Quand Louison vit la nouvelle, deux fils se touchèrent là-haut. Pour l’adolescente de 15 ans, la vision de cette fille représentait un
véritable saut conceptuel, une chute du troisième étage. Elle avait
jusque-là une certaine idée des cases dans lesquelles entrent habituellement les lycéennes : une pour les pétasses qui se la ouej, les autres pour les sportives, les nature, les bourges, les complexées (c’est là qu’elle croupissait pour sa part). Mais d’un coup, il fallait inventer une nouvelle manière de répertorier, entamer un tome 2 qui, en cet instant, ne comportait qu’une seule page, et qui ne pouvait trouver place dans aucun des chapitres et sous-chapitres du volume précédent. Et sur cette page, en dessous d’un nom latin à rallonge, le papillon était dessiné avec des petites flèches pour indiquer les éléments significatifs du spécimen : robe liberty, col Claudine, anorak de ski sans manches, chaussettes montantes blanches, sac de toile kaki US Army.
Elle nous a dit qu’il y avait plein de choses qu’elle n’aurait pas le temps de nous apprendre, mais il y en avait une qu’elle voulait absolument nous transmettre : Aimer, c’est devenir complet.
Des maisons en carton-pâte, des vies étriquées, rien ne resplendit, tout est faux, tout est mytho, tout est fade, pourquoi les hommes ont-ils décidé de faire ça du monde ? Pourquoi font-ils ça de leurs vies ? Pourquoi ça et pas autre chose ? Par hasard… quelque chose de mieux ? Juste un peu mieux, un peu moins raté, un peu moins nul ? Je sais pas, faites preuve d’imagination, hein ?
Depuis déjà des semaines, elle se sentait petite joueuse d’avoir juste une mère morte du cancer. Elle avait presque honte de se plaindre face à ce que se coltinait Courtney : une mère qui l’abandonne en se suicidant en plein période des fêtes, un père qui pensait qu’à niquer plutôt que d’être un vrai père.
J’ai mis des années avant de mettre un mot sur ce vide en mois. Et pendant longtemps, j’ai cru être la seule à vivre avec ça…jusqu’à ce que je rencontre Louison.
— J’ai une proposition… chuchota Courtney en se penchant sur Kod, avant de porter le joint à l’envers dans sa bouche, le bout incandescent à l’intérieur.
Elle souffla. Kodeveï aspira la fumée en fermant les yeux. Il la
conserva dans ses poumons un moment, pendant qu’elle retirait
le pétard pour le retourner et tirer à son tour dessus. Enfin elle acheva :
— … si on allait foutre la merde dans cette teuf ?