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L'homme coquillage

"Peur" et "solitude" sont des mots qui reviennent très souvent dans ce roman. Et "amour", celui avec un grand A. Comment faire en sorte que les deux premiers n'empêchent pas le troisième ? C'est la question que la narratrice ne se pose même pas, en tout cas au début du roman. Femme, jeune, turque, voilà deux ans que cette chercheuse en physique nucléaire est parvenue à se faire engager dans le labo le plus prestigieux d'Europe. A se faire enfermer, faudrait-il plutôt dire. Forçats de la science, elle-même et ses collègues, sous pression constante, n'ont aucune vie en dehors de la recherche nucléaire. La différence, c'est que la narratrice, elle, en est consciente. Dans ce milieu machiste et étriqué, elle vit en permanence au bord du gouffre des difficultés financières, de l'isolement et de la dépression. Parfois elle y tombe. Un été, elle s'inscrit à un séminaire organisé sur l'île de Sainte-Croix dans les Caraïbes. Pendant les rares moments libres, elle s'aventure seule sur la plage, dangereuse pour les touristes blancs dès la nuit tombée. Elle y rencontre Tony, Jamaïcain, pêcheur de coquillages au physique ingrat, couturé de cicatrices. Leurs souffrances s'attirent et se reconnaissent. D'abord terrifiée à l'idée qu'il pourrait la tuer, elle fait peu à peu confiance à cet homme étrange, meurtri, qui lui parle avec des mots à la fois très simples et très profonds. Il se crée entre ces deux êtres une relation très pure, loin des calculs et du cynisme. Elle qui avait oublié qu'elle était une femme se redécouvre belle, désirable, aimable (avec un grand A). Elle qui a tant souffert dans sa jeunesse de la violence de la société turque, misogyne et répressive, redécouvre la liberté d'être elle-même, et le respect.

Dit comme ça, on dirait une improbable histoire de belle et de bête à l'eau de rose. Mais la chaleur torride des tropiques, l'insécurité sur l'île, le rhum et la marijuana en font tout autre chose. C'est l'histoire – certes improbable – d'une rencontre foudroyante, incandescente. Quasiment une révélation pour cette jeune femme habitée depuis si longtemps de pulsions suicidaires, et dont les dernières bribes d'élan vital vont se renouer sous le soleil de feu des Caraïbes. Une relation âpre, franche et ambiguë, d'amour ou d'amitié, entre une femme éprise de liberté mais enfermée dans sa carapace de peur et d'intellect, et un homme proche de la nature, dont la vie est émaillée de violences. Sur fond de racisme Blancs vs Noirs, la jeune Turque, étonnée d'être considérée comme Blanche, est extirpée des abysses de son mal-être par un pêcheur rasta, et chemine vers la sortie de sa coquille, non sans quelques écorchures. L'amour, la peur, la mort, la douleur, la passion, la tristesse, mais au bout du tunnel, la vie, l'espoir, peut-être.

Premier roman (largement autobiographique, paraît-il) d'Asli Erdogan, ce livre parle d'authenticité, d'intérêt pour le genre humain, de force et de courage. Poétique, flamboyant, ensorcelant, déchirant, je n'en ressors pas indemne. Ce portrait de femme est d'une puissance folle.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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L'homme coquillage

MERCI à Actes Sud qui a l'excellente idée de publier le premier roman d'Asli Erdogan...

qui ne me semble pas un "fond de tiroir", mais un récit autobiographique courageux, offrant de nombreux éléments personnels de la détermination, précoce des engagements, de la ténacité, convictions, de cette écrivaine insoumise et d'une lucidité transperçante !!...





Etonnante coïncidence... Je viens de lire avec un grand intérêt un recueil d'entretiens d'Annick Cojean " Je ne serais pas arrivée là si..."où je suis tombée sur l'entretien avec cette auteure turque... qui donne un éclairage supplémentaire ...de son parcours personnel et talentueux...



L'histoire d'une rencontre fulgurante et mystérieuse entre la narratrice, chercheuse en physique nucléaire, en université d'été, à la Jamaïque, en grand mal-être, et

un pêcheur de coquillages, noir, autochtone marginal et pauvre...symbole de tous les opprimés, les exclus, mais aussi de la différence d'un homme, prouvant le lourd tribu de la Liberté de penser, de vivre, mais tellement vital, précieux, pour conserver son intégrité et une acuité de perception sur le monde, pour tout individu,voulant réfléchir par lui-même ...!



J'ai découvert cette écrivaine en septembre 2017, lors d'une flânerie impromptue dans une petite librairie très littéraire de Murat (Cantal) où j'ai déniché "Le mandarin miraculeux" [ Actes Sud]. On retrouve quelques thèmes récurrents, et chers à Asli Erdogan: Erotisme et mort, rebellion, pulsions suicidaires, désespoir de vivre, bienfaits et limites de l'Ecriture et de la Littérature, beauté et sérénité de la nature, des animaux.. La Barbarie des humains , ainsi que l'Enfermement, sous toutes ses formes!!





Rappelons que cette auteure turque, a été emprisonnée pour délit d'opinion; que sous la pression internationale, elle a été libérée, mais elle se trouve toujours empêchée

de partir de son pays... et que son procès aura lieu en ce printemps 2018... [ *** rectificatif que m'a apporté Bookycooky- ", Asli Erdogan a obtenu son passeport et a quitté la Turquie.Elle avait l'intention d'y retourner mais sur l'insistance de ses proches et surtout de sa mère toujours en Turquie elle est désormais en exil à Francfort jusqu'à une date indéterminée ( source.Le Monde).]





Je ne peux m'empêcher de citer un extrait d'article de Marine Landrot, que je viens de parcourir , en y adhérant complètement, dans Télérama [ n° 3556 du 7 mars 2018]



" La sensibilité exacerbée, la détermination visionnaire, l'esprit de résistance:

tout ce qui fera la valeur inestimable d'Asli Erdogan est déjà contenu dans ce récit d'apprentissage autobiographique, implanté au fin fond des Caraïbes. Dans les années 1990, la jeune scientifique désargentée qu'elle était vit comme une aubaine la possibilité de participer à un séminaire de physique des hautes énergies, au milieu des îles Vierges américaines. Elle n'avait pas prévu que l'université d'été ressemblerait à une geôle dorée, avec interdiction de profiter de la plage, et obligation de rester huit heures par jour entre quatre murs à bûcher sur des problèmes de particules

élémentaires, sous la houlette d'un professeur misogyne et dictatorial."





Un roman captivant, qui offre toutefois un univers sombre, oppressant, fourmillant des ambiguïtés humaines, avec des éclairs, instants magiques, flamboyants de répit, de poésie, et d'élan vers l'Autre !



