quelle claque! J'ai été totalement happée et bouleversée par ce roman, qui n'en est pas vraiment un puisqu'il s'inspire de la vie de celui que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de code “César” et qui fût photographe légiste pour l'armée syrienne durant plusieurs années, notamment au moment des soulèvements révolutionnaires de 2011, avant d'être exfiltré en 2013. Grâce à lui et aux milliers de clichés qu'il a réussi à faire circuler, le monde a pu prendre conscience réellement des atrocités qui étaient commises en Syrie sous le régime de Bachir Al-Assad.

Avec le roman de Gwenaëlle Lenoir, on plonge au coeur de l'intériorité de cet homme qui a toujours respecté l'ordre établi, sans jamais le remettre en question et qui se retrouve, du jour au lendemain, à devoir faire un choix, un choix qui va contre ce qu'on lui a toujours appris et qui pourrait mettre en péril sa vie, mais aussi celle de sa famille, le choix de ne plus fermer les yeux sur les crimes commis par son régime… Avec une justesse bouleversante, l'autrice restitue le combat intime de cet homme, dévoré par la peur, le doute et la culpabilité, mais décidé à n'oublier aucun des morts dont il est le dépositaire.

Un texte percutant et fort, qui se lit d'une traite, la boule au ventre, presque en apnée. Un roman essentiel, qui redonne corps à une réalité que l'on connaît pourtant, que l'on suit à travers la presse, mais qui reste éloignée de nos préoccupations. “Camera obscura” marquera indéniablement cette rentrée littéraire d'hiver!

