Déclic par les éditions Critic première planète à gauche... et tout droit jusqu'au futur !
À l'occasion de la parution du premier titre de la collection, "Le Cri des Chimères" Marine Sivan a eu la gentillesse de se prêter au jeu de l'interview !
Vous allez apprendre plein de choses ;)
Illustrations par Vincent Roché
#jeunesse #postapo #sciencefiction #dystopie #écologie #mutation
_ Il ne doit pas être enterré. S'il finissait sous terre, son âme-souffle serait prisonnière. Elle étoufferait. Ce serait une mort définitive.
_ Et que faites-vous du corps ? Vous le laissez se faire dévorer ?
Eonak fut surpris de n'entendre aucun jugement dans la voix du Tahori, uniquement de la curiosité.
_ Le corps est une enveloppe pour notre âme-souffle, expliqua le nomade. Quand nous mourons, nous participons à notre tour au cycle des naissances et des renaissances. Notre corps nourrit la taïga, qui nourrira à son tour les plantes, les animaux... les Inutak, notre peuple. La vie et lamort se mêlent dans une ronde infinie.
_ Je te voyais souvent partir en cueillette le matin.
_ Vraiment ? Je me levais pourtant très tôt, bien avant l'aube.
Pendant que sa mère dormait encore, pour éviter les disputes,, les justifications, les incompréhensions qui les faisaient toutes deux souffrir. Sakari acquiésça :
_ Je n'ai jamais eu un bon sommeil. Je me réveillais avant Tekoa et sa mère. J'en profitais pour m'occuper des rennes ou partir pister du gibier.
_ Je n'ai jamais été doué pour la chasse, admit Leythe.
Elle ricana :
_ Il y a quelques années, j'ai même troqué un lièvre à un chasseur pour ensuite prétendre que je l'avais capturé seule.
Elles arpentaient un paysage monotone. Quand la berge devenait traîtressee à cause des roches et des congères coupantes, elles pénétraient dans la forêt. Le crissement du vent, de leurs bottes sur la croûte de neige et les cris des bêtes accompagnaient les jeunes femmes ; s'y mêlaient des bruits plus inquiétants, quand une branche craquait et se brisait net, parfois à un cheveu de leur crâne. Le soleil amolissait la poudreuse sous leurs pas ; Leythe devait tirer toujours plus fort sur ses jambes pour s'extirper du mélange de boue et de flocons qui emprisonnait ses mollets. Les nomades cheminaient en silence, chacune concentrée sur son effort et son souffle.
Il porta la lamelle de viande à sa bouche, la déchira d'un coup de dents et la mâcha en silence, d'un air songeur, avant de terminer :
_ Tes convictions m'évoquent plus les excuses du lâche qui embrasse la mort pour fuir un inconnu trop effrayant, que la droiture du guerrier souceux de ses compagnons.
Et là-dessus, il tourna les talons.
Leythe regarda sa sacoche de fortune, dans laquelle elle avait amassé des graines, quelques champignons et des racines dont les vertus curatrices leur serait utiles, et se mordilla la langue. Le doute, cet ami cruel et familier, s'imisça de nouveau en elle. Personne n'oublierait qu'elle avait abandonné son propre frère sur la berge, peuimporte combien de plantes elle dénicherait. Leythe se rendit compte que ses mains tremblaient. Elle tenta d'assourdir ce tourbillon de pensées néfastes - et réussit, un peu.
Et finalement, elle aussi avait plongé dans ce tourbillon de violence. Elle avait tué un homme. Même pas de façon honorable, non, elle lui avait mâché le cou, avait senti la chair se rompre sous ses incisives, le sang gicler en jets bouillonnants au fond de son gosier... Si elle avait eu asse de force, elle lui aurait arraché le visage, lui aurait crevé les yeu, broyé le nez d'un coup de dents. Cette férocité expiatrice, absolue, avait flambé au creux de ses entrailles sans prévenir. Leythe pensait se déroberau cycle de violence initié par son pre puis transmis comme une gangrène à sa mère et son frère. Elle avait cru rompre ces chaînons funestes en choisissant de se former secrètement aux arts des plantes et de la guérison Mais elle avait été contaminée.
Comment pardonner l'impardonnable ?
- Les rumeurs disaient vraies..., me coupa Silas. Ce sont des monstres. Ils ne valent pas mieux que nous. [...]
- C'est le crime d'un seul homme, Silas, non d'un peuple...
Il se tenait au bord du précipice, sur la mince ligne qui sépare les guerriers des monstres, et il se sentait basculer en avant, à un pas du mauvais choix.
- Si je me fie aux astres, nous allons dans la bonne direction, affirma Silas.
- Vous parlez comme un diseur de bonne aventure, ricanai-je.
Silas remonta à ma hauteur :
- Quand nous aurons trouvé le temple, nous changerons de nombreuses vies. Nous changerons le monde.
- Et maintenant, vous parlez comme un fanatique.