Excellent livre...écrit , rappelons-le, par une jeune femme

née et ayant vécu la plus grande part de sa vie en Turquie,dans une société répressive , dictatoriale, misogyne..., texte aux nombreux échos personnels, qui nous emporte dans des états perturbants , dérangeants et paroxystiques...Balancements constants entre la violence, l'Amour de la Vie, l'attirance des ténèbres, de l'Obscur de l'Humain, mais aussi le flamboyant de la Littérature, du savoir lorsqu'il est intiment lié à des qualités humaines, d'une rencontre authentique... qui redonne l'élan de Vie !



" Mon enfance avait été marquée par la violence, et quoiqu'elle me donnât la nausée, c'était l'un des éléments fondateurs de ma personnalité. " (p. 100)



"Je suis sûr au contraire que tu as peur des choses dont tu dis ne pas avoir. Et que tu veux ce que tu dis ne pas vouloir. Ce n'est pas du désespoir, c'est juste de la lassitude.

Tout le monde a de l'espoir.

- Non, pas moi. Quand je dis que je n'ai pas peur, je veux dire que rien ne me fait vraiment peur. Tout peut bien m'arriver, c'est comme si je m'en fichais. Comme si

je regardais en spectatrice les malheurs de quelqu'un d'autre. Il n'y a peut-être qu'une seule exception, la torture. La douleur physique ,je ne pourrais pas la

supporter, ça c'est vrai." (p. 113)



Je renouvelle d'abondants remerciements aux éditions Actes Sud qui publie cette auteure depuis 2003, ainsi qu'à mes camarades- Libraires [ Librairie Caractères / Issy-Les-Moulineaux] qui m'ont prêté cet ouvrage, reçu en service de presse, il y a déjà deux semaines... qui m'ont ainsi permise de lire ce premier roman, très rapidement ! et pour mon plus grand intérêt ...

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La chronique de Belgrade

La Fondation Ivo Andric de Belgrade, les Éditions des Syrtes et le traducteur Alain Cappon ont fait du beau travail en publiant, en mars dernier, un recueil de 8 nouvelles du Prix Nobel de 1961, dont 5 pour la toute première fois en Français.



Ces nouvelles écrites entre 1946 et 1951 couvrent, en fait, toute la période mouvementée de sa ville à partir du début du siècle précédent jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Cette approche historique est essentiellement basée sur le vécu des simples gens, ou en d’autres termes sur les implications des événements historiques cruciaux, telle l’annexion de leur pays par l’Autriche, la Première Guerre mondiale, l’attentat de Sarajevo, l’invasion nazie et la Deuxième Guerre mondiale... sur leur existence de tous les jours.



Les nouvelles sont de longueur fort différente, allant d’à peine 6 pages pour la 6ème nouvelle "Destructions" à 124 pages pour la numéro 2, intitulée "Zeko".



La première nouvelle "Portrait de famille" brosse le portrait peu flatteur de Natalija Kamenković, surnommée Dame Nata, et son pauvre époux, Maître Nikola Dimitrijević.

La Nata, descendante d’une famille riche et puissante, transforme son mari, d’origine défavorisée, d’un homme vivant en un bien immobilier. "Car, à ses yeux, ce qu’elle pense est la vérité, ce qu’elle dit fait loi, et ce qu’elle fait est juste."



Est-ce que la naissance de leurs 2 filles, des problèmes de santé de Dame Nata et les efforts de soumission de Nikola changeront un tout petit peu le calvaire de ce dernier ou faudrait-il toute autre chose ?



Dans le court roman "Zeko" de 1948, Ivo Andric nous présente une femme du même acabit que Dame Nata : au cœur sec et à l’intelligence limitée, hargneuse, arrogante et malveillante. Heureusement pour le lecteur, Margita Katanić, 49 ans et 90 kilos, ne fait que de rares et brèves apparitions dans le récit.



Elle est cependant présente dans le fond comme menace et danger permanent pour son infortuné époux Isidor, connu comme Zeko. Un homme tranquille et effacé.



Pour échapper à la terreur domestique, Zeko se réfugie de plus en plus souvent le long de la rivière la Save, un affluent du Danube (au même nom que l’affluent de la Garonne en France), où il rencontre un tas de gens, certains plutôt pittoresques, et où il est apprécié.



Est-ce que le bombardement de Belgrade par les nazis du 6 avril 1941 et la terrible guerre qui s’ensuit, permettront à Zeko de se libérer de l’emprise maléfique de son dragon et de trouver enfin le chemin d’un bonheur paisible ?



C’est surtout dans cette nouvelle que j’ai retrouvé la maestria du grand écrivain qui m’avait tellement impressionné par son inoubliable chef-d'oeuvre "Le pont sur la Drina" de 1945.



Dans une postface de quelque 14 pages, le traducteur Alain Cappon offre une analyse originale de "l’image de la femme dans La Chronique de Belgrade".



L’illustration de couverture "Voiture ivre" est de la main du peintre Marijan Detoni (1905-1981), originaire de Zagreb, et date de 1935.



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Le ministère de la douleur

J'ai lu ce roman pour notre Tour du Monde par les livres sur le forum Nota Bene. Cette année, les deux pays au programme sont le Danemark et la Croatie. Trouver de la littérature croate relève du sacerdoce ! Alors lorsque j'ai vu celui-ci, je me suis dit que cela pourrait être sympathique, d'autant plus que la fin de la quatrième de couverture me le laissait espérer :

"Ce nouveau roman de Dubravka Ugresic, écrivain croate dont l'œuvre est désormais traduite en plus de trente langues, a été unanimement salué à l'étranger pour sa puissance et sa subtilité. Pour cet humour noir aussi, qu'elle distille avec tant d'ironie tout au long d'un voyage aux enfers marqué par la douleur de la perte, l'isolement et la solitude auxquels on ne saurait échapper."



Pourtant, je me suis profondément ennuyée et, pour tout dire, je l'ai même abandonné après m'être forcée à le lire jusqu'à la moitié. Peut-être parce que trop de politique tue la politique. Tous les bouquins croates que j'ai lus y font référence. Cela peut se comprendre - leur Histoire est loin d'être facile - mais attention à l'excès ! Je dois également être honnête en disant que le style ne m'a pas emportée. J'attendais plus, j'attendais mieux...



Bref, je suis certainement passée à côté. Tant pis. Ce sera pour une prochaine fois.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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L'homme coquillage

« Tout le monde a peur du noir, mais il faut savoir s’ouvrir à la lumière que les ombres portent en elles »



S’ouvrir, c’est bien de cela dont il est question avec ce roman fascinant, au sens premier du terme. Car oui ce livre m’a fascinée, envoûtée, charmée.



S’ouvrir aux autres, et par là même (oser) aller à la rencontre de soi.



S’ouvrir à l’amour, au corps, à la vie.



