Ena L.

« Il dit qu’il n’a pas les épaules pour porter ma douleur, mais c’est moi qui n’ai pas le courage de porter la sienne et c’est pour cette raison que je recule. J’ai trop peur de ne pas être à la hauteur de sa détresse. Je peine suffisamment à surmonter la mienne. »

Les larmes ne sont que la partie visible de l’horreur. À l’intérieur, c’est un champ de ruines, un combat permanent entre la peur et le désespoir. Je me déplace comme quelqu’un qu’on aurait poignardé, je suis courbée, étranglée par les sanglots, titubante… Je dois me tenir aux meubles pour ne pas m’effondrer, avec pour seule musique, cette complainte sinistre, constituée de gémissements et de pleurs.

J’ai oublié l’ensemble des sentiments négatifs à son égard, il ne reste que ce musicien à l’âme extra large qui me donne une leçon d’émotions, une leçon de musique. Il n’a jamais été aussi beau et fascinant que maintenant.

L’effet miroir est magique. Tant que les gens se voient en vous, ils ne vous remarquent pas, vous et vos mensonges, vous et votre détresse. I

Est-il possible de tomber amoureuse d’une voix, d’une manière d’interpréter des notes ? Est-il possible de s’éprendre d’une sensibilité plus que d’une personnalité ?

Les minutes que tu perds à parler du passé, ce sont des minutes en moins à vivre l'instant présent.

Pourtant, ce n'est pas la peur qui me fait vibrer à cet instant, c'est l'excitation. Je me plais à lire l'animosité dans son regard et à le voir serrer les poings, car c'est dans sa violence que j'entends résonner les plus beaux "je t'aime".
Au fond, je crois que j'ai toujours rêvé qu'on se batte pour moi, qu'on me désire au point d'être injuste , malveillant et possessif. Je ne veux plus de jolis sentiments; les jolis sentiments sont ceux qui ce fanent le plus vite. Je veux qu'on m'aime à en avoir mal au bide, à en oublier d'exiter, je veux qu'on m'aime si fort qu'on s'isolera du monde et des autres à tout jamais.

« Je ne sais pas si cela durera. De toute façon, je vis avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Un jour, mon passé me rattrapera. Et je devrai payer. »

« Lorsque le malaise devient insupportable, j’arrête de lutter. Je me lève, je franchis le seuil qui nous sépare sans frapper. Elle se tient devant la fenêtre. Quand elle se retourne, j’ai l’impression que quelque chose vient de se fendre en moi. Je ne sais pas quoi, j’ignore pourquoi, mais c’est plus douloureux qu’un plaquage non réglementaire au rugby. »

Alors, nos sourires s'entrechoquent et nous nous remettons à danser énergiquement au milieu de bos amis, sans filtre, sans classe, parce que c'est exactement comme ça que nous sommes.
Parce que c'est exactement comme ça qu'on s'aime.
Losers à vie, et amis pour toujours.

La tournée sans elle, sans nos enfants, serait vide de sens, vide de tout. Je ne peux pas revenir à l’époque où j’étais seul avec mes potes sur les routes. C’est trop tard pour ça. Je ne peux pas exister sans ma famille.
Alors, quand Aly considère l’éventualité de vivre sans moi pendant plusieurs mois par an, c’est comme si elle me disait : « je ne t’aime plus ».

"Et puis, je l'ai vu, lui, m'aimer si fort qu'il en débordait de larmes, et j'ai compris ce que signifiait le terme "aimer de toute son âme " "

Nous ne sommes pas simplement connus, nous avons atteint le rang de légendes.
Une telle notoriété, à notre âge, ça peut faire perdre la tête, en plus de la faire gonfler. Il a fallu que je surveille étroitement mes troupes pour que personne ne dévie du chemin que j’avais tracé.
J’ai trois enfants, je suis marié, je ne fréquente pas les clubs VIP, et j’ai toujours su que j’étais un dieu vivant, je peux gérer, mais pour mes potes, c’était plus compliqué.

