Anesthésiée par la douleur d'avoir perdu ceux qu'elle aimait, elle n'a rien ressenti jusqu'à ce que, après deux nuits passées dans une salle malodorante et surpeuplée, elle soit enfermée dans ce wagon qui roule interminablement vers le Nord.
-Tu te rends compte, Genia ! Pendant des mois, nous peaufinons notre évasion, nous passons au travers de tous les dangers, et maintenant que nous atteignons enfin cette terre de liberté, ces chiens vont la transformer en une vaste prison, à l'image de la Russie !
-La pieuvre étend ses tentacules...
Moscou, février 1938. La sinistre fourgonnette avançait en ronronnant le long de la rue mal éclairée. Tel un homme ivre mort, elle tanguait sur les amas de neige durcie qui recouvraient par endroits la chaussée. Derrière les fenêtres closes des appartements, à l'exception des jeunes enfants et des personnes trop âgées pour espérer encore quelque chose de la vie, les habitants ne dormaient pas. Dès que l'inquiétant bourdonnement s'était élevé vers les étages, ils avaient ouverts des yeux agrandis par l'anxiété, et s'étaient glissés derrière leurs carreaux en priant.
Madame Verdier était une femme entièrement dévouée à sa famille, à condition que celle-ci se conforme rigoureusement aux codes qu'elle lui avait inculqués.
Malgré sa détermination à mettre son amie à l’abri, Genia détecte une telle note d'urgence dans sa voix qu'elle s'arrête net. Et dirige ses regards vers la direction indiquée. Et là son cœur s'arrête de battre. Le sans se retire de ses artères. Un coup d’œil rapide à Olga qui, elle aussi, au sens propre comme au figuré s'est muée en statut de glace.
Un loup.
Le jeune médecin passa une main sur son front d'un air las :
"Le devoir... ce sacro-saint devoir ! Que d'horreurs comment-on en son nom !"
Seigneur, tu connais la justesse de notre cause, donne-nous la victoire !