Oui, s’ouvrir au monde physique, alors qu’on est soi-même une éminente physicienne. Monde physique à comprendre ici dans le sens de monde concret, monde réel, monde fait de chair, de sang et de misère aussi :



« Les concepts abstraits, la précision, la pensée analytique des latitudes nordiques n’avaient pas leur place ici ; on laissait libre cours à des sensations purifiées, affûtées, on se déshabituait du réel, une voie toute en courbes semblait se dessiner. Vivre au gré des sens. Sentir le soleil qui brûle à faire fondre les os, les doigts courts et humides de la pluie, le vent qui lèche le corps comme une langue chaude. Sous un ciel dont les couleurs jamais ne s’éteignent, découvrir son corps, apprendre qu’il existe ; boire à petites gorgées le rythme vibrant, lent et coloré de la vie tropicale. »



Un lieu bien loin du monde des idées et des théories absconses de l’univers académique qui se voudrait policé, bien propre, bien régenté, alors qu’il est traversé de luttes intestines, de combats de chefs, de concurrence déloyale, de trahisons, dignes de la plus cruelle loi de la jungle (pour autant que celle-ci existe).



Un livre très lucide sur la prétention des Occidentaux à connaitre la vie mieux que les peuples du Sud. Une éloge de la rencontre de l’Autre, quel qu’il soit : misérable, souffreteux, malhonnête (peut-être), lui aussi en proie à ses contradictions. Un livre pour aller au-delà de ses préjugés...



« L’Homme Coquillage était mon oracle de Delphes, celui qui me poussait à me poser les bonnes questions et à trouver moi-même les réponses. »



Oserez-vous rencontrer votre oracle de Delphes ? Oserez-vous vous y plonger ? Oserez-vous tendre l’oreille et apprendre le chant de la vie ?

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L'homme coquillage

L'Homme Coquillage qui m'a appris le chant de l'océan, Tony l'Homme Coquillage que j'ai aimé d'un amour profond, féroce et irréel.



Avez-vous rencontrer votre "Homme Coquillage" ?

Celui qui d'un regard vous subjugue et vous emmène très loin de la réalité, vous fait chavirer le coeur et les sens et vous fait vous interroger sur le sens de votre vie et votre devenir.

Non ?



Alors, entrez dans ce livre comme on entre dans un monde inconnu et laissez vous attirer par les mots et par les sentiments ambigus, tout à tour effrayants et fascinants.

Venez flirter avec la mort, la terreur mais aussi avec une force étrange qui vous amènera au bord de l'abîme de vous-même.



Venez voir les Caribéens qui dansent la vie, jouent avec la mort et déplacent avec eux des ondes de sensualité telles que vous en serez bouleversé jusqu'au bout de la plus petite terminaison nerveuse de votre corps.



* Telle était la pluie des Tropiques. Indécise et entreprenante , tel un amour passionné.



(p.70) J'étais désemparée face à ce talent qu'avait Tony d'entendre l'indicible et de faire la lumière au fond des abysses intérieurs.



(p.95) Mais je sais à présent que s'il est facile de réprimer le désir, l'oublier est impossible.

Domination absolue du corps sur l'esprit.



En terminant ce livre où foisonnent la sensibilité, la peur, les questionnements, moult sentiments et une sensualité à fleur de peau ; je me demande s'il est tiré d'une histoire vraie tellement l'auteure a su faire vivre tout cela avec une intensité telle qu'on se croirait au dessus d'un abîme sur une corde raide où tout peut basculer d'un instant à l'autre .

Rêve, fantasme ou réalité ?



Personnellement j'ai vraiment adoré ce voyage intérieur peu banal.
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Lettres d'Italie

Je passe après lanard et LaSalamandreNumérique, qui ont à peu près tout dit sur ces Lettres d'Italie, et me voilà bien embêtée, d'autant que :

1) Je n'avais encore jamais lu Čapek de ma vie, malgré les tas de promesses que je me suis faites durant ces dernières années

2) Je ne suis jamais allée en Italie. Enfin, c'est pas tout à fait exact. Je suis allée vers l'âge de 12 ans dans une petite ville-frontière des Alpes italiennes le temps d'un après-midi, que j'ai passé à manger des glaces italiennes (une découverte marquante ; quand je pense qu'on nous fait passer pour des glaces italiennes ces cochonneries tortillonnées... Mais passons.) le seul autre souvenir que j'en ai, c'est qu'il y avait à côté du marchand de glaces un imposant bâtiment qui m'avait paru très laid et qui abritait une banque, et aussi que la ville était moche.





Tout ça pour dire que je ne partais pas avec tous les atouts en poche pour apprécier à sa juste valeur ces lettres que Čapek a adressées en 1923 au journal Lidove noviny pendant la durée de son voyage en Italie ; l'idée de départ, pour moi, c'était d'apprendre un peu à connaître Čapek.





Alors, est-il nécessaire de connaître Čapek et l'Italie pour lire ce feuilleton journalistique publié plus tard en recueil ? Pour ce qui est de l'auteur, je ne suis pas certaine que ça change grand-chose. Pour ce qui est du pays, c'est certainement beaucoup plus plaisant si l'on retrouve, à travers ce voyage, des villes, des oeuvres d'art, des paysages que l'on a soi-même vus sur place. Je suis forcément passée à côté de tout ce qui relève des réminiscences et de la nostalgie. Ce qui m'a permis en revanche de compenser mes lacunes, c'est mon intérêt pour l'histoire de l'art. C'est tout de même plus sympa de savoir qui sont les peintres auxquels se réfèrent Čapek ; le livre est bien annoté, mais j'imagine que c'est un calvaire que d'aller regarder les notes à chaque fois qu'un artiste est mentionné.





Toujours est-il que l'intérêt principal que j'ai trouvé à ces Lettres d'Italie, c'est l'humour de l'auteur et le décalage qu'il y instille sciemment avec les sempiternels discours des touristes et de leurs guides (le fameux Baedeker est d'ailleurs pris à parti) de 1923 - et d'aujourd'hui. Naples, c'est de l'arnaque. Venise, ouais, bof. Les ruines antiques, ouais, bof. Et le baroque, quelle horreur !!! Čapek utilise le terme à foison : baroque par-ci, baroque par-là, ceci est baroque, cela aussi. Il n'a aucune considération pour le baroque tel que défini par l'histoire de l'art. Est baroque ce qui est déplaisant, lourd, chargé, énervant. Tout ce qui est baroque n'est pas à jeter, mais il y a baroque et baroque, et souvent le baroque déplaisant se fait plus insistant que l'autre. de même, il existe pour Čapek un gothique beau et sobre, et un "gothique courroucé" (dans la traduction française), et ainsi de suite. La Renaissance en prend aussi pour son grade. Et puis il y a Giotto, qui est le plus grand de tous, mais finalement Čapek lui préfère Cimabue, mais non c'est Giotto qui dépasse tout le monde, sauf que Mantegna est le préféré de Čapek, et en fait non, on en revient à Giotto.





