Citations de Sénèque (960)
L'impossibilité de changer comme celle de rien supporter sont l'une et l'autre les ennemis de notre tranquillité.
Qui craindra la mort n'agira jamais en homme vivant.
N'envions pas les gens trop haut placés ; nous ne voyons que la hauteur là où il y a des précipices.
Qu'on se procure donc autant de livres qu'il faut, pas un seul pour en faire étalage.
Lorsqu'une âme fait la sourde oreille aux leçons et ne peut être soignée moins énergiquement, ne serait-ce pas veiller à son salut que de lui proposer la pauvreté, l'opprobre et la ruine ? À un mal on oppose un mal.
Une vie heureuse c'est une âme libre, élevée, intrépide, constante, établie en dehors de la crainte et du désir, pour qui le seul bien est le bien moral et le seul mal, la laideur morale, toutes les autres choses étant un ensemble sans valeur qui ne retire ni n'ajoute rien à la vie heureuse, venant et s'en allant sans augmenter ni diminuer le souverain bien.
Le souverain bien c'est une âme qui méprise les événements extérieurs et se réjouit par la vertu.
Un homme heureux c'est celui pour lequel rien n'est bien ou mal si ce n'est une âme bonne ou mauvaise, un homme qui pratique le bien moral, qui est comblé par la vertu, que les événements extérieurs n'exaltent ni ne brisent, qui ne reconnaît aucun bien supérieur à celui qu'il se donne lui-même, pour qui le vrai plaisir est le mépris des plaisirs.
Un homme, il faut qu'il ne puisse être corrompu par des choses extérieures ni dominé par elles, qu'il n'ait d'autre valeur que lui-même, qu'il ait confiance dans son âme et qu'il soit préparé à affronter les deux éventualités [le plaisir et la douleur], qu'il soit l'artisan de sa vie ; il faut que sa confiance en lui-même n'aille pas sans science, ni sa science sans constance, que ses résolutions demeurent les mêmes une fois pour toutes et qu'il n'y ait pas de rature dans ses décisions. On comprendra, même si je ne l'ajoute pas, qu'un tel homme sera harmonie et ordre, et aura, dans ce qu'il entreprend, une grandeur d'âme mêlée de douceur.
Quoi que nous devions supporter du fait de la constitution de l'univers, acceptons-le avec grandeur d'âme : nous sommes contraints par notre serment de supporter notre condition mortelle et de ne pas être troublés par ce qu'il n'est pas en notre puissance d'éviter. Nous sommes nés dans un royaume : la liberté, c'est d'obéir au dieu.
Vous disputez sur la vie de l'un, sur la mort de l'autre, et en entendant le nom de gens remarquables, du fait qu'ils possèdent quelque mérite extraordinaire, vous aboyez comme de petits chiens quand ils rencontrent des inconnus. Vous avez intérêt à ce que personne ne paraisse bon, comme si la vertu d'autrui était un blâme pour toutes vos fautes. Pleins d'envie, vous comparez leurs splendeurs à vos bassesses et vous ne comprenez pas combien c'est à votre détriment que vous avez ces audaces. Car si ceux qui suivent la vertu sont avares, débauchés, ambitieux, qu'en est-il de vous à qui le nom même de la vertu est odieux ?
Non, nous n'avons pas trop peu de temps, mais nous en perdons beaucoup. La vie est assez longue et largement octroyée pour permettre d'achever les plus grandes entreprises, à condition qu'elle soit tout entière placée à bon escient. Mais, quand elle s'écoule dans le luxe et l'indolence, quand elle n'est dépensée à rien de bien, sous l'empire enfin de la nécessité ultime, cette vie dont nous n'avions pas compris qu'elle passait, nous sentons qu'elle a trépassé. Oui, il en est ainsi : nous n'avons pas reçu une vie brève, mais nous la rendons brève ; pauvres, non, mais prodigues, voilà ce que nous sommes. Les ressources, fussent-elles immenses, royales, quand elles tombent aux mains d'un mauvais maître, sont dissipées en un instant, mais, même très modestes, quand elles sont confiées à un bon gardien, elles s'accroissent à mesure qu'il en fait usage : il en est ainsi de notre vie : elle s'étend loin pour qui en dispose bien.
