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Critiques de Ahmet-Hamdi Tanpinar (6)
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Pluie d'été

Un court mais beau moment de lecture qui met hors du temps, un flottement entre rêve et réalité. Où est le mensonge, où la vérité pour ces deux êtres qui se rencontrent lors d’une pluie d’orage : Sabri dont la femme s’est absentée, depuis le début de cet été 1942, avec leurs deux enfants pour rendre visite à son père à Antalya

et une jeune femme à la beauté troublante qui vient rompre sa solitude, mystérieuse apparition qu’il découvre trempée, appuyée à un palmier de son jardin. Que pourrait faire d’autre Sabri que de l’inviter à entrer dans sa maison sise sur les bords du Bosphore, pour qu’elle puisse se changer et se sécher ?





p 10-11 « Pendant qu’elle parlait, Sabri observait la blancheur limpide de son visage, ses cheveux châtain foncé, l’amande très régulière de sa figure. Peut-être était-ce cette blancheur et cette régularité qui lui donnaient l’impression de rêver. Elle était belle sans doute, et il avait accepté ce temps pluvieux comme s’il était venu avec elle, avec le rire clair de ses dents, sa joie docile et paisible.

(…) Et l’intimité brève et étrange qui bouleversa la vie de Sabri et qui le préoccupa pendant des mois commença avec cette rencontre.»



Cette jeune femme va tresser autour de Sabir une toile faite de ses « souvenances » qu’elle fait remonter de son passé dans un discours discontinu, qui la font apparaître chaque fois sous un angle différent, la rendant impossible à cerner, énigmatique et d’autant plus désirable.

Sabri va faire retour sur lui-même, c’est un miroir qu’elle lui tend : « Cette femme semblait être venue pour souligner toutes ses faiblesses » 



Alors qu’il aimerait la retenir, elle va le quitter en lui disant : « Je viendrai un autre jour. Alors je serai venue pour vous. Ce sera mieux. »



Elle va revenir et ils prolongeront leur première rencontre par une journée de promenade sur le Bosphore et ses rives où demeurent encore quelques yali (résidences secondaires des riches Stambouliotes datant du XIXe). D’une « ressouvenance » à l’autre Sabir va découvrir que cette jeune femme n’est pas apparue par hasard dans son jardin, que c’est son passé qui l’y a menée, qu’elle revisite pour tenter d’en exorciser les peurs et d’atténuer des souvenirs douloureux.



Cette rencontre, où l’eau est très présente, restera comme un beau rêve qui leur aura peut-être permis de se réconcilier avec eux-mêmes après avoir fouillé le passé.

«  J’aime tout ce qui vient des profondeurs, disait-elle. L’eau, le vent. Comme le vent entoure l’homme. Aucun bain ne rafraîchit autant. Surtout les vents des petits matins. »



J’ai aimé cette découverte d’un écrivain turc plus traditionnel que les deux femmes que j’ai précédemment lu avec passion : Tezer Ozlü et Sema Kaygusuz. Et je ne pense pas m’arrêter en si bon chemin.

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L'Institut de remise à l'heure des montres et..

Il s’agit là d’une œuvre magistrale, d’un grand classique de la littérature turque du XXe siècle. A travers les infortunes du narrateur, Hayri Irdal – considéré comme le premier antihéros de cette littérature – par ses multiples échecs culminant dans la liquidation de L’Institut de remise à l’heure des montres et des pendules, énorme imposture bureaucratique dont il fut cofondateur contre son gré et l’un des principaux artisans, le surgissement de la modernité est relaté avec autant de cynisme que d’ironique goût de l’absurde. Tous les personnages, les circonstances et les narrations sont en effet empreintes d’autant de fantasmagorie absurde – qui n’est pas sans me faire penser au Maître et Marguerite de Boulgakov – que d’une savante valeur symbolique, dont la métaphore de l’heure et de la « remise à l’heure » n’est que l’aspect le plus évident.

La vision de ce passage de l’ancien au nouveau est profondément pessimiste, autant que l’est Hayri Irdal dans son désenchantement, son doux scepticisme, ses doutes devant ses éternelles insuffisances : il s’agit en substance du remplacement de vieux mensonges par de nouvelles tromperies, les anciens étant cependant ô combien plus innocents !

De l’ancien nous trouvons en effet un noble seigneur décadent aux faux fastes, un anachorète opiomane sans doute un escroc, un apothicaire (grec) féru d’alchimie, et surtout une pendule, la Bienheureuse, héritage matériel d’un vœux pieux non accompli à travers les générations. Puis une fausse folie et un mauvais interprète des théories freudiennes mal comprises et pire exportées.

Le seuil des temps est symbolisé par le décès de la première épouse, la fin de l’innocence, en quelque sorte, au vu de la personnalité de celle qui lui succèdera et des métamorphoses de ceux qui survivent à l’instar de la vieille tante. S’ensuivra une cour des miracles de la modernité représentée par un café et enfin, de là surviendra l’Homme nouveau – Halit le Régulateur –, le concepteur d’une bureaucratie qui trouvera d’elle-même et en elle-même les raisons de son existence et ses propres fonctions, à condition que l’on ne cesse d’en parler et qu’elle symbolise tout ce qu’il y a de plus moderne au monde – une nouvelle conception du temps et de sa valeur.

Mais tout cela s’écroule aussi, au moment-même où les rôles s’inversent : où l’antihéros comprend et justifie alors que le manipulateur se retrouve précipité dans le doute.
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L'Institut de remise à l'heure des montres et..