Et puis encore, il y a ces petits moments qui feront de toute façon écho chez tout un chacun : ce peut être les descriptions de petites scènes ordinaires, les images des rues encombrées, du linge étendu. Pour moi, ça été surtout deux choses. La consternation de Čapek voyant les palais transformés en banques, banques qui pullulent un peu partout selon lui - Ah ! Ah ! Ah !!! Mais c'est la description de ma ville, ça, et de toutes les villes françaises d'aujourd'hui ! Et l'évocation du mélange d'odeurs de fleurs, de poisson pourri, de fromage, de linge mouillé, de langes d'enfants, de crottin, de légumes pourris et d'huile rance - entre autres parfums - à Monreale. Et Čapek de conclure le chapitre sur Monreale ainsi : "Les beautés et les étrangetés du monde sont inexplicables".







Masse critique Littératures
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L'homme coquillage

La narratrice, physicienne turque, participe à une université d'été à Santa Cruz avec Maya, une collègue et amie grecque. Ils sont 80 à suivre des exposés pendant deux semaines, mais très rapidement la jeune chercheuse décroche et en profite pour apprécier et découvrir cette île sous un climat tropical qu'elle ne connaît pas. Sa rencontre avec Tony, un homme noir, petit et laid qui vend des coquillages, va transformer sa vie...Au fur et à mesure de leurs rencontres et surtout de leurs discussions, l'homme coquillage, avec son regard perçant et sa sensibilité hors norme, devine les failles et les peurs de la jeune femme...Ils semblent partager les mêmes blessures et les mêmes traumatismes. Malgré une grande attirance mutuelle, ils ont du mal à à se rapprocher, craignant de faire disparaître leurs sentiments, ou de les rendre triviaux. 



Une première rencontre avec cette auteure turque, Asli Erdogan, avec ce roman étrange dans lequel elle fait preuve d'une grande sensibilité dans l'analyse des sentiments de son héroïne, perdue et fermée, qui réagit violemment à son alter ego, qu'elle identifie dans l'homme coquillage. Avec intelligence elle livre des descriptions tantôt compréhensives, tantôt cyniques du microcosme des chercheurs qu'elle connaît bien, ce groupe auquel elle appartient et dont elle cherche à s'émanciper, et elle pose un regard sévère sur le racisme et la violence qui sévissent dans l'île, la pauvreté et les trafics de drogues renforçant ce climat de violence. 

L'homme coquillage est un coup de cœur, avec une plume intelligente et sans concession, servie par une traduction très littéraire (avec passé simple, subjonctif et grammaire riche, quel bonheur - un grand merci au traducteur Julien Lapeyre de Cabanes).

Asli Erdogan est pour moi, une auteure à suivre. 
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La chronique de Belgrade

Il faut vraiment être tombé dans le chaudron des Nobel de littérature pour aller chercher celui-là, compilation toute récente et bienvenue de nouvelles d'Ivo Andric. Pour ceux qui chercheraient à découvrir cet auteur autrement que par le mieux connu, "Le pont sur la Drina", c'est une bonne approche de commencer par ses chroniques de Belgrade, ville dont Andric nous fait sentir l'atmosphère sur plusieurs décennies avec en point d'orgue les années de guerre, d'occupation et des terribles bombardements de 1944, sujet obsédant sur lequel revient dans toutes les courtes nouvelles qui terminent ce recueil.

Son point d'orgue pourtant est la plus longue, presque un court roman : Zeko. A travers le parcours de vie de ce citoyen serbe d'abord introverti et asservi à son épouvantable femme, puis découvrant dans les quartiers populaires du fleuve qu'une autre vie est possible pour enfin connaître l'exaltation de l'engagement auprès des partisans pendant la guerre, c'est à une vaste peinture de la société belgradoise de la première moitié du 20ème siècle que l'auteur nous convie, avec ses strates sociales marquées et ses aspirations politiques contrastées. On sent dans cette nouvelle comme dans les autres, la douleur et la frustration de l'écrivain composant son récit national sous les bottes de l'occupant et sous les bombes, acerbe contre la partie la plus bassement bourgeoise de ses concitoyens en même temps qu'attiré par les moins conventionnels.

J'avais beaucoup aimé la manière dont Andric donne à vivre l'histoire dans Le pont sur la Drina, expérience renouvelée en plus intimiste avec ce recueil.
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L'homme coquillage

C'est l'histoire d'un « amour, profond, féroce et irréel ». « "D'une force qui rend fou, d'une passion faite des rêves les pus secrets et de désirs jamais assouvis, d'une amitié miraculeuse scellées aux frontières de la vie et de la mort, l'histoire de cette peur par où commencent tous les désastres, cette peur représentatives de l'être humain, et de sa lâcheté, sa solitude désespérée » .

C'est l'histoire d'un corps, de ses mémoires, c'est l'histoire d'un désir qui ne peut s'oublier. L'histoire de deux coquillages unis et à jamais séparés.

C'est un voyage au bout d'elle même.

C'est l'histoire d'un homme coquillage qui savait un papillon prisonnier ,

c'est l'histoire d'une amitié, de ce qu'elle vous donne, de ce qu'elle vous prend, et de tout ce qu'elle vous laissera.

C'est l'histoire de nos solitudes.



C'est envoûtant, enivrant, ça a le grand pouvoir de vous rendre vivant.



Premier roman d'Asli Erdogan. Et il aurait été dommage qu'il n'arrive pas jusqu'à nous. Grâce à la traduction de Julien Lapeyre de Cabanes, voilà donc qui est fait.



« Chaque coquillage incrusté

Dans la grotte où nous nous aimâmes

A sa particularité

L’un a la pourpre de nos âmes

Dérobée au sang de nos cœurs

Quand je brûle et que tu t’enflammes ;

Cet autre affecte tes langueurs

Et tes pâleurs alors que, lasse,

Tu m’en veux de mes yeux moqueurs ;

Celui-ci contrefait la grâce

De ton oreille, et celui-là

Ta nuque rose, courte et grasse ;

Mais un, entre autres, me troubla. »

Paul Verlaine, Les Coquillages, Fêtes galantes.



« L'homme coquillage » : un très beau roman.



Astrid Shriqui Garain

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L'homme coquillage

Une jeune femme turque se rend sur l’île de Ste-Croix aux Caraïbes, dans le cadre d’un séminaire de physique nucléaire.



Elle s’ennuie parmi ses collègues. Elle va s’évader, faire des escapades sur l’île et aller à la rencontre de Tony, l’homme coquillage, qui la hantera à tout jamais.



Une relation assez mitigée va se mettre en place entre ces deux êtres qui ont souffert dans leurs chairs et qui souffrent de solitude. Jusqu’où cette relation les mènera-t-il ?



La peur est très intense au sein de ce roman, ainsi que le racisme. Peu de touristes trouvent grâce aux yeux de la population noire. D’ailleurs, les blancs ne s’aventurent pas trop dans l’île et encore moins la nuit.