La plus grande perte pour la vie, c'est l'ajournement. Il nous arrache les journées une à une ; il dérobe le présent, en promettant l'avenir. Le plus grand obstacle à la vie, c'est l'attente qui dépend du lendemain et perd le jour présent.
Vous vivez comme si vous alliez toujours vivre, jamais votre vulnérabilité ne vous effleure l'esprit, vous ne remarquez pas tout le temps qui est déjà écoulé ; vous le perdez comme si vous pouviez en disposer à volonté, alors que ce jour même dont vous faites cadeau à une personne ou à une activité, est peut-être votre dernier jour à vivre. Toutes vos craintes sont des craintes de mortels mais tous vos désirs sont des désirs d'immortels.
Voilà pourquoi il n'y a pas de raison que tu considère qu'un homme ait vécu longtemps parce qu'il a des cheveux blancs et des rides : il n'a pas vécu longtemps, il a longtemps existé. Irais-tu jusqu'à considérer comme ayant beaucoup navigué un homme qu'une terrible tempête aurait intercepté à la sortie du port, qu'elle aurait ensuite promené de-ci de-là et qu'au gré de vents furieux et contradictoires, elle aurait fait tourner en rond sur le même périmètre ? Il n'a pas beaucoup navigué, il a été beaucoup balloté.
Peut-il rien y avoir de plus stupide que l'impression qu'éprouvent certains - je veux parler de ceux qui se vantent d'être prévoyants ? Ils multiplient leurs activités dans le but de pouvoir mieux vivre ; ils bâtissent leur vie en la dépensant ! Ils font des prévisions à long terme ; or la meilleure façon de laisser sa vie se perdre, c'est de la remettre à plus tard ; et cette attitude les prive de chaque jour qui vient, leur dérobe le présent tout en plaçant leurs espoirs dans le futur. Le plus grand obstacle à la vie est l'attente qui est suspendue au lendemain et qui gâche le jour présent.
La vie du sage s'étend donc amplement et il ne connaît pas les limites dans lesquelles sont enfermés les autres gens. Lui seul échappe aux lois du genre humain : tous les âges lui sont soumis comme à la divinité. Une période s'est-elle achevée ? Il l'embrasse par le souvenir. S'agit-il du présent ? Il le met à profit. Du futur ? Il l'anticipe. Ce qui lui confère une longue vie, c'est qu'il rassemble tous les temps en un seul.
Jamais ne manqueront les motifs d'inquiétude, qu'ils soient liés à la prospérité ou au malheur : la vie se déroulera d'occupation en occupation. On ne vivra jamais pour soi-même mais on ne cessera de le souhaiter.
Tout ce qui procède de l'incertain est livré à la conjecture et à l'arbitraire d'une âme épouvantée. Voilà pourquoi il n'est aucune peur aussi malfaisante, aussi incontrôlable que la panique ; toutes les autres privent de la raison, celle-ci de l'intelligence.
Voilà pourquoi il nous faut enquêter minutieusement sur la réalité. Quelque malheur à venir est vraisemblable : dans l'immédiat il n'est pas vrai. Que d'événements inattendus sont arrivés ! Que d'événement attendus ne se sont nulle part produits ! Même s'il est à venir, à quoi sert d'aller à la rencontre de sa douleur ? Tu en souffriras assez tôt quand il sera arrivé : en attendant, promets-toi de meilleurs perspectives.
Tout le monde veille non pas à bien vivre mais à vivre longtemps, alors qu'il est donné à tout le monde de bien vivre, mais de vivre longtemps à personne.