Merci aux éditions Julliard et à Babelio de m'avoir permis de faire cette découverte.
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@Camera obscura de @Gwenaëlle Lenoir est un livre d'une puissance phénoménale.
Les hommes sont fous. Notre terre tourne avec des hommes fous, devenus fous, rendus fous ; des bourreaux, des victimes, des victimes, des bourreaux ; des gouvernements tout puissants qui massacrent, torturent, exterminent ; des pays où un soupir peut être interprété comme un acte terroriste. Terroriste ? Oui ? Non ? Selon sa place sur l'échiquier politique. Selon l'époque. Notre monde n'a-t-il pas toujours été fou ? En France, lors de la 2ème guerre mondiale, sous le régime totalitaire de Vichy, nous avions nous-aussi nos terroristes. Il s'agissait alors de Jean Moulin ou d'autres résistants. Un monde où la peur devient compagne. La peur stupéfie, sidère mais elle révèle. Toujours.
Dans un pays du Moyen-Orient, un homme au long cou tétanise la population.
Lire @Camera obscura de @Gwenaëlle Lenoir, c'est comme se prendre un coup de poing dans le ventre. Cette lecture coupe le souffle.
@Camera obscura, c'est l'histoire d'un Syrien dans un contexte de cécité concertée. A l'international, les pays font mine de vouloir aider à trouver une solution politique mais les dictateurs d'ici ou là savent que les intérêts géopolitiques, économiques ou stratégiques des autres pays leur donnent le plus efficace des blancs-seings.
En réponse à la révolution pacifique et tellement pleine d'espoir de 2011, la vie en Syrie devient la quintessence d'un enfer totalitaire. La répression de Bachar el Assad est de plus en plus sanglante. Tortures, enlèvements indiscriminés, exécutions sommaires, procès à qui il ne reste du procès que le nom et le tout dans un climat d'insécurité attisé en permanence. Assad, entouré de ses militaires, miliciens, mouchards et autres affidés, a soigneusement maillé son filet et il surveille également le niveau d'enthousiasme de la population lors des nombreux événements dédiés à sa personne. le culte de la personnalité, Staline, perpétrant des horreurs, menant de front sa politique totalitaire, avait déjà montré le chemin. Chacun devait admirer et obéir au Grand Homme. Cette méthode du culte de l'homme providentiel sera souvent reproduite dans ces mêmes régimes politiques. Bachar el Assad en fait son miel.
@Camera Obscura commence comme l'histoire d'un jeune couple que l'on pourrait croire ordinaire, une femme, un homme, deux enfants, du travail et la sécurité dans les bras l'un de l'autre, l'intimité comme unique espace de liberté. Unique espace de liberté ? Ça fait tousser. Toujours être sur ses gardes : « Ce n'est pas prudent. ». Combien de fois cette phrase est-elle répétée dans le livre ? Tout le monde se méfie de tout le monde. La vie des Syriens, c'est comme un perpétuel travail d'équilibriste et ils ne sont pas si mauvais dans leurs nombreux et obligés numéros. Les filles du jeune couple fredonnent la dernière chanson apprise à l'école sur la grandeur du dictateur. Des gages ostentatoires d'adhésion, il faut en donner à ce régime autoritaire, bouche sèche et poings serrés. Sinon, « Ce n'est pas prudent. ». Pour le reste, tout se joue dans la sphère intime. Dans le silence, il exècre cette situation, César. Oui, César, c'est le pseudo de ce Syrien extraordinaire. Cinq lettres gravées dans la peur, la sueur et le sang. César est un photographe de cadavres déposés dans une morgue militaire. Photographe légiste, c'est son métier. Pour ne rien oublier, César, dans ce contexte où chaque Syrien est une cible potentielle, a pris l'habitude de garder en lui ses mots et ses pensées interdites qui ne cessent de virevolter, de se cogner et de dire la révolte dans sa tête. On ne peut quand même pas oublier qui l'on est, non ? Sa femme et lui regardent les infos interdites mais pour leurs filles, il ne faut même pas qu'elles puissent entendre le moindre souffle de la première syllabe d'un mot de critique ou d'opposition au régime. Voilà la réalité. Voilà la fatalité.
Voilà comment César devait protéger sa famille. Mais cette vie-là, il a fini par ne plus pouvoir s'en accommoder. Il n'en voulait plus, pour lui et encore moins pour ses enfants. Il n'en pouvait plus.
« Je devinais ses globes oculaires sous ses paupières gonflées. Je ne voulais pas savoir ce qu'ils avaient vu. J'ai regardé l'étiquette à son poignet droit, elle disait qu'il s'appelait Azzam Azzaz et qu'il avait seize ans. J'ai senti les larmes monter de ma gorge et je me suis réfugié derrière mon appareil. J'ai photographié Azzam. de haut en bas, centimètre par centimètre. Et puis encore de bas en haut. J'ai tout photographié. Chaque trace. Chaque coup. Chaque traînée de sang. Chaque os. J'ai fait pareil pour les autres. J'ai coincé mes larmes dans ma gorge et j'ai photographié. » (Trois)
César n'était pas né pour être un héros, il ne l'aurait même pas voulu. César tremblait pour sa famille. A certains moments, l'angoisse devenait si forte que s'il avait pu, il se serait barré en courant… Mais non, il ne pouvait laisser ce monde-là, son pays abîmé « dans des flots de sang » ; il ne pouvait laisser le pays de ses ancêtres devenir ce théâtre de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité. Alors, il y est allé, César ; jusqu'au bout. Photos dupliquées sur une clé USB, clés USB exfiltrées et pour finir, lui-aussi exfiltré.
Il a fait passer la frontière à des milliers de photos qui ont permis à tant de Syriens de connaître enfin le sort de leurs proches disparus. Ces cadavres torturés, énucléés, aux organes génitaux coupés, ces hommes, ces femmes torturées et violées jusqu'à de très jeunes êtres, presque encore des enfants, morts en portant leur tee-shirt Mickey préféré, il les a vus, César, de plus près que n'importe qui. Ces visages, ces corps brisés, il les a regardés en face, ces cadavres si nombreux, de plus en plus nombreux, ces cadavres qu'on ne savait plus où mettre et qui par terre, disposés n'importe comment dans la cour de la caserne, déclenchaient des rires salaces. Ce n'est pas humain cette indécence, ce manque de respect, cette barbarie. Cette injustice.
@Gwénaëlle Lenoir nous transmet, avec infiniment de retenue et de délicatesse, l'état de César, de ses perpétuels doutes allant croissant, de ses questions sans autre réponse que celles du fait du prince, le climat autoritaire et arbitraire de son pays, cette permanence de terreur viscérale avec cette sueur qui poisse la peau, cette atmosphère irrespirable dans laquelle César vit de plus en plus mal. Les réseaux de résistance au régime lui évitent de devenir, à son tour, un cadavre parmi d'autres, photographié par un nouveau photographe légiste de la morgue militaire.
@Gwenaëlle Lenoir a bâti son roman en retraçant l'histoire réelle de cet homme intranquille et son talent d'auteure est immense pour nous faire réaliser à quel point César est notre frère en humanité. Nous descendons avec lui au plus profond de son âme et de ses tripes. Avec des phrases concises, précises, directes et comme écrites au rythme des battements irréguliers de son coeur, nous le voyons, César. Notre vue n'a plus rien de flou et nous avons envie de lui tendre la main. « Je ne pouvais rien pour eux, seulement les photographier. Seulement refuser de participer à la danse macabre orchestré […] de ce pays […] » (Seize). Comme dans toutes les situations de résistance à l'oppression où les décisions se prennent très rapidement, in situ, @Gwénaëlle Lenoir va à l'essentiel. Elle ne s'encombre pas de l'inutile. Et elle réussit à nous projeter physiquement dans les sensations de César. Notre respiration se bloque, nous étouffons avec lui, nous sentons le poids de toutes ses questions et en particulier celles de mari et de père. Cela le taraude et nous taraude. Que va-t-il se passer ensuite ? Et les répercussions après ce séisme ? Quelles seront-elles ?
La prose de @Gwénaëlle Lenoir est humble et pudique. Ses mots sont souvent durs à avaler ; ils ont un goût de limaille mais le texte reste beau. Presque un oxymore avec le thème de l'ouvrage.
Avec @Camera obscura, @Gwénaëlle Lenoir rend un bouleversant hommage à cet homme remarquable qu'est César, à ce héros qui n'aurait peut-être jamais parié sur lui-même.
Cet ouvrage est poignant et le lire à cet instant, alors que tant de pays sont dévastés par la guerre et que sont commis impunément des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et des exactions tout le temps, nous fait réfléchir à nouveau sur la fraternité humaine et alors seulement une possible justice.
Aucun être humain exilé de son pays ne l'a quitté dans la joie et la bonne humeur. S'en aller pour x ou x raison, le choisir ou y être contraint, c'est toujours une douleur.
@Camera obscura est un roman magnifique qui contient l'humanité entière en peu de pages. Votre livre nous permet de nous décentrer. L'Europe n'est pas le monde. Merci, @Gwenaëlle Lenoir. Infiniment.
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La 4ème de couverture résume bien le sujet en quelques phrases : Un matin, un photographe militaire voit arriver, à l'hôpital où il travaille, quatre corps torturés. Puis d'autres, et d'autres encore. Au fil des clichés réglementaires qu'il est chargé de prendre, il observe, caché derrière son appareil photo, son pays s'abîmer dans la terreur. Peu à peu, lui qui n'a jamais remis en cause l'ordre établi se pose des questions. Mais se poser des questions, ce n'est pas prudent. Avec une justesse troublante, ce roman raconte le cheminement saisissant d'un homme qui ose tourner le dos à son éducation et au régime qui a façonné sa vie. de sa discrétion, presque lâche, à sa colère et à son courage insensé, il dit comment il parvient à vaincre la folie qui le menace et à se dresser contre la barbarie.