Un roman onirique. J’aurai aimé qu’Asli Erdogan en dise un peu plus. Beaucoup de choses sont dites mais ne sont pas approfondies. Trop de sous-entendu à mon goût. De plus, La description de l’île ne donne vraiment pas envie de se rendre à Sainte-Croix.



Pas à l’aise en tournant la dernière page.

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Lettres d'Italie

Ici comme dans ma critique précédente il y a un souci d'ISBN et la couverture n'est pas celle que je commente. Dommage. La trouver ici : https://www.lalibrairieniort.com/livre/14845423-lettres-d-italie-karel-capek-la-baconniere

***

Il n'est sans conteste pas facile pour moi de commenter « Lettres d'Italie ». Je me trouve en effet dans la position somme toute peu enviable qui sait que son opinion ne sera partagée par quasiment personne. Je vais donc tenter de présenter d'une part mon point de vue très personnel et d'autre part un avis plus neutre.

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Je voudrais d'abord, plus vivement encore que d'habitude, remercier les éditions La Baconnière pour m'avoir offert cette masse critique. Cet ouvrage, pour paraître, a bénéficié d'une subvention du fonds de soutien à la publication de la littérature tchèque en traduction accordée par le ministère de la culture de la République tchèque. Cet éditeur bénéficie par ailleurs du soutien de la République et canton de Genève ainsi que d'une prime d'encouragement de l'Office fédéral de la culture 2020). Je précise ce qui précède pour indiquer que cet ouvrage n'a clairement pas pour objectif d'être vendu à 1 million d'exemplaires. le fait qu'il parvienne jusqu'à moi me semble même fort heureux. Je remercie au passage aussi Laurent Vallance, le traducteur en français de ce livre.

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L'objet livre m'a beaucoup plu. En effet sa couverture cartonnée, souple et non plastifiée, m'a rappelé de nombreux ouvrages hérités de ma grand-mère. Cela en fait sans conteste un objet plus facile à tacher que la moyenne, mais il a le grand mérite de ressembler à un ouvrage de l'époque de l'auteur. de la même façon l'image de couverture est un détail du tableau « martyr de Saint-Sébastien » datée de 1498 (Luca Signorelli). C'est bien entendu parfaitement adapté au sujet ; un voyage culturel en Italie. Mais ce détail, en même temps très graphique, fait immédiatement penser à l'art nouveau comme à son glissement progressif à l'époque vers l'art déco et contextualise ce propos dans son époque comme dans la Bohême. Ce choix, en plus d'être très esthétique, est donc particulièrement habile. Pour indiquer à quel point le travail réalisé a été sérieux je pense qu'il suffit de dire que le texte d'une centaine de pages est accompagné de 60 pages de notes diverses destinées à en permettre la parfaite compréhension. Enfin plusieurs pages blanches, à la fin de cet ouvrage, nous permettent aisément de pouvoir prendre des notes. L'ensemble est d'une très grande qualité, parfaitement pensé et montre une grande érudition. Tout est fait pour que le lecteur puisse profiter au maximum de la découverte de cet ouvrage.

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J'ai une très grande admiration pour Karel Čapek. Cet homme est, avec son frère, l'inventeur du mot robot. En 1922 il a écrit le roman « La fabrique d'absolu », très novateur, où il s'attaque entre autres à l'intégrisme religieux. Son oeuvre est déjà très satirique. En 1936 il publie son ouvrage le plus connu, « La guerre des salamandres ». Ce roman est l'une des dystopique les plus célèbres du XXe siècle. Elle est aussi une critique féroce des travers de son époque, une oeuvre touffue, complexe, d'une grande richesse et profondément imaginative. Elle comprend une critique virulente et drolatique du nazisme. Son ironie, à la fois souriante et féroce par rapport à divers travers de notre espèce, en font un ouvrage à la fois daté et humaniste du plus grand intérêt et un témoignage historique majeur. Cet homme mourra en 1938 d'un oedème pulmonaire quelques mois avant l'invasion de son pays. Il était alors le troisième sur la liste de la Gestapo des personnes à arrêter en priorité. Son frère n'aura pas cette chance relative et mourra au camp de Bergen-Belsen en avril 1945. Pour en revenir aux oeuvres de Karel Čapek, après avoir été brûlées par les nazis elles furent interdites par les communistes car anti totalitaires.

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J'étais donc très curieux de découvrir ces lettres d'Italie, publié en 1923. Elles furent à l'époque un relatif succès d'édition, déjà sans doute parce que l'auteur était connu. Depuis elles ont lentement sombré dans l'oubli. Je suis par ailleurs amoureux de l'Italie en général et de ses arts en particulier. J'espérais de cet ouvrage deux choses principales. Je voulais d'une part un peu mieux comprendre qui était l'auteur, et d'autre part profiter de son regard particulier sur les beautés artistiques de l'Italie. Dans les deux cas j'ai été pleinement satisfait. J'ai, en outre, été ravi de découvrir plusieurs phrases que j'ai trouvé saisissantes. Je voulais vous offrir ici quelques extraits choisis :

-« Je sais maintenant pourquoi je suis si remonté contre la beauté vénitienne. Il n'y a à Venise que des palais et des églises ; la maison de l'homme ordinaire n'est tout simplement rien. Nue, exiguë et sombre, sans corniche, sans petit portail ou colonnette pour la rythmer, puante comme une dent gâtée, n'ayant de pittoresque que son exiguïté de terrier, elle ne témoigne pas du moindre besoin de beauté. Rien ne vous réjouit quand vous vous promenez, ni le joli profil une frise, ni l'encadrement d'une porte, qui voudrait vous accueillir : c'est pauvre mais sans aucune vertu. de fait ses 100 ou 200 palais, ce n'est pas de la culture, mais juste de la richesse, ce n'est pas la vie dans la beauté, c'est de l'ostentation. Et ne me dites pas que c'est à cause du formidable manque de place ; c'est à cause d'une formidable nonchalance. »

- « Et j'affirme maintenant qu'ici le christianisme est mort au sud avec le style roman, au nord avec le gothique. Avec la pleine Renaissance et surtout avec le baroque, commence quelque chose de nouveaux et somme toute d'antipathique : le catholicisme. le christianisme ne peut nous parler que dans la langue primitive, sévère et sainte des premiers styles : il est grave, pur et plutôt simple. En comparaison la renaissance est païenne et le baroque, bigot, fétichistes, en un mot catholique. Culturellement c'est frappant : il y a là quelque chose de plus bas, par rapport à la pureté religieuse originale. Toute cette pompe folle, les marqueteries de marbre, les brocards, les stucs, les ors, les hôtels à pinacle, toute cette froide magnificence, religieusement parlant, est loin de vous dire le millième de ce qu'exprime, avec une gravité et une pureté sans égal, la chapelle de Giotto. »

- « le style, c'est tout, c'est plus que l'homme, car c'est par le style que l'homme atteint directement l'absolu. »

- À propos de Palerme : « C'est pourquoi la langue humaine est incapable d'exprimer les parfums et les puanteurs. Mêlez le jasmin, le poisson pourri, le fromage de chèvre, l'huile rance, les effluves des hommes, le souffle de la mer, l'essence d'orange et l'odeur de chat, et vous obtenez, dilué 10 fois, ce que l'on respire dans l'une des rues du port. Sans oublier les langes d'enfants, les légumes pourrissants, le crottin de chèvre, le tabac, la poussière, le charbon de bois et la pommade. Ajoutez encore le bois pourri, les eaux sales, le linge mouillé et la vieille huile de friture. Et le compte n'y est toujours pas. C'est inexprimable. Les beautés et les étrangetés du monde sont inexprimables.

