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Citations de Agathe Saint-Maur (53)


C’est que personne ne les voit, ou du moins, c’est ce qu’elles croient, c’est ce qu’elles s’autorisent à croire pour se libérer un instant du carcan qui veut qu’une fille, une femme, ne montre pas son corps quand cela n’est pas strictement nécessaire, qui dit qu’il faut être folle, ou bien être une Femen, ce qui revient à peu près au même, pour pouvoir montrer ses seins, son ventre, ses genoux, son entrejambe, ses chevilles. Dans la voiture, la robe retroussée, les jambes écartées, pour plus de confort, les filles se montrent en entier, courbées dans l’habitacle, nudité originelle, innocente et impassible. Ce n’est pas obscène, c’est spontané : enfin, se montrer, sans que l’on puisse penser que le but est d’être vue, sans devoir imaginer ce que les autres vont fantasmer, ou penser à sa démarche en talons, sa jupe coincée dans sa culotte, son T-shirt qui dépasse de son short, son vernis écaillé, sa tache de sauce sur le chemisier, ses cicatrices dans le décolleté. C’est une position d’abandon, de nouveau-né épuisé, avant d’avoir existé, un moment de grâce qui ne leur arrive qu’une ou deux fois par an, parenthèse enchantée, et c’est ce que je souhaite à Victoire, de toutes mes forces. C’est ce que j’espère le plus pour elle, ma sœur, ma mère, et toutes celles que je n’ai pas su aimer : qu’elles puissent, un peu plus souvent, s’abandonner.
(Page 197)
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« Quand je marche seule dans la rue le soir, j’ai l’impression d’être une proie. »
Alors, me dit-elle, elle baissait les yeux, elle refermait les pans de son manteau sur sa poitrine délicate, elle louvoyait entre les groupes d’hommes à toute allure pour éviter le contact. Physique, visuel, n’importe lequel, le contact qui offrirait une prise à la meute, qui permettrait de l’attraper par le collet et de la jeter au sol pour la dépecer. Une proie, à la fourrure soyeuse et aux yeux fuyants. Les hommes cachent des loups : la nuit, tous les hommes sont gris.
La beauté des femmes que nous jalousons, nous n’avons aucun droit dessus. Pas même celui de s’en émerveiller, de vouloir la posséder. Ou alors nous sommes des loups et, la nuit, Victoire, soupire et presse le pas.
(Page 127)
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Je sais, en tout cas, à présent, que l’amour est un poisson rouge, et qu’il faut parfois accepter de vider le bocal.
(Page 47).
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C’était, comme si la vie, lassée de ce qu’elle avait donné, sans compter, pendant des années, les corps qui bronzent, les hanches qui ondulent, les cheveux épais, se retournait soudain contre ses enfants, et les prenait comme punching ball, en faisant des gueules cassées. Le temps comme un boxeur acharné, chirurgien psychopathe, qui déchire au lieu de ménager, détruit au lieu de réparer.
(Page 42).
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"Ce n'est pas une chose qui surgit brutalement. Le sentiment amoureux percute dans son premier mouvement, avec la violence d'un accident immense qui laisse le motard désarticulé sur l'asphalte, les jambes en équerre, mais ce sentiment s'installe ensuite dans un calme et une douceur ahurissants, avec la souplesse d'un chat qui se coule dans les formes de son environnement, alangui, méfiant. Il faut, une fois le choc passé, se convaincre à chaque instant qu'on est tombé amoureux. D'abord on est sonné, surpris, puis on observe, et on repère, insidieusement, tout ce qui viendra confirmer cet uppercut de sentiments, dans le geste d'une main qui drape une écharpe du bout des doigts, dans une cigarette qu'on secoue par une fenêtre. Ma confirmation amoureuse de Lucas s'est effectuée dans les commissures qu'on entrechoque, dans un souffle tiède, et dans un rire, qui naît rauque au fond de la gorge et meurt au bord de ses lèvres."
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"Lucas provoque de plus en plus souvent mes souvenirs, et je commence à croire, suppositions hasardeuses issues d'une addition de constats empiriques qui forment lentement la conviction que l'on ne peut tomber amoureux que de ceux qui sont capables de nous faire revivre le passé et d'imaginer l'avenir, qui nous font étendre les bras d'un bout à l'autre de notre existence."
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Il arrive dans mes rêves que mes parents apparaissent comme s'ils étaient toujours ensemble. Depuis leur séparation, la nuit les réunit parfois. Probablement parce que la plupart de mes souvenirs familiaux sont ceux d'une famille unie. Un jour viendra où l'équilibre se rompra, où j'aurai vécu plus longtemps au milieu de parents déchirés que de parents enlacés, et peut-être qu'à ce moment-là mon inconscient comprendra que la réalité n'est plus celle qu'il projette certaines nuits sous mes paupières closes, que c'est un leurre, un très beau film d'amour qui se termine en queue de poisson, des sourires qui cachent des trahisons, et des airs indifférents qui masquent la torsion d'un visage qui a envie de pleurer.
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Je regarde mon smartphone posé sur la table de chevet. Pas de nouveau message. L’appareil a la décence de ne pas l’énoncer explicitement. Une torture en creux est quand même une torture : une carapace vide n’est pas moins triste qu’une tortue nue. L’absence d’icône clignotante devient mon tourment suprême.