Mon avis : le rythme est celui d'un roman policier ou d'un thriller avec un premier chapitre choc, totalement glaçant et pourtant addictif, il est déjà trop tard pour refermer le livre... Ensuite, retour en arrière : à l'hôpital militaire où les collègues du photographe sont acquis à la terrible répression policière qui touche les opposants au régime. Moustache, Tony, Freddy et Salim sont tous des militaires obéissant quels que soient les ordres, espérant une promotion, des avantages qu'on découvre dans l'effarement : argent extorqué aux familles, jusqu'aux viols et meurtres… Ce n'est pas une lecture pour les âmes trop sensibles et pas du tout une lecture pour s'endormir le soir. L'écriture de Gwenaëlle Lenoir nous met au coeur du choix : accepter l'ordre établi ou bien le contester et se mettre en danger... On a les scènes comme les voit le photographe de cette morgue qui ne désemplit pas. Freddy, une croix grossière et noire tatouée sur l'avant-bras droit, remplace Tony et apporte un saut dans l'horreur, lui qui « dit terroristes dix fois dans sa phrase, comme s'il donnait à manger au président sur son biceps. » Heureusement, on a en face de ces monstres, des résistants d'un courage qui force le respect, les Abou Georges, Aymar et surtout Abou Faisal !

Les sbires du président et les enfants « croient aux histoires simples du Grand Homme. » et il devient impossible d'apporter la contradiction sous peine de mort. le système de surveillance et la délation sont très bien rendus. J'ai été choqué de réaliser que Ania et son mari, le photographe, ne peuvent pas empêcher leurs enfants de chanter les chants à la louange du président appris à l'école, ce serait dangereux si ceux-ci parlaient mal du président ensuite. Et pourtant, avant ce chaos généralisé, une autre époque a existé.