- « Tu étais au bord des larmes sur la plage de Rimini, envahi d'une terrible nostalgie pour tout ce qui existe sur terre, tandis que les vagues, venaient l'une après l'autre s'échouer à tes pieds et y déposer leur écume irisée, n'y laissant que de la bave et de la vase, et que tu ramassais des coquillages en te remémorant tout ce qui était et ce qui avait été. »

- « Et croyez-moi nous ne comprendrons jamais la disparition de l'Antiquité superbe, tant que nous ne trouverons pas assez de vertu dans la simplicité de l'époque qui l'a dépassée. »

J'ai eu le plaisir de découvrir chez cet homme le démocrate nationaliste, l'homme de préjugés, l'individu parfois étroit et partial mais qui l'assumait. J'ai réellement l'impression d'avoir mieux compris qui était cet écrivain fascinant. Revisiter, grâce à lui, l'Italie que j'aime ainsi que de nombreux chefs-d'oeuvre picturaux et architecturaux, avec 1 siècle d'écart, m'a passionné. Enfin nous partageons le même amour pour la campagne italienne, que ce soit l'incontournable Toscane où l'Ombrie. Comme j'aurais aimé lire ses pages sur les Dolomites ou sur les Grands Lacs italiens !

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Vous l'aurez compris, j'ai profondément aimé cet ouvrage et je ne l'échangerais pas contre l'ensemble des oeuvres de Musso et d'Amélie Nothomb réunies. Inutile de me proposer d'ajouter Fregni et Werber, la réponse est toujours négative, n'insistez pas ! Pour autant je sais parfaitement que la plupart des personnes mettront au maximum une étoile à ce livre si toutefois elles ont la curiosité, après avoir eu la chance de le croiser, de le feuilleter. Et je peux parfaitement les comprendre. Je ne conseillerais déjà pas ce livre à quelqu'un qui ne connaît pas très bien l'Italie, dans la diversité de ses villes, de ses églises, de ses époques artistiques, de ses collines... Dès lors que le sujet abordé est inconnu l'intérêt d'un regard original et ancien risque d'être pour le moins faible. Une partie du plaisir de la lecture est d'accompagner l'auteur dans des lieux qui nous évoquent intimement quelque chose.

Il est stimulant aussi de mettre en abîme deux aspects. le premier est de comparer l'Italie au début du XXe siècle et au début du XXIe siècle. C'est amusant de noter à la fois à quel point les différences sont considérables et à quel point d'une certaine façon l'âme de ce pays n'a pas du tout changé. le second aspect consiste, de la même façon, à mettre en perspective ce que le touriste du XXIe siècle que chacun de nous peut être a ressenti dans tel ou tel lieu par rapport à ce que pouvait écrire un européen tchèque cultivé de l'entre-deux-guerres devant le même tableau, la même église, le même paysage ou le même spectacle de rue. Les lieux et les époques pèsent sur nos façons de voir et c'est ici très sensible, donc intéressant intellectuellement et affectivement.

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Je voudrais terminer cette critique en me réjouissant sans mélange du fait que certains livres, comme ici, peuvent encore échapper totalement à la logique commerciale. Ils ne prétendent à aucun élitisme par ailleurs, ils s'adressent juste un public très particulier et restreint qui va avoir alors le bonheur de pouvoir les rencontrer et en profiter pleinement. Combien d'autres supports culturels peuvent nous offrir cette même incroyable diversité ? Merci donc à tous ceux et à toutes celles qui, par le livre ou par d'autres supports, défendent la vision d'une culture à la fois protéiforme et ouverte à tous, non en recherchant le plus petit dénominateur commun mais en proposant au contraire des produits de qualité assez divers pour que chacun d'entre nous puisse trouver son bonheur et une façon de s'enrichir.

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L'homme coquillage

Une lecture en demi-teinte, d'un côté la bande de physiciens qui se suit un rang bien rectiligne du savoir plus mais détourner le regard vers la vraie vie et d'un autre celle qui va à la rencontre des êtres vivants sur cette île des Caraïbes. Peut percevoir avec cette histoire toute la difficulté de cette population de côtoyer "les touristes" même si eux sont venus pour travailler.

on ressent toute cette tension, la violence, la pauvreté, le racisme. Et puis il y a cette rencontre impromptue entre deux êtres avec une force singulière de deux âmes qui se reconnaissent dans le chaos de leur vie. Aussi différents et pourtant si semblables.

J'ai apprécié cette histoire entre ces deux personnages, quant au reste, moyen.

Une lecture qui ne restera pas dans ma mémoire bien longtemps.
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La machine à indifférence et autres nouvelles

Akira, vous connaissez. Ghost in the Shell aussi. Et l’univers nippono-cyberpunk de Blade Runner ou de Neuromancien également. Mais citer un écrivain japonais de SF, cela devient plus difficile. À part quelques spécialistes, capables de lire directement la langue de Mishima ou de Sōseki, nous sommes peu à vraiment connaître cette part de la production de l’imaginaire : les œuvres littéraires japonaises de SF parviennent peu en France. Heureusement, la jeune maison d’édition de l’Atelier Akatombo comble progressivement cette lacune. Elle a pour ambition de nous faire découvrir la littérature dite de genre (polars, SF, érotique) issue de l’archipel nippon. La Machine à indifférence est une anthologie de cinq nouvelles qui nous propose un instantané, une vue partielle mais attirante de ce qu’un lecteur de SF japonais peut lire au XXIe siècle.



Une technologie omniprésente

Dans les cinq textes qui composent cette anthologie, même les plus ancrées dans le réel, apparaissent des machines issues d’une technologie supérieure à la nôtre ou des phénomènes inexplicables actuellement. Traitement qui permet de modifier la perception dans « La Machine à indifférence » de Project Itoh (qui date de 2012) ; androïdes produits en série et qui tombent du ciel dans « Les anges de Johannesburg », de Yūsuke Miyauchi (2013) ; balle de revolver qui voyage à rebours du temps dans « Bullett » de Toh EnJoe (2007) ; armement extrêmement perfectionné (et donc extrêmement meurtrier) dans « Battle loyale » de Tayiō Fujii (2017) ; puce qui permet d’accéder directement à la personnalité dans « La Fille en lambeaux » de Hirotaka Tobi (2006).

