Communication Kilito et Borges au colloque international "le legs de Jorge Luis Borges"
Le vieil Abdelmalek était sceptique sur les saints dont les prouesses ne provoquaient chez lui,lorsqu'on lui faisait part,qu'un froncement de sourcils ou une moue dédaigneuse.Quand aux médecins ,tous des"nazaréens",il refusait obstinément de traiter avec eux.Il affirmait que s'il n'y avait pas de médecins ,il y aurait moins de malades:on ne compterait plus que sur soi-même et on éviterait les excès,source de tous les maux.Sur ce point il était,sans le savoir,platonicien;il s'arrangea du reste pour ne jamais tomber malade.p44
Qui est celui qui peut être à l'abri de l'erreur lorsqu'il discute longuement les erreurs de ses prédécesseurs?
(trad. personnelle)
Que l'amour se mue en son contraire, qu'il devienne aversion, dégoût, voilà ce qu'il n'était pas prêt à comprendre, et encore moins à admettre.
Un écrivain qui venait de recevoir un exemplaire de son nouveau livre, un exemplaire tout frais, tout neuf, le montra fièrement à sa petite fille. « Regarde, c’est moi qui l’ai écrit », lui dit-il. Pour l’impressionner davantage, il lui indiqua son nom sur la couverture, au-dessus du titre. Fronçant les sourcils, elle s’écria, indignée : « Tu as copié tout ça ?» Il s’attendait à être admiré, il dut en rabattre.
Sa fille niait sa qualité d’auteur en assimilant son travail à une vulgaire copie, à une punition analogue à celle qu’on impose aux élèves turbulents.
Pire encore, il aurait subi une sanction bien plus grave : copier tout un livre, au lieu d’une ou deux pages. Mais ce qui paraissait le plus scandaleux à la petite élève, c’était de constater qu’il s’était prêté à ce jeu inepte de lui-même, par un acte volontaire et délibéré.
Quand je demandais à mon grand-père de me dire comment est Dieu,de me décrire Son visage,il souriait et estimant que je risquais de me perdre dans le labyrinthe des explications théologiques,se contentait de me répondre par une citation du Coran:"Rien ne lui ressemble;il entend et voit tout".P.39
La seule façon pour moi de lire était de recopier...
Il est vrai que j'attendais le moment où je passerais naturellement à la rédaction de mes propres livres.
Je situais cependant dans un avenir lointain la réalisation de ce projet. J'avais l'impression que je ne méritais pas d'écrire, et l'idée de prétendre à l'originalité m'effrayait, comme si j'allais commettre une action condamnable tout ce qui se présentait à moi, c'étaient des phrases de livres que j'avais recopiés. J'étais habité par des paroles d'autrui. Incrustées dans ma mémoire, elles constituaient une richesse encombrante dont je n'arrivais pas à me débarrasser.
Aussi tout locuteur s’exprime-t-il dans les langues étrangères à partir de la sienne, reconnaissable par un accent, un vocable ou une construction insolites, mais également par le regard et les traits du visage (oui, la langue a un visage). Quels que soient les mots étrangers que je profère, mon arabe demeure audible, marque indélébile.
Nous ne savions rien de la littérature marocaine, ancienne ou moderne, rien de ce monde parallèle, réfléchissant, duplicateur, qu’est d’ordinaire une littérature. Nous vivions sur l’idée que notre langue natale était abâtardie, dégénérée, indigne de la littérature, de l’écriture.
Comment peut-on (...) deviner le contenu d’un livre qu’on n’a pas lu et dont on ignore le titre et l’auteur?
N’est digne d’interpréter une œuvre, les Nuits en l’occurrence, que celui qui peut l’écrire.