"Orage Mystique" de François de Curel, 1927
Dans les rafales de tempête se poursuivent encore les ombres des amants qui se sont en vain cherchés pendant la vie ...
- Cré nom de nom ! votre prose court le monde ! ... votre mari ? ...
Paul est un homme de soixante ans, grisonnant à peine, encore très vert, dont le regard vif, nullement embué de rêverie, a mesuré toutes les valeurs de ce monde, sans jamais se perdre dans l'au-delà.
Il est seul, allant et venant d'un bout à l'autre du salon.
Souvent il s'approche d'une des portes-fenêtres et jette au dehors un coup d’œil, impatient de découvrir des personnes attendues.
Enfin, on entend le ronflement d'une auto.
Il se précipite sur le perron et agite son mouchoir, en signe de bienvenue, puis rentre, traverse rapidement le salon et sort dans le vestibule.
Bruit de l'arrivée. Grand ronflement d'auto qui meurt subitement ; exclamations du débarquement et Paul revient à demi enlacé par une jeune fille d'une éclatante et sensuelle beauté, et suivi d'une dame d'aspect neutre et décent....
(lever de rideau de la pièce extraite de "La Petite Illustration" n° 126 parue en décembre 1922)
Qu’est ce donc que le génie ? Il est la qualité de celui qui ouvre à l’esprit des régions inexplorées. S’agit-il d’œuvres purement littéraire, le génie se reconnaît à ce que ses productions ne vieillissent pas. Il règne en souverain dans le palais qu’il a édifié, et ceux qui y pénètrent à sa suite ont l’air de vieillards invités à contempler son éternelle jeunesse. Bref, l’écrivain de génie est celui dont l’œuvre est immortelle...
Nuit très obscure. Grondements de tonnerre qui s'éloignent. Vent. Pluie torrentielle. De fréquents éclairs montrent, à courte distance d'un chemin qui longe la rampe, une villa enchâssée dans un épais massif d'arbustes troué par un perron que surmonte la porte d'entrée.
A droite de la scène et à l'embranchement du chemin qui conduit à la villa, un groupe d'arbres forme un réduit ténébreux.
Abrité sous un parapluie et luttant contre la tourmente, arrive par la gauche un gros homme qui suit le chemin aussi vite que le lui permettent sa corpulence et les éléments.
Au moment où il atteint, vers la droite, le coin propice à une embuscade qu'abritent les arbres, un violent éclair illumine ses traits.
Aussitôt un fantôme noir se sépare d'un arbre et se précipite à sa rencontre....
(lever de rideau de la pièce extraite de "La Petite Illustration n° 195 parue en décembre 1927)
Dans la préface de 1918 à l'édition de son Théâtre complet, François de Curel écrivait : "Depuis l'âge de trente ans, mon existence a été une longue rêverie, laquelle, de temps en temps, prenait pour confidents les personnages d'un drame".
Et c'est bien ainsi qu'il faut comprendre une oeuvre qui reste souvent d'actualité.
"La nouvelle idole" reflète particulièrement la qualité de sa pensée et de ce qu'i appelle lui-même son austère psychologie.
Le docteur Donnat est en effet un idolâtre de la science ; face à une jeune tuberculeuse qu'il croit condamnée à coup sûr, il n'hésite pas à lui inoculer le cancer, pour mener à bien un progrès médical qui sauvera d'autres vies.
Mais la jeune fille guérit de la tuberculose, et soulevée de charité par sa foi religieuse, elle apaise les remords du médecin, qui, pour se punir, s'était à lui-même inoculé le mal mortel.
Devant le spectacle de grandeur que lui offre sa victime, il met en question son idolâtrie de savant et "meurt comme s'il croyait en Dieu".
(extrait "Lagarde et Michard" - XX° siècle - le Théâtre avant 1914)
Salon campagnard de bourgeois aisés, situé au rez-de-chaussée et garni de meubles anciens lorrains. A droite, deux fenêtres ouvrant sur un jardin. A gauche, au premier plan, porte de la chambre de Pauline. Au fond, porte donnant accès à un couloir qui aboutit à la porte d'entrée. A gauche de ce couloir se trouve la cuisine où se tient Anna, à droite, l'escalier conduisant à l'étage.
