Interview de Robin Lee Hatcher (en anglais)
Ellen retrouva Jenny dans la chambre. La robe de Christina, pieusement conservée en prévision de ce jour, était déployée sur le lit.
— C’est presque l’heure. Il faut se dépêcher, missy.
Les doigts agiles de Jenny avaient commencé à déboutonner la longue robe. Depuis les dix ans d’Ellen, elle était attachée à son service. Le départ de sa maîtresse allait la séparer de Titus, un esclave qu’elle avait épousé deux ans plus tôt, et que Philip refusait de vendre. Stoïque, elle se gardait d’évoquer ce sujet douloureux. Ellen suivait les mouvements de Jenny dans la glace. Souvent, au cours des derniers mois, elle avait voulu
l’interroger à propos du mariage, de la vie intime entre époux, mais elle n’y était pas parvenue. Maintenant, il était trop tard.
La robe de satin au corsage ajusté, rebrodé de dentelle, s’évasait à la taille en une cascade de volants pour se terminer par une traîne de près de cinq mètres de long. Une couronne de perles retenait le voile finement travaillé. Les souliers de satin avaient également appartenu à la mère de la mariée.
— Maman devait rayonner de joie lorsqu’elle a épousé père, dit Ellen en se tournant vers la glace. Ils étaient tellement amoureux! J’aurais voulu... Allez, fais vite, dis à Philip que la mariée sera prête dès qu’ils le seront!
De la fenêtre, elle regardait la foule des invités, amis et inconnus. Elle finit par apercevoir David Lattimer, sa haute silhouette, ses cheveux gris, sa barbe grise. Bien qu’un peu massif, il ne manquait pas d’une certaine allure dans son costume de marié. C’était évidemment quelqu’un qui entendait obtenir ce qu’il voulait et qui l’obtenait. Sous une apparence un peu rude, il était distingué. Ellen éprouvait à son égard des sentiments partagés. Elle se rappelait ses propos dans la bibliothèque. Il avait été froid et catégorique au sujet de leur mariage, mais il était probable qu’il envisageait une vie commune agréable. Il semblait apprécier l’honnêteté. Il comprenait pourquoi elle l’épousait et n’avait pas l’air d’attendre plus que ce qu’elle pourrait donner. Mais, que sa jalousie fût fondée ou non, le comportement de Philip était intolérable.
Une douce musique se faisait entendre. Philip avait loué un orchestre pour le mariage et le bal qui suivrait. Ellen se dirigea vers la porte. Dans quelques instants, elle deviendrait madame David Lattimer.
Au fond, les gens ne cessaient de s’inventer des histoires sur les uns et les autres. Moins ils savaient de choses, plus leur imagination prenait le relais. Mais bien peu étaient réellement capables de deviner la vérité qui se cachait derrière les apparences.
Dans sa jeunesse, il avait largement goûté au whisky et au plaisir, avant de s’assagir un peu. Mais l’alcool et les femmes semaient toujours le trouble.
Sa beauté naturelle, que ne gâtait aucun maquillage superflu, était presque angélique.
L’argent peut pousser les gens à commettre les gestes les plus inattendus.
Le destin était le destin. Personne ne pouvait rien y changer.
Nous devons être sincères et honnêtes l'un envers l'autre. Je suis un vieil homme, mais j'ai des rêves d'avenir. J'ai besoin d'une épouse pour les accomplir. Pas de n'importe quelle épouse, cependant.
J'ai besoin d'une femme bien née, appartenant à l'aristocratie du Sud. Pour un Yankee de mon âge, même originaire du Sud —puisque je suis né près d'ici —, même riche, ce n'était pas chose facile. Il me fallait trouver une femme dont la situation était sans issue. Vous, mademoiselle. J'ai été marié. Mon épouse est morte après dix-huit ans de vie commune. Nous nous aimions. Nous avons eu un fils ; il se trouve à l'étranger pour le moment. Je ne suis pas assez sot pour penser qu'il s'agit d'un arrangement agréable pour une personne aussi jeune et jolie que vous. Je crois cependant que nous pouvons apprendre à vivre ensemble. Je ne suis pas un tyran.
? Vous vous rappelez la musique que nous entendions en valsant dans le grand salon ? Nous la garderons en nous toute notre vie. Ellen, mon amour, l'avenir nous attend.
Elle avait compris presque tout de suite que ce mariage était une erreur. Geoffrey l'adorait, la vénérait presque. Mais pour elle, au réconfort du début avait vite succédé l'agacement. Il cherchait tellement à la prendre heureuse ! Il voulait tant qu'elle l'aime comme lui l'aimait, mais elle ne pouvait lui donner plus qu'elle Hic l'avait fait.
En dépit des difficultés, Ellen devenait chaque jour plus jolie, sereine et rayonnante. Rien ne semblait pouvoir troubler son bonheur de future mère. L'enfant qu'elle portait était le lien qui l'unissait à William, le signe qu'il l'avait tout de même aimée.