Comme la plupart des enfants, je rêvais moi aussi d’être adulte. Le 7 juillet, je soufflais les bougies de mon gâteau d’anniversaire et faisais sept vœux. Je voulais un poulailler avec beaucoup de poules. Une propriété au bord de la mer remplie de palmiers et d’amandiers où se nicheraient des bandes de perroquets dans un joyeux brouhaha. Lire tous les livres de la Terre et écrire les miens. Gagner ma vie et faire le tour du monde. C’étaient, pour une fillette de onze ans, de bonnes raisons de vouloir grandir.
J’ignore si c’est pour cela, à force de l’avoir tant désiré, que ça a marché, sans génie, sans lampe magique, mais soudain, un après-midi de mai, j’ai vieilli de trente ans d’un coup. Le jour où mon père a été tué. Qui a été aussi celui où j’ai appris que les choses ne se passent pas exactement comme prévu.
À cet instant je me suis rendu compte que dans le monde réel on n’a pas trois vies, comme dans les jeux vidéo. On n’en a qu’une, et quand on la perd, c’est pour toujours.
Mais à présent tout était silencieux, et le silence a une teinte partiiculière lorsqu'il niche dans des lieux qui ont été ostensiblement bruyants. De temps en temps, on entendait le léger murmure des feuilles mortes qui s'entassent désormais dans les coins, dansant, muettes, avec le vent.
La maison de ma grand-mère était dans ce monde, et le monde entier était dans la maison de ma grand-mère. Il n'y manquait rien, il n'y avait rien en trop. Nous étions heureux. Nous étions comblés.
En revanche, elle n'a jamais pu s'habituer à la ville. On appartient aux lieux qui nous manquent, pas à ceux qu'on habite, et ma mère, comme les oiseaux, appartient à la nature. Les personnes capables d'admirer jusqu'aux fleurs qui poussent entre deux pierres, de ramasser des graines et de les planter parce qu'elles croient en l'avenir, même si elles ne savent pas exactement ce que c'est, ne peuvent pas vivre entourées de béton.
Le pelage du lapin était plus doux que celui de toutes mes peluches rassemblées, plus que ma couverture en alpaga ou le tapis en poils de lama sur le sol du salon. Rien au monde ne pouvait être plus doux que le pelage de ce lapin, et nous étions là, mon père et moi, main dans la main, à le caresser. Si le bonheur existait, il ressemblait à cet instant.
Les personnes comme lui peuvent sauver des vies humaines, mais ignorent que certaines plantes comme le basilic, ne doivent pas fleurir sous peine de mort. C'est paradoxal, mais leurs propres fleurs les condamnent, et il faut les couper pour que la plante continue de vivre.
Les fleurs ne sont pas faites pour être coupées. Je déteste qu'on m'en offre et dès que j'entre chez un fleuriste, j'ai envie de vomir. Je préfère les plantes en terre : elles sont la promesse d'un lendemain. Une déclaration de vie.
Elle avait atteint l'âge où on sait que les biens les plus importants dans la vie ne sont pas matériels et ne tiennent pas dans une valise. Pour cette raison, elle est arrivée dans son nouveau lieu de vie pratiquement sans bagages.
Prends ces mots, ils sont comme des projectiles dans l'air. Tu sais mieux que personne qu'une fois tirés, ils ne peuvent plus revenir en arrière.