Hirondelles gelées
Des nuits de la soie reposent sur la corde à linge.
C’est l’hiver et les pinces à linge sont gelées ‒
hirondelles en bois et acier.
Les nuits de la soie sont un pont de cordes.
Le vent a aussi gelé.
Personne ne passe.
Chaque hirondelle
a, dans son goitre, une graine de glaçon.
Elles n’ont pas voulu partir à l’automne
dans les pays chauds.
Elles ont voulu rester avec moi.
Pour toujours !
Et moi, dès à présent, je reste avec elles pour l’éternité
avec une graine de glaçon sous la langue.
Paysage urbain
Quand souffle le vent d’automne,
les nids aux sommets des arbres
ploient vers le sol,
avec un geste de cérémonie,
d’un rituel ancien et oublié.
Du doux délice de l’été
il ne reste qu’un sentiment :
les eaux à venir,
sont des petites sœurs obéissantes.
Les nids aux sommets des arbres,
ploient vers le sol,
reflètent leurs oiseaux
qui ne peuvent pas s’envoler
dans les visages de ces sœurs,
marchant dans les eaux,
dépassant les épaules.
Le village des grues cendrées
« Le vent a combattu toute la journée
un chrysanthème sauvage,
du haut de la montagne »,*
pour le piétiner.
Le soir, la fleur s’est couchée à côté d’elle
et la montagne a pleuré.
De ses larmes
mille grues cendrées sont nées.
Elles vivent dans le village de montagne.
Le vent a combattu toute la nuit,
la montagne
pour voler les mille grues cendrées,
mais il n’a pu en prendre aucune…
les vêtements des grues cendrées
étaient cachés dans les maisons des villageois.
* Variante d’un haïku de Sekitei Hara
Chemin de fer dans le brouillard
Brumeuse est la ville,
par ce matin d’octobre.
Le chemin de fer trace sa route
entre ville et village
entre village et montagne,
entre montagne et aigle,
entre aigle et ciel.
De brouillard est le contour de la maison,
comme un monde flottant
ne se nourrissant que dans les rêves.
Brumeuses sont aussi les mains
qui lavent les raisins blancs,
dans une assiette blanche.
Le brouillard est un mot familier,
une mousse froide,
pour le bain du matin,
pendant que l’aigle nourrit ses petits
dans le nid au sommet de la montagne,
où le brouillard atteint
les seuils flottants.
Seul le chemin de fer
trace sa route entre ville et village,
entre village et montagne,
entre montagne et aigle
entre aigle et ciel.
Manuel de cohabitation
À l’ombre de la clôture en rotin
un oiseau avait été capturé.
Les métiers mécaniques,
amenés par la nouvelle génération au village,
n’avaient pas de guide d’utilisation
pour ces choses-là.
Poussait entre les roseaux de la clôture
la fleur appelée en roumain la robe de l’hirondelle, le liseron des champs.
Les villageois la prélevaient
pour en faire des couronnes,
qu’ils portaient tout l’été.
Ils ont ainsi prélevé, peu à peu
tous les matins,
jusqu’à l’ombre de l’oiseau,
pris dans la clôture.
C’est ainsi que l’oiseau piégé s’est envolé.
(traduit du roumain par Gabrielle Danoux)
Planètes
Les objets flottants
m'aident à ne pas tomber.
Je flotte aussi avec eux.
Je tiens fermement contre ma poitrine
un oiseau blanc
de la taille d'une planète de notre galaxie.
L'oiseau a renoncé
à son corps.
L’ange brille sur la crinière d’un cheval
L’ange brille sur la crinière d’un cheval.
Blanc. Blanc comme l’hysope, ancienne éponge marine.
Ou comme un horizon poussé plus avant.
Je ne peux le dépasser.
Je tends la main pour l’écarter.
Je me blesse et le sang coule.
L’ange brille à nouveau, sur la crinière d’un cheval.
(traduit du roumain par Dana Shishmanian)
De la pourpre des paroles
Il a plu davantage cette nuit.
La lavande du parc de la ville
me soutient avec son rêve.
À quoi rêve un champ de lavande ?
Les senteurs s’ouvrent jusqu’aux profondeurs du ciel.
Là-bas se trouvent les portes du paradis
et la ville s’en nourrit.
L’ange avec l’épée de feu,
assigné à garder le jardin dans le champ
se laisse corrompre ‒
une courte visite
dont rien n’est écrit dans les livres.
On ne trouve nulle part
la moindre référence à ce sujet.
L’ange avec l’épée de feu
me dit que je peux rester,
que je peux y dormir, la nuit suivante aussi.
L’aneth sauvage
L’aneth sauvage
est toujours là-bas, dans le champ.
Il fleurit chaque année,
sans se soucier
si je suis ou non allée le voir,
ou bien si la roue en bois
trouvée dans la poussière
est restée là-bas.
L’été, les mains
ont la douce odeur de l’aneth sauvage,
une préparation finement hachée,
mélangée avec du sel,
sur une souche de bois.
Toutes les cours étaient en plein air
et les rêves des voisins ont détaché les pigeons
pris dans un piège sombre.
Ils déchiraient avec leurs propres dents
les fils des pièges
ensuite aspergeaient le sol d’eau.
C’était un geste de nettoyage des lieux –
l’eau essuyait le piège
et l’odeur de l’aneth sauvage
apaisait les pigeons.
Une femme célibataire
tournait la roue en bois
et chantait pour le pigeon délivré,
retiré du piège
le chant des fleurs d’aneth.
Puis, elle remettait la roue en place,
dans la poussière de la route
où elle l’avait trouvée
sous le soleil brûlant.
Elle prélevait un bout de fil blanc
de son chemisier
qu’elle attachait à la patte du pigeon,
lui disant,
tu me retrouveras ici sur le champ
quand l’aneth sauvage fleurira.
Brumeuses sont aussi les mains
qui lavent les raisins blancs,
dans une assiette blanche.
Le brouillard est un mot familier,
une mousse froide,
pour le bain du matin,
pendant que l'aigle nourrit ses petits
dans le nid au sommet de la montagne,
où le brouillard atteint
les seuils flottants.
Seul le chemin de fer
trace sa route entre ville et village,
entre village et montagne,
entre montagne et aigle
entre aigle et ciel.