Une des fenêtres est ouverte, devant elle une femme est assise et travaille à réparer un vêtement. Elle a environ cinquante ans. Sa figure est énergique, sa personne robuste et bien équilibrée. Elle laisse aller son ravaudage sur ses genoux et songe en regardant le jardin et la vaste campagne qui l'environne. Le ciel est empourpré des feux du soleil couchant.
On est en septembre. Une cloche retentit à la porte d'entrée et presque aussitôt arrive Anna, vieille fille de cinquante-cinq ans.....
(lever de rideau de la pièce extraite de "La Petite Illustration" n° 129 parue en janvier 1923)
Grand vestibule au rez-de-chaussée d'une antique gentilhommière. Il sert à la fois de parloir où l'on reçoit les étrangers, de pièce où le chatelain enlève ses bottes au retour de la chasse, de vestiaire où la dame du logis, sa promenade achevée, se débarrasse de son chapeau et de son ombrelle.
On y rencontre des meubles appropriés à tous ces usages : la table de chêne sur laquelle on signe rapidement le reçu d'une lettre recommandée qu'apporte le facteur, un pendoir, de confortables fauteuils, une vieille horloge de bois, des trophées de chasse, plans de propriétés,etc....[....].....
Annette est une personne d'une soixantaine d'années, alerte et vigoureuse, à tournure de gouvernante. Assise devant une des fenêtres du fond, elle surveille le parc tout en ravaudant de vieux bas.
Soudainement, son attention est attirée par un objet qui l'intéresse vivement.
Elle se lève et, cachée par un rideau, guette l'approche d'une jeune femme que l'on voit bientôt gravissant le perron.
Alors Annette va ouvrir la porte fermée à clef et introduit la visiteuse, élégante et jolie.....
(lever de rideau de la pièce extraite de "La petite Illustration" n° 160 parue en mars 1926)
Voici, en effet, un drame construit, "déduit" avec une victorieuse maîtrise, un "sens de la scène éclatant" et qui, par l'habileté, l'ingéniosité des péripéties, des rebondissements, évoquerait assez bien ceux des "vieux routiers de théâtre".
A deux ou trois reprises, j'ai entendu prononcer autour de moi le nom de Victorien Sardou.
Tout de même, vous pensez bien que Mr de Curel n'a point fait abstraction de sa personnalité littéraire, qu'il ne traite pas seulement une situation par "le dehors", mais en extrait une riche matière humaine et tout ce qu'elle peut suggérer au spectateur d'idéologique rêverie.
Seulement, cette fois, Mr de Curel a laissé agir, vivre librement ses personnages.
Il ne leur a pas imposé ses idées à lui, ses opinions touchant la chasse, la guerre, l'humanité, l'instinct passionnel, etc...
Si bien que, pas une seconde, le public n'a été détourné de son intérêt, de son émotion active, palpitante, directe.
(A l'occasion de la répétition générale, M Edmond Sée se réjouit dans le journal "l'oeuvre" du succès éclatant, unanime de ces trois actes)
A la campagne, chez Riolle. Vaste salle au rez-de-chaussée, garnie de meubles anciens. Aux murs, plats et assiettes de vieilles faïence, quelques portraits de famille. Fenêtres et porte donnant sur un jardin égayé par des fleurs paysannes : roses trémières, dahlias, digitales, pétunias, etc..., qui foisonnent le long des allées dans un riant désordre.
D'une porte située au premier plan sortent Justin et Dromarre le médecin.
Ce dernier est un homme robuste, au parler tranquille et facilement ironique, à la physionomie bonasse et rusée.
Riolle, plus âgé que lui, a 55 ans. Sa personne est soignée, mais on voit que ses vêtements sont de vieux amis qu'il n'abandonne pas volontiers.
Le médecin arrive le premier. A peine entré, il se retourne et lance vers la chambre qu'il vient de quitter une suprême recommandation :
"...Bien entendu !...Mangez à votre faim....Pas trop à la fois et souvent....
(lever de rideau de la pièce extraite du n° 12 de "La Petite Illustration" parue en février 1920)