Les progrès techniques sont parfois annexes, simple élément de décor, parfois centraux. Dans « La fille en lambeaux », tout l’environnement est différent que celui que nous connaissons, tant les réalités augmentée et virtuelle ont pris de l’importance. Les habitants sont en contact permanent avec elles. Et pas seulement avec la vue. Car l’innovation de l’équipe que nous suivons permet de sentir, d’entendre, de toucher des objets virtuels. Bref, d’enrichir le monde dans lequel nous vivons, au point de ne plus savoir réellement ce qui est vrai. Vous êtes allergique au gluten ? Vous pouvez tout de même avoir l’impression, la sensation d’en manger. Mais sans les désagréments qui lui sont adjoints. Pratique, non ? Mais inquiétant, car on finit par ne plus savoir ce qui est réel. Et cela va plus loin, avec la puce qui enregistre les « esprits » des gens, leurs souvenirs, leurs sentiments, leurs sensations. Cet enregistrement, s’il parvient à la conscience sous forme d’avatar, devient-il une personne différente de son original ? Est-elle une personne à part entière ? On peut penser à Pekin 2050, de Li Hongwei (récemment paru aux éditions Picquier), qui aborde en partie ce thème.



Une SF mondiale

Une chose qui m’a surpris quand j’ai entamé (et poursuivi) la lecture de ce recueil, c’est la localisation des histoires racontées. Je m’attendais à visiter un peu le Japon. Que nenni ! Point ! Nullement ! Deux textes se déroulent en Afrique, un troisième en Chine. Quant aux deux autres, le lieu est sans importance et les histoires pourraient se dérouler partout. Un peu frustrant, ce choix de textes internationaux, mais révélateur d’une ouverture sur le monde de la SF nippone. L’Afrique, donc, qui apparaît comme une terre de violence, où les peuples s’affrontent, se torturent, se tuent, sans que l’on imagine la moindre solution possible à ces conflits. « La machine à indifférence » (titre qui fait référence au célèbre texte de Bruce Sterling et William Gibson, La Machine à différences, qui date de 1990) imagine un moyen technologique : suite à une opération, les combattants sont incapables de reconnaître l’ethnie à laquelle appartiennent les personnes qu’ils croisent. Ils n’ont donc plus de raison, a priori, de s’en prendre à eux. Qu’ils soient Xemas ou Hoas, plus de différence ! Donc plus de conflit ? Tout n’est hélas pas si simple. Ce texte présente un bel exemple de SF tournée vers le monde que nous connaissons, dont on tire les fils pour aller plus loin et s’interroger sur ce qui nous entoure, ce qui ne fonctionne pas, ce qu’on pourrait améliorer. L’auteur s’inspire de façon assez transparente du conflit qui a déchiré le Rwanda et il nous propose un récit sensible mais sombre.



Une SF tournée vers l’actualité (plus ou moins proche)

Comme je viens de l’écrire, « La machine à indifférence » fait référence au Rwanda. « Les Anges de Johannersburg », eux, sont bien ancrés dans l’Afrique du Sud et sa division entre différents groupes ethniques ou autres. L’histoire, très belle bien qu’assez dure, a pour cadre un pays ravagé, dévasté, partagé entre diverses factions. Le quotidien des personnages principaux est pleinement tributaire de cette situation politique désastreuse. Et chacun essaie de s’en sortir avec les moyens du bord. L’auteur ajoute une note poétique avec un thème familier au Japon (j’en profite pour signaler une préface de Denis Taillandier et une postface de Takayuki Tatsumi, suffisamment courtes pour être lisibles, mais suffisamment longues pour apporter de nécessaires mises en perspective et de capitales références culturelles… que je distille en partie dans cette chronique) : la chute de robots humanoïdes (ce qu’illustre la couverture du livre). Cette pluie quotidienne apporte quelque chose de singulier et de magique, évocation « surréaliste » et belle. Même si l’effet ne dure pas et si on découvre rapidement la terrible réalité qui l’explique.

« Battle loyale » (le jeu de mot du titre est en partie justifié) évoque, lui, les conflits en Chine. Les Ouïghours (dont j’ai parlé récemment en chroniquant le livre de Sylvie Lasserre, Voyage au pays des Ouïghours) sont au centre d’une guerre terroriste. Radicaux islamistes luttant contre l’oppression du pouvoir central, mais avec une violence et une injustice flagrante ; abeilles tueuses, en fait, des drones miniaturisés et perfectionnés capable d’encore plus de dégâts, de meurtres. Malgré le côté imaginaire de la nouvelle, beaucoup de points entrent en résonance avec la situation tendue que nous connaissons actuellement. Et des pistes sur la possible fin des guerres. Un texte qui fait, comme les autres, réfléchir à notre monde.



Ce recueil a été pour moi une grande découverte. J’étais, comme beaucoup je pense, gorgé d’images « classiques » du Japon. Ces nouvelles m’ont offert un panorama plus riche, plus divers, plus intéressant surtout de la production littéraire de SF contemporaine japonaise. J’espère vraiment que l’Atelier Akatombo poursuivra dans cette voie et nous offrira d’autres livres du même niveau. Merci à eux pour cette lecture !
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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L'homme coquillage

C'est un étrange récit que celui que nous offre Asli Erdogan. L'homme Coquillage est un caribéen rencontré par une jeune chercheuse en physique nucléaire lors d' un séminaire sur l'île Sainte-Croix. Ils vont , en quelques heures volées aux cours qu'elle ne suivra pas, se parler, se regarder, explorer l'île , ses beautés et ses dangers. le passé de Tony, l'homme coquillage, est fait de souffrances et d'ombre. Très rapidement un drôle d'amour s'installe entre eux et les rencontres qu'ils feront amèneront l'auteur à poser les vraies questions à son lecteur: jusqu'où peut aller la tolérance? Quel regard porte-on à l'autre, celui qui est si différent de nous? le poids de notre histoire nous permet-t-il d'accéder à n'importe quelle histoire d'amour?

N'est-on pas seul toute la vie?

C'est remarquablement écrit, une réelle sensualité émane des mots et des images.
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L'homme coquillage

J'ai découvert Asli Erdogan lors d'un passage à la Grande Librairie. J'ai beaucoup aimé cette femme pour son courage et sa force. Je l'ai vu au salon du livre à Paris, j'ai donc acheté ce roman afin qu'elle me le dédicace. Ce roman est très beau, c'est son 1er. Il ne ressemble pas au précédent que j'ai lu d'elle, Même le silence... Mais on sent une femme vraie, qui cherche a communiquer avec les autochtones, qui a le sens des valeurs. Son roman qui nous transporte aux Caraïbes, nous en dit beaucoup sur les relations entre les hommes. Une belle lecture.
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Le ministère de la douleur

Que deviennent les réfugiés d'un pays qui n'existe plus ? Peuvent-ils recommencer une vie à l'endroit qui les a accueillis ?