Le photographe ne peut pas s'empêcher de garder une trace de ces crimes, réflexe d'humanité qui deviendra ensuite témoignage pour espérer que la justice soit possible.

Il transmet les photos à un réseau de résistants et devient ainsi un héros malgré lui, mettant sa femme Ania et ses deux enfants en danger. Il se met en danger s'il part de « l'hôpital » car il en sait trop. Il se met en danger s'il reste, tellement il est en retrait du comportement de haine de ses collègues. Il se met en danger s'il parle à Ania. « Ce n'est pas prudent » revient comme une rengaine tout au long du récit.

L'écriture est concise, terriblement efficace, toujours dans l'action, comme un oeil qui observe et imprime l'image, nous la rend exacte à chaque phrase comme une vraie chambre obscure avec l'image sur le papier photosensible. Sur des bannières, en ville, « Le président a le visage masqué par des lunettes de soleil d'aviateur, les lèvres serrées, le cou démesurément long, le menton levé. Il ne protège pas la ville. Il la mate. » Gwenaëlle Lenoir a des expressions définitives pour exprimer le malaise du photographe : « Dans la cour, j'ai respiré l'air des gaz d'échappements à grandes goulées » ou encore « A l'époque on ne tuait pas les enfants comme on écrase les insectes. »

Beau titre que ce Camera obscura, cette chambre obscure permettant de capter une image inversée de la réalité. Et cette pièce là où sont réceptionnés les « terroristes », en fait des manifestants ou des opposants, mérite bien d'être qualifiée d'obscure. L'autrice parvient à traquer ce moment où on ne peut plus fermer les yeux, ce moment où tout devient clair et terriblement dangereux, promesse de libération ou de mort. Alors il y a la peur qui prend de plus en plus de place et on tremble avec ces hommes, ces femmes, vivant au mauvais endroit, au mauvais moment.

Gwenaëlle Lenoir annonce : « Ce livre est un roman dont le personnage principal est réel. Ce photographe existe et vit caché quelque part en Europe. Son nom de code est César. Les atrocités décrites sont avérées, les faits sont documentés, mais sa voix est la mienne. » César, photographe légiste de la police militaire syrienne, a risqué sa vie pour documenter les crimes du régime de Bachar el-Assad entre 2011 et 2013.

Journaliste indépendante et spécialiste du monde arabe et de l'Afrique de l'Est, Gwenaëlle Lenoir, ancienne Grande reporter à France 3, a écrit pour la presse et Mediapart, notamment sur les bouleversements au Soudan depuis le destitution d'Omar el-Béchir en 2019. Elle montre ici qu'elle est aussi une autrice talentueuse. Son Camera obscura est un livre important, un des meilleurs lus dans le cadre de la sélection pour le prix Orange du livre 2024 auquel j'ai l'honneur de participer.
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“En plein désert, j'ai trouvé bien de l'eau, mais il s'agissait surtout de trouver du sens".(Albert Camus).

Le roman "Camera obscura" de Gwenaëlle Lenoir (Éditions Julliard, 2024) aborde un sujet important de l'actualité en Syrie : la guerre civile, plus particulièrement, et ses répercussions sur la population civile.

L'auteur s'inspire de l'histoire vraie de César, pseudonyme d'un ancien photographe légiste de la police militaire syrienne, qui a risqué sa vie pour documenter les crimes du régime de Bachar el-Assad (1).

Gwenaëlle Lenoir a une écriture précise et efficace qui permet de plonger le lecteur dans l'univers du roman. Elle utilise un style sobre et direct qui donne force au récit.

Les personnages du roman sont, par hypothèse crédibles ; l'on s'identifie facilement à leurs douleurs et à leur combat pour la liberté. Doit-on y saisir un message d'espoir, même dans les moments les plus sombres ?

En revanche, le rythme du roman est un peu lent, ce qui peut ennuyer parfois.

Contrairement aux propos indiqués sur la quatrième de couverture, les comportements et réactions du personnage narrateur, inspiré de "César", ne s'inscrivent pas toujours, du début à la fin du récit, dans une énergie féroce. Son opposition sincère, prend trop souvent la forme d' "actions passives" (oxymore volontaire). Mais dès lors que l'histoire est inspirée de la réalité, il est difficile de reprocher à Gwenaëlle Lenoir d'avoir négligé l'arc narratif du récit.