Quand on ne dormait pas ensemble, il arrivait souvent qu’au cours de la nuit, ou le matin, je découvre des SMS de Lucas reçus pendant mon sommeil. Des mots d’amour, des mots crus. Des pensées et des pollutions nocturnes. J’ouvre les derniers messages de ma boîte de réception. Les siens sont marqués du pseudo Lucachou dont il s’est affublé tout seul : téléphone en main, il s’était renommé fièrement. J’avais vaguement tenté de récupérer mon portable. Il avait déclamé, dans une bouffée de sa cigarette :
« Quoi, c’est pas parce qu’on est pédés qu’on a pas le droit d’être cons nous aussi. »
Il avait souri et reposé le téléphone d’un geste péremptoire. Je n’avais pas changé le pseudo.
« Con » pour dire niais, doux, amoureux, Lucas l’était souvent. Les derniers messages oscillent entre franche vulgarité et tendresse à peine assumée : « Prépare ton petit cul… » et « J’arrive mon amour. J’ai des croissants. » Je suis traversé par sa phrase préférée : « Il n’existe pas de chose si grave dans un couple que des croissants ne puissent réparer. » Il me la disait chaque fois qu’il en avait l’occasion, à chaque dispute, à chaque boulangerie, il l’écrivait dans les marges de ses cahiers, il avait dû lire ça quelque part. Je suis d’accord cette nuit, Lucas. Croissants ou sodomie, comme tu voudras.
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Lucas est apparu dans mes rêves pour la première fois juste après l'enterrement, et je n'en croyais pas mes yeux fermés. De façon tout à fait cohérente, je lui ai demandé ce qu'il faisait là, il m'a répondu tranquillement : "Je te regarde dormir."
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J'ai la capacité d'aimer certaines choses pour toujours, et cette simple possibilité me soulage infiniment.
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J'aime apprendre l'amoureux alors que je préfère savoir l'ami.
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J'aime apprendre l'amoureux alors que je préfère savoir l'ami.
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[...] parfois, la douleur physique s'anesthésie quand la douleur psychique est béante.
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Le regard douloureusement concentré vers ce qu'on ne connaît pas, dont on sait pourtant déjà que ça ne peut pas être pire que ce à quoi on est habitué, le visage à la fois avide et prompt à la moquerie  pour déguiser l'espoir humilié derrière une ironie désabusée.
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Il n'existe pas de choses si grave dans un couple que des croissants ne puissent réparer.
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Reprends ton corps, c'est vrai qu'il est à toi. Je l'avais un peu oublié dans l'intervalle, c'est qu'il était tout le temps confondu avec le mien.
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La perspective des choses irrémédiables que l'on provoque en sachant qu'on les regrettera est une douleur physique, comme la perspective des choses qui nous ont appartenu et dont on ne jouira plus, hypothèques sans droit de rachat.
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De même que l'on ne prend conscience de l'existence d'un bruit que lorsqu'il cesse, la beauté de Lucas ne m'écrase que maintenant qu'elle m'échappe.
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J'essaie en tout cas que se toucher c'est succomber. Deux personnes qui se sont t'aimées ne peuvent continuer à se détester qu'à la condition d'une distance respectable entre leurs corps. Le corps est la porte d'entrée dérobée du cœur, celle par laquelle on ne voit pas le danger passer. La peau a la mémoire de l'amour bien plus longtemps que les cerveaux.
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Des Manifestants Pour Tous qui, lorsqu’ils frappent, font jaillir du sang qui n’est ni rose ni bleu. Peut-être parce que je constate chaque jour en marchant dans la rue que le monde ne va pas mieux, et que c’est à cause d’eux, il faut qu’il soit dit que c’est à cause d’eux. Parce qu’ils ne savent pas.
Ils ignorent que Lucas et moi ne nous embrassons pas devant les familles, comme si nous étions sales ou contagieux. Ils ne savent pas que chacun de nous a déjà intégré profondément les valeurs bleu et rose qu’ils défendent bec et ongles. Nous n’avions pas besoin d’eux pour croire qu’un garçon, c’est grand, c’est viril, ça drague les filles dans la rue, et que si elles ne répondent pas, c’est rien que des salopes frigides ou mal baisées. Nous le savions. C’est en nous depuis toujours, cette connaissance porte notre corps depuis la naissance. Elle a contribué à en dessiner les contours, à écrire nos destins individuels possibles.
Cette connaissance parlait avec la bouche de nos parents, aux idées larges et bien pensantes, malgré Charlie Hebdo et Télérama sur la table basse du salon et des discours acerbes sur la parité hommes -
femmes au sein du gouvernement.
C’’est un savoir issu des chaussons de maternité bleu et du camion de pompiers rouge pour notre premier Noël, pendant qu’on offrait à nos sœurs des dînettes. On a grandi, on a fait des bêtises à l’école, réprimandées avec conciliation, pendant qu’elles rapportaient des bons points dans l’indifférence malgré leur application. On était turbulents, on était drôles, elles étaient froides et sérieuses, inatteignables derrière leurs livres, ouverts comme des boucliers. On a grandi et, au lycée, on a préparé un bac scientifique, en dépit de résultats moyens en mathématiques. Nos parents nous encourageaient « parce qu’on ne sait jamais », nos professeurs ne commentaient pas une orientation qui leur semblait aller de soi. Nos sœurs ont choisi une filière littéraire que le conseil de classe de première n’a cessé de leur recommander pour exalter leurs dispositions naturelles à la la lecture acquises pendant des années, comme on leur avait demandé.
(Page 121).
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