Après le coucher du soleil, le froid se fit encore plus vif. Un croissant de lune pâle, comme intimidé par les bruyants craquements de la glace sur la rivière, restait caché derrière les arbres dénudés sur la crête de la montagne, au nord-est. Malgré les deux rabats de sa chapka baissés sur ses oreilles et le col de son manteau remonté au maximum, Yeong-il sentait son front geler et du givre se former dans ses narines.
Myeong-cheol avait envie de pleurer tout son soul et de tambouriner sur le sol. Mais il ne pouvait pas se laisser aller de la sorte car, parfois, les sanglots étaient considérés comme une rébellion et pouvaient vous valoir la mort. Voilà dans quel monde il vivait. La loi exigeait du peuple qu'il rie malgré ses souffrances et qu'il avale malgré l’amertume. Myeong-cheol marcha, le corps et l'âme écrasés par le désespoir et l'injustice qu'infligeait ce pouvoir absolu face auquel il était impuissant.
La fiction se fait ici le porte-parole accusateur d'une réalité où les individus, isolés et faibles, sont les victimes d'une oppression quotidienne qu'ils ne peuvent encore combattre quoiqu'ils disent non.
Le régime détruit les vies, anéantit l'espoir, gâche le présent et l'avenir, mais il échoue à effacer les sentiments humains.
Un éclair aussi effilé qu’une lame de rasoir fendit le ciel derrière les fenêtres, aussitôt suivi d’un coup de tonnerre ; on aurait dit qu ’un gros tambour dégringolait les escaliers de l’immeuble. A l’instant où le vent faisait claquer avec un bruit retentissant la porte d’entrée restée entrouverte, des gouttes se mirent à marteler violemment les vitres. La pluie faiblissait puis s’intensifiait de nouveau, par vagues, et cela dura ainsi jusque tard dans la nuit. Myeong-sik, dont le sommeil était léger, sursauta souvent et se réveilla plusieurs fois par heure. Pour le calmer et le rassurer, Kyeong-hui dut passer la nuit assise à son chevet. C’était veille de fête nationale, et tous les habitants de la ville devaient puiser toute l’énergie qu’il leur restait pour grimper la dernière crête de la montagne, la plus escarpée. Chaque fois que la pluie cessait, les lueurs clignotantes des lanternes électriques ornées d’inscriptions de fête formaient de magnifiques fleurs tricolores derrière les vitres, mais tout ça ne faisait
qu’alourdir et encombrer le cœur de Kyeong-hui. Ces célébrations n’avaient rien à voir avec les fêtes familiales du Nouvel An et des Moissons.
La fillette, qui jusque-là pleurnichait tout doucement, en faisant aussi peu de bruit qu'un minuscule cours d'eau, se mit soudain à hurler, au point de déchirer en mille morceaux l'obscurité de la pièce.
Une vie honnête ne peut se construire que dans un monde libre. Plus on étouffe les gens, plus on les opprime, et plus ils jouent la comédie.
(dans «La scène»)
- (...) toi aussi, comme moi, tu es tombé dans le panneau, cette fameuse affiche arborant des slogans magnifiques tels que "Démocratie", "Égalité", "Le peuple est maître de l'Histoire", "Construisons le paradis sur terre", et qui, derrière son beau vernis, dissimule l'arme la plus redoutable de la dictature.
- C'est exact. Dans ce monde, plus les choses sont toxiques, plus elles sont belles et attirantes.
- Oui, comme les champignons vénéneux, n'est-ce pas ? (...)
(dans "Champignon rouge")
Quand une mère met un enfant au monde, tout ce qu'elle souhaite, c'est que cet enfant soit heureux. Il n'existe aucune mère sur terre qui veuille accoucher d'un être dont elle sait d'avance qu'il devra passer sa vie entière à se frayer un chemin dans des buissons de ronces. Si une telle femme existe, alors avant d'être une mère, c'est une criminelle, la plus cruelle d'entre tous.
(dans "La fuite")
[...] un doute en entraîne toujours un autre.
( dans «La fuite»)