Quant à la fin du roman , celle-ci est un peu abrupte et laisse le lecteur sur sa faim.

Malgré tout "Camera obscura" est un roman important et poignant qui mérite d'être lu. Il nous donne à voir la réalité de la guerre en Syrie et nous incite à réfléchir sur les valeurs de liberté (2).

Bonne lecture.

Michel

(1) En 2020 et 2021 au "procès de Coblence (centre-ouest de l'Allemagne) le célèbre dossier "César" a été présenté comme élément de preuve devant un tribunal, pour la première fois. Un expert médico-légal a témoigné dans le procès Al-Khatib, qui a analysé les cadavres photographiés sur plus de 50 000 clichés. Sa conclusion : la torture et les meurtres étaient systématiques dans tous les centres de détention des services de renseignement.

Ce premier procès contre des membres du régime syrien accusés de crimes contre l'humanité s'est achevé le 13 janvier 2022 par une décision de culpabilité et d'une condamnations à la détention criminelle du principal accusé.

Au-delà du cas de celui-ci, c'est le système Assad pratiquant la torture systématique contre ses opposants qui figure sur le banc des accusés.

(Source France Diplomatie).

(2) "Les âmes perdues" est, également un excellent film documentaire franco-allemand réalisé par Garence le Caisne et Stéphane Malterre, sorti en 2023.

Il relate le long combat judiciaire que mènent des proches de victimes syriennes, disparues forcées ou mortes sous la tortures, pour que le régime Bachar el-Assad réponde de ses crimes devant la justice.





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critiques presse (1)
Culturebox
09 janvier 2024
Gwenaëlle Lenoir signe un roman percutant inspiré par le photographe syrien César qui a illustré par ses clichés les massacres perpétrés par le régime de Damas sur son peuple à partir de la révolution de 2011. La journaliste a choisi la littérature pour narrer l’indicible. Saisissant.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Je fais taire Najma et Jamil, je les rends muets et sourds, je ne leur apprends pas les mots que le président n'aime pas. Ces mots-là, je les garde pour moi, je les ai enfermés dans ma tête, je leur ai interdit ma langue, ils se cognent contre les parois de mon cerveau, ils n'ont pas le droit de sortir, ils crient à l'intérieur. Pourtant, ces mots-là sont chantés sur les places des villes et des villages.
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" Nous avons oublié depuis si longtemps la franchise. Nous n’avons appris que la méfiance et la dissimulation. "

(page 103).
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On ne parle pas des services secrets. Ce n'est pas prudent. Votre interlocuteur peut en être, des moukhabarat, et de la pire branche. Il peut boire avec vous, manger avec vous, jouer au trictrac avec vous et, le jour où il l'a décidé, vous faire enfermer là d'où on ne sort jamais.
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Les morts s'amoncellent. Ils arrivent en paquets de six ou douze ou quinze, tôt chaque matin et parfois dans la journée. Ils arrivent nus ou un slip déchiré sur les hanches. Ils ont le corps juvénile ou avachi, velu ou glabre, le cheveu abondant ou rare, long ou court, les attaches fines ou épaisses. Ils arrivent une étiquette au poignet droit. Ils ont des traînées de sang frais et des croûtes sombres, des bleus larges ou étroits violets, jaunes, verts. Ils ont les doigts retournés et les ongles arrachés. Ils ont les os déboîtés et les tendons appa-rents. Ils ont les côtes enfoncées et les tétons brûlés.
Certains ont le pénis coupé et d'autres les orbites vides.
La plupart sont jeunes, en tout cas je les devine jeunes.
Là où il n'y a ni bleu ni sang coagulé, la peau semble ferme et douce. Il m'est pourtant difficile de leur donner un âge, tant les bourreaux les ont abîmés. Et je ne crois plus les étiquettes à leur poignet droit, ni les certificats de décès. Je ne crois que les noms. Ils n'iraient pas jusqu'à inventer les noms. Leur bureaucratie a besoin des noms.
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Chaque matin, en même temps que les morts, ils apportent une petite pile de feuilles. Chaque mort a la sienne. C'est une histoire courte. Elles ne racontent pas leur vie, leurs sourires, leurs joies, leurs amours, leur plat favori, leur couleur préférée. Elles disent juste des dates et des lieux. Quand et où ils sont nés. Où et quand ils ont été arrêtées. Où ils ont été emmenés. Qui dirige le lieu où ils sont morts. Par qui ils ont été torturés. Nous sommes un pays organisé.
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