Dubravka Ugresic nous propose un roman magistral, de son regard incisif et mélancolique, à travers le portrait d'une enseignante, Tanja, invitée à l'université d'Amsterdam au département de langues Slaves. Un personnage remarquable, le trait d'union entre le monde disparu, La Yougoslavie, et ses étudiants qui ont fui, comme elle, la guerre. Un regard sans concessions sur cette "Yougoslavie" qui empoisonne les relations entre tous ces personnages.

Un roman brillant sur la littérature slave, balkanique, d'Europe orientale, mais aussi sur la linguistique, arme politique par excellence et composante essentielle de l'identité nationale.

Tanja pourra-t-elle conduire son cours de littérature slave dans une classe composée des nationalités de toute l'ex-yougoslavie alors que ce pays s'entre-déchire encore et que l'on juge à La Haye les criminels de cette guerre fratricide ?
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La chronique de Belgrade

Si Belgrade m’était contée…



Si le nom d’Ivo Andrić m’était quelque peu familier, je n’avais jamais eu l’occasion de me plonger dans les écrits de cet auteur croate, prix Nobel de littérature en 1961.



Heureusement les éditions des Syrtes sont là et nous permettent de découvrir, cerise sur le gâteau, des nouvelles exclusives de l’auteur.



Des nouvelles classées chronologiquement en fonction des événements narrés dans les différents textes.



Sans vouloir résumer chaque nouvelle, certains grands traits se distinguent de l’esemble de ce livre.



Toutes ont pour cadre la ville de Belgrade, mais ce qui est frappant c’est l’omniprésence de la guerre et des bombardements.



On sent que l’auteur, qui resta à Belgrade occupée puis bombardée pendant la seconde guerre mondiale, a ressenti personnellement les alarmes aériennes, les fuites dans les caves, l’attente au milieu des gens qui crient, se lamentent ou au contraire restent presque absents des événements.



La guerre sert de catalyseur, de révélateur d’humanité : elle permet de montrer le vrai visage des gens, leur permet de s’élever, de reconquérir une dignité écrasée dans les affres d’un mariage malheureux. Car oui, certains couples sont heureux mais dans l’ensemble le bonheur conjugal n’est pas monnaie courante.



Les personnages principaux de ces récits ne sont pas des héros, à la base. Ce sont des hommes qui ont souvent épousés la mauvaise femme, des mégères qui rabrouent leur mari. Et ce dernier s’efface. Mais parfois il est possible de reconquérir une certaine forme de dignité. Certains y arrivent, d’autres non.



Ces portraits sont autant d’occasion pour évoquer la vie belgradoise sur des périodes charnières. J’ai été séduite par la plume de l’auteur, par ses personnages pathétiques ou horripilants mais surtout touchants par leur volonté de casser leurs chaînes.



Une première incursion dans les écrits de cet auteur qui me donne envie d’en découvrir davantage.
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Mademoiselle Mozart

Et si Mozart était une femme se faisant passer pour un homme afin d'exister dans une société où les femmes ne peuvent exprimer leur talents artistiques. Tel est le départ de ce manga.

Le père voit en sa fille une génie de la musique et décide, dans un geste de violence, de lui couper les cheveux et de la travestir en garçon afin qu'elle puisse devenir le grand Mozart.

Rivalité entre compositeur, mariage impossible mais qui se fait, musique, le manga aborde tout ces moments de vies.

certains passages sont assez vulgaires mais assez bref.

Une lecture intrigante mais qui ne m'a pas passionné outre mesure.
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Filles de l'Est, femmes à l'Ouest

En 2019, à l'occasion de la commémoration des 30 ans de la chute du Mur de Berlin, des filles écrivaines, nées à l'Est dudit Mur se sont réunies et ont décidé de créer quelque chose ensemble. Des textes courts en français sauf ceux de Grażyna Plebanek, traduit du polonais par Cécile Bocianowski, qui parlent de leur naissance et leur jeunesse de l'autre côté du Mur. Ce recueil a été retardé pour cause de crise de COVID, et préparé pour paraître cette année. Les autrices, suite à la guerre de la Russie contre l'Ukraine, se sont réunies et chacune, a écrit un petit texte à ce sujet. Un Post-scriptum au livre.



Pour moi qui suis né au mitan des années 60, j'ai grandi avec l'idée inculquée à l'école et dans les divers médias de l'époque, que vivre à l'est du Mur de Berlin était chose compliquée. Qu'il fallait faire des heures de queue pour pouvoir acheter à manger -quand on avait de quoi-, qu'on partageait des appartements à plusieurs familles et qu'il fallait obéir aveuglément aux autorités... Et puis, ces filles racontent leur enfance plutôt heureuse voire insouciante même s'il fallait "Mimer la bienveillance envers l'autre au quotidien et en même temps se méfier de tous. Je ne me rendais pas compte à quel point vivre ainsi était épuisant." (A. Dimitrova, p.25). Dans les divers pays dans lesquels elles ont grandi : Tchécoslovaquie (actuelle Slovaquie), Bulgarie, Pologne, Roumanie, Estonie, Tchécoslovaquie (actuelle République Tchèque), Russie et Yougoslavie (actuelle Croatie), les femmes avaient des droits parfois bien plus étendus qu'à l'Ouest notamment sur l'avortement, la contraception mais aussi dans le travail où la parité était davantage respectée. A la chute du Mur, la capitalisme s'est engouffré dans ces nouveaux territoires à prospecter et envahir :"Aucun régime totalitaire n'a encore réussi l'exploit de maintenir sa population dans un état d'obéissance et d'addiction prolongée tel que celui que l'Occident a su créer par la consommation permanente transformée en moteur vital." (A. Dimitrova, p.33)



C'est intéressant de lire ces femmes, car leurs souvenirs vont à l'encontre de ce que nous apprenions et voyions, et elles soulèvent des questions importantes sur la place des femmes, leurs droits, sur les régimes totalitaires, le capitalisme débridé et la consommation à outrance...



Et puis, les derniers textes sur la guerre en Ukraine qui réveillent en elles des souvenirs, des peurs, des angoisses qu'elles croyaient enfouies : "Depuis le début de "l'opération spéciale", chaque nuit, je me traîne sans sommeil. J'ai peur qu'en dormant, les images de la Russie de Poutine reviennent se superposer en cauchemars et se confondent avec les images de mon enfance qui tétanisent encore mon corps." (A. Dimitrova, p.123)



"Nous sommes les additions des traumatismes que nous avons occultés, ainsi que de ceux que les générations précédentes, dans le silence souvent, nous ont transmis. Et il suffit parfois d'une seule image pour que tout ce que nous avons remisé dans les greniers de la mémoire resurgisse." (S. Ristić, p.148)
Lien : http://www.lyvres.fr/
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