L’histoire commence environ six mois après notre arrivée à Paris… Aly et moi venions de fêter notre demi-année de couple.
Fuck Off avait enfin un label. En apparence, tout était parfait.

Mais on sait tous que les apparences, ça cache un paquet de trucs bien moches…

Il y avait ce petit bonhomme devant moi, le fils d’un technicien, qui s’agrippait maladroitement à des sièges pour apprendre à marcher… Je l’ai vu et ça a été comme une évidence. Je me suis dit : « waouh, putain, qu’est-ce qu’il est moche ! Mon gosse à moi sera carrément plus beau que ça ! » Et je me suis mis à penser à tous ces gamins affreux que j’ai croisés dans ma vie, en réalisant que c’était limite mon devoir de rendre ce monde un peu plus beau grâce à ma progéniture. Ce serait égoïste de ne pas me reproduire et de ne pas offrir à tous ces laiderons un idéal à vénérer !

Chanter, ce n’est pas juste balancer des textes sur le bon tempo, c’est interpréter une histoire, c’est interpeller le public pour qu’il s’approprie les paroles à son tour. Si on ne croit pas nous-mêmes à ce qu’on chante, il ne faut pas espérer que les gens s’y intéressent. Quand je chante, quand je joue, c’est avec l’intégralité de mon âme. Il n’y a rien dans ce corps que je ne déballe pas sur scène. Je veux qu’on me contemple jusqu’au bout, qu’on écoute chacun de mes mots jusqu’au dernier, et qu’on ressente les émotions que j’ai transmises. Je refuse de me contenter de spectateurs blasés qui dodelinent de la tête en louchant sur leur écran de portable !

Les quelques défauts techniques qui d’habitude me mettent en rage m’ont paru anecdotiques, tant la ferveur de ce public était phénoménale. J’ai quitté la scène, épuisé, vidé de cette partie de mon âme que j’offre à mon public à chaque spectacle. Je me souviens avoir étreint les membres du staff, que je considère comme des membres du groupe à part entière, puis m’être accroupi pour serrer les trois personnes les plus importantes de ma vie : mes fils. J’ai écouté Ayato, huit ans, me raconter combien j’étais beau, j’ai caressé les cheveux de mon angelot de quatre ans, Hiro, endormi dans les bras de Yumi[2], ma grande sœur, et j’ai séché les larmes de Kei, six ans, que ma musique en live fait toujours pleurer d’émotion. Dans les yeux de nos fans, je suis une divinité, mais dans ceux de mes enfants, je suis le seul dieu qui existe. Le seul que j’ai envie d’être.

« J’aime Gabriel d’une manière dérangeante. Entre nous, tout est toujours trop, sans équilibre, ni sérénité. Je ne l’aime pas purement, délicatement, innocemment, non, je l’aime douloureusement, égoïstement, violemment. »

— Waouh, s’écrie Eliott, impressionné. C’est rare les amitiés homme/femme qui restent platoniques. Surtout quand la fille est aussi canon…
Je minaude, toute fière.
— Oh non, tu exagères ! Je dois te paraitre super vieille, en plus.
— Un peu, mais ça va.
Ok, j’ai cessé de minauder d’un coup.
Il éclate de rire.
— Je plaisante ! On te donnerait dix ans de moins, facile !

Nous nous taisons pour écouter la conversation téléphonique de Ruby.
— Oui, bonjour, je vous appelle parce que le thermostat de notre chauffage est bloqué et on crève littéralement de chaud… Oui… Super. (Elle lève le pouce, c’est bon signe.) Oui, je vous donne l’adresse : 10 rue de la moule, à… N. I. Q. U. E. S. A. M. E. R…
Allo ?? Allo !!
Nous poussons tous un soupir las.
Ça arrive bien trop souvent malheureusement. On essaie désormais d’épeler le nom du village pour éviter qu’on nous raccroche au nez tout de suite, mais ça reste compliqué de nous prendre au sérieux.