Bande annonce de Nocturnal Animals, adaptation du roman Tony et Susan d'Austin Wright
Il savait qu'à l'ivresse de la chevauchée nocturne succéderait une gueule de bois matinale et qu'il aurait toutes les peines du monde à ne pas tomber de sommeil dans l'après-midi et à retrouver un horaire normal, mais il était un cow-boy en vacances et c'était le moment ou jamais d'être irresponsable.
- Alors, c'est parti, dit-il.
Ainsi s'en furent-ils par l'autoroute, sous le long crépuscule de juin, croisant au large des cités industrielles, cisaillant lentement les courbes et avalant patiemment les longues montées et les descentes parmi les terres agraires, pendant que le soleil, derrière eux, incendiait de ses derniers feux les fenêtres des fermes à flanc de colline. Tous trois s'extasiaient de l'aventure et s’émerveillaient de la beauté de la terre au couchant, avec cette lumière rase jetée sur le jaune des champs, le vert des bois et le noir du goudron devant eux, qui virait étrangement à l'argent dans le rétroviseur.
A tout hasard, il prit la voie de droite, celle qui descendait la colline. Impression d'inconnu. Il entendit une voiture qui montait. Il en vit les phares approchés et se mit à couvert jusqu'à ce qu'elle fût passée. Ce n'était ni celle de Lou ni la sienne, mais ça aurait pu l'être, et il jugeait prudent de ne plus prendre de risques. Mais quel sens pouvait bien avoir la prudence quand on arpentait seul une route inconnue, la nuit, avec au ventre la peur des voitures et des hommes, comme si l'on était en exil de sa propre espèce ?
Comme son plaisir de lectrice dépend de sa détresse à lui! Elle a le sentiment que la douleur mise en scène ici, incarnée par Tony, est réellement la sienne, ce qui est alarmant. Douleur ancienne ou à venir, elle ne saurait le dire. Et cela est obscur parce qu'elle sait, à la différence de Tony, que sa propre souffrance n'est pas ici mais quelque part ailleurs, et que c'est son absence, rendue si vivace, qui fait toute l'intensité du moment.
Et Tony voit - il a dû toucher la cruauté tapie sous le masque-, il voit, l'espace d'un fugitif instant, le même sourire que l'été d'avant, sadique et méprisant - juste assez pour rallumer sa rage presque oubliée et expulser toute pitié de son esprit.
Non, soumets-toi d'abord, apprécie, si horrible cela soit-il.