Il y a souvent chez les putes un besoin de siphonner l’ensemble des avoirs des hommes qui viennent les voir, surtout de ceux qui sont les plus agréables, les plus compréhensifs, ceux avec lesquels elles pourraient avoir une histoire.
L’idée est de vider leur compte, de dépasser le plafond de retrait hebdomadaire de leur carte de crédit, qu’ils aient besoin de l’autorisation de leur agence pour que la banque du coin accepte d’honorer un de leurs chèques de retrait et puisse les fournir en liquide.
L’idée est qu’ils soient à la rue comme certaines d’entre elles ont pu l’être. Ou bien que leurs femmes soient averties de leur inconduite, qu’ils morflent eux aussi et qu’ils aient besoin de se retourner vers les filles, qui se feront un plaisir tordu de leur rire au nez, avec des « arrête de penser avec ta queue, ça ira mieux », des « ça t’apprendra », des « t’as plus que tes yeux pour pleurer, bien fait pour toi, saleté de mec ».
Bien sûr, ce genre d’histoires survient plutôt dans les bars à champagne quand l’alcool s’en mêle, que les types se noient dans l’ivresse, ne comprennent plus rien et se révèlent prêts à donner leur code de carte de crédit pour ne rien avoir de plus.
Mais je ne garantirais pas que toute fille publique, et moi comme les autres, n’ait pas, au fond d’elle, ce genre de mauvais réflexe de chercheuse d’or, de chopeuse de culpabilité, de débiteuse de lingots. C’est comme si elles avaient besoin d’avilir ceux par qui elles ont du mal à ne pas se sentir avilies. Et dans le même mouvement, elles sont prises d’une certaine pitié pour ces demandeurs de sexe compréhensif et d’affection charnelle.
Entre Bruxelles et Genève, la différence est faible. Dans l’appartement, les clients se succèdent, gentils et grossiers, intimidés et goujats, tendres et expéditifs, rapides ou interminables, mutiques et prolixes, beaux et moches, gros et squelettiques, généreux ou pingres.
Il y a ceux qui veulent toujours ce que je ne veux pas leur donner et qui insistent d’autant plus que je les ai prévenus que cela n’allait pas être possible.
Il y a ceux qui s’inquiètent de ne pas m’avoir fait jouir et se désolent d’en avoir fini si vite.
Il y a ceux qui voudraient que je les embrasse, que je les câline, que je les comprenne, quand il est bien plus simple de les sucer, puis de se laisser prendre en levrette, d’attendre qu’ils éjaculent et de se relever toute guillerette, contente d’en avoir terminé vite et bien, heureuse de ce moment gratifiant pour chacun, lui et le sexe, moi et l’argent, et ravie de le congédier, après un intermède copain-copine où n’entrent en jeu ni angoisse sentimentale, ni nostalgie fusionnelle, ni addiction sensuelle.
Ce sera juste un moment partagé entre deux personnes qui ne se reverront jamais. Ce ne sera ni avilissant, ni outrageux, ni contraint. Ce sera un acte commercial entre deux adultes consentants. Un travail, pas si facile mais peut-être pas si traumatisant. Un travail pas comme un autre, mais pas si grave, même si la société continue à en faire un drame.
Changez de lunettes, chers messieurs dames qui croyez avoir enfanté des monstres lubriques ! Beaucoup d’entre nous ne sont pas forcément à fond dans le libidineux dès les premiers instants de la puberté. On est nombreux à ne pas se monter les plans les plus hot et à ne pas rêver des nuits les plus tordues, des baises les plus vicieuses. Parfois, on attend des années pour s’intéresser à la sexualité, si jamais on s’y intéresse un jour.
J’imagine que ça a toujours été ainsi, que toutes les générations ont eu leur lot de gens totalement accros au sexe et de gens qui s’en fichaient comme de leur première petite culotte. Et ce n’est pas parce que aujourd’hui, on sait tout sur tout, qu’on a des cours d’éducation sexuelle à l’école, qu’on connaît l’utilité de la pilule et du préservatif, qu’on peut en parler avec les parents assez facilement, qu’on joue les vamps sur Facebook ou qu’on a vu des pornos avant d’être majeure et vaccinée, que les proportions entre les addicts et les rien à foutre ont vraiment changé.
Depuis que je ne suis plus escort, je me sens moins puissante, moins désirable, moins désireuse. Je me sens moins dans la beauté, dans la séduction. J’ai perdu de mes pouvoirs, ceux qui attiraient comme ceux qui exigeaient, frères jumeaux, doubles inversés.
J’en suis à la fois nostalgique et satisfaite.
Nostalgique, car c’était un moment fascinant, un moment d’une jeunesse folle.
Satisfaite, car cela me mettait dans des états exagérés, dans une violence permanente que je m’infligeais, que j’infligeais aux autres.
Satisfaite, car ce sont des passions destructrices, des exaltations tristes qui ne se répètent pas éternellement sans qu’on leur sacrifie beaucoup de son quant-à-soi, de son équilibre, de sa santé.
Quand je me revois aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir affaire à une gamine qui plane à 100 000 et qui est perchée sur son petit nuage. Je ne remets pas en cause ce que je pensais à l’époque. Je persiste à croire que la prostitution peut être choisie, qu’on peut l’exercer dans de bonnes conditions, qu’on domine plus les hommes que le contraire.
Mais je ne prétends plus que tout cela est anodin ou que c’est le parfait bonheur pour chacune des filles qui font ce boulot. Il y a du risque, de la difficulté, de la remise en cause personnelle et ce n’est sans doute pas le plus beau métier du monde même si c’est le plus vieux. Ce n’est pas non plus un boulot comme un autre que je recommanderais à n’importe qui.
Il faut être armée quand on se lance dans le travail sexuel, il faut être au clair avec soi-même, il ne faut pas avoir peur de son ombre. Or, la plupart du temps, les filles qui font ça ne sont pas apaisées et ne sont pas équilibrées, et c’est justement pour ça qu’elles sont là.
Je le sens sur le point de me faire valoir que nous ne sommes pas dans un rapport traditionnel, où la gagneuse réserve ses lèvres et son anus à son mac et où le micheton doit se contenter de se reculotter si ça ne lui convient pas et de prendre la porte sans demander son reste, sinon gare, on fait donner les gros bras.
Il ne peut pas savoir que je suis exigeante sur l'exclusivité pour compenser le fait que, par fonction, je suis dans la multiplicité masculine. Il me faut, dans le privé, l'inverse de ce que je vis comme femme publique.
Je suis une call-girl, une escort, et mes tarifs flambent au bûcher des excités.
Je ne suis qu'une pute? Ben oui, je ne suis qu'une pute et j'en suis fière ! Pourquoi je ne veux pas arrêter? Parce que c'est comme ça ! Voilà mes bravades d'alors.