Hayri Irdal qui est le personnage principal de ce roman nous fait le récit de sa vie. Issu d’une famille ruinée par une lubie de son grand-père d’édifier une mosquée, lubie poursuivie également pendant toute son existence par son père, il suit une scolarité chaotique, à laquelle il préfère la fréquentation d’individus loufoques, passant leur temps à chercher des trésors chimériques ou à tenter la fabrication de l’or comme les alchimistes du moyen-âge. Il finit par faire un apprentissage chez un horloger, les montres, horloges et autres pendules devant être la passion de sa vie. Il mène une vie précaire, remplie d’incidents cocasses et de rencontres surréalistes, de déboires et d’avanies, jusqu’au jour où Halit le Régulateur entre dans sa vie. Ils fondent ensemble le fameux Institut de remise à l’heure des montres et des pendules, dont les fonctions et les attributions sont plus que floues, mais qui emploie un personnel important et qui génère un revenu intéressant pour ses fondateurs assurant enfin à Hayri Irdal une assise sociale, une reconnaissance au sein de sa famille.





Un très bon et surprenant roman, dans lequel l’auteur nous donne à voir un univers décalé et poétique, rempli de personnages étranges et attachants, chasseur de trésors, spirites, passionnés de psychanalyse et autres farfelus. C’est cocasse, parfois très drôle, comme la scène où la riche tante à héritage ressuscite car l’enterrement offert par la famille est vraiment trop minable. J’ai toutefois trouvé la deuxième partie du roman consacrée au fameux Institut un peu moins réussie, manquant un peu de folie attendue. Cette réserve mis à part, j’ai passé un excellent moment de lecture et j’ai découvert un auteur que je ne connaissais pas avec beaucoup de plaisir.

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Pluie d'été

Tanpinar (1901-1963) est un grand classique de la littérature turque, sorte de Victor Hugo inspirateur des romanciers contemporains (Pamuk aussi lui doit beaucoup et ne ferait pas mal de le reconnaître...) en même temps qu'auteur charnière par rapport à la littérature ottomane du XIXe siècle, sur laquelle il se pencha en tant que critique très avisé.



Cette longue nouvelle ou court roman qui, je ne sais trop pour quelle raison, me fait beaucoup penser au roman russe et notamment à Dostoïevski, décrit la rencontre amoureuse entre une jeune femme belle et mystérieuse et un écrivain séduit et culpabilisant pour son infidélité. Elle se déroule en trois moments très distincts. La première rencontre sous la pluie, dans le jardin chez l'homme : la femme, immatérielle et impalpable, s'exprime par "souvenances" fragmentaires et éparses et les dialogues sont d'une extrême modernité, pour leur caractère elliptique et "théâtre ouvert". Le second moment est le retour de la femme, où la passion aboutit et les traits psychologiques des deux personnages s'affinent. Le troisième - véritable nouvelle dans la nouvelle - consiste dans la narration du souvenir d'enfance de la femme qui l'a attirée vers ces lieux : là où se trouve la maison de l'homme, sur le Bosphore, était situé le yali familial du personnage féminin (non nommé), détruit par le feu, ainsi que tout l'ameublement et autres caractéristiques du train de vie ottoman (ex. les volières) qui avait cours dans une telle demeure malgré une décadence déjà bien avancée.

Ainsi, une lecture métaphorique est plausible - sur le thème très typique de la littérature turque (de l'époque) - qui consiste à voir le passé ottoman brûlé avec nostalgie et comme un objet de séduction mais aussi d'infidélité à l'égard des nouvelles valeurs et de culpabilité (pour la nostalgie, non pour le passé, s'entend). La métaphore du yali est aussi présente dans ce contexte (cf. ma note sur le roman de Suat Dervish).



[Quelques tournures un peu rêches dans la traduction sont sans doute dues à un traducteur non francophone de naissance - cependant il faut admettre que se confronter à Tanpinar n'est pas à la portée du premier venu...]

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Pluie d'été

Été 1944, Sabri est resté seul à Istanbul alors que son épouse Sekhère, accompagnée de ses deux enfants, rend visite à son père à Adana. C'est l'occasion pour ce bureaucrate de mener à bien son projet de livre sur Evliya Tchélébi. Il fait des recherches, prend des notes dans une solitude propice au travail intellectuel.

Un après-midi d'orage, il trouve une jeune femme dans son jardin. Il lui propose d'entrer dans la maison pour s'abriter de la pluie, se changer, ce qu'elle accepte sans façon. Le temps s'écoule, ils parlent un peu, écoutent de la musique, elle se confie en parlant de son mariage raté et des craintes qu'elle a sur la violence de son mari. Intrigué, Sabri tombe peu à peu sous le charme de l'inconnue dont les manières déroutantes, l'esprit fantasque, la liberté de ton le surprennent. L'arrivée de la femme de ménage, madame Aïchée, interrompt le flirt naissant. En raccompagnant son étrange visiteuse sur la rive européenne, il remarque qu'elle semble connaître les lieux. Elle lui promet de lui rendre une autre visite.

Les jours s'écoulent et, au lieu de replonger avec sérénité dans son travail, le souvenir de la femme devient de plus en plus prégnant à son esprit, l'amenant à s'interroger sur lui-même. Dans les débuts de la quarantaine, quelle consistance a pris sa vie ? Quelle est la force de son attachement à sa femme, à ses enfants, pour se sentir irrésistiblement attiré par une inconnue fragile, imprévisible dans ses gestes comme dans ses paroles, séduisante et séductrice ? Il prend conscience d'être dans un entre-deux qui révèle une certaine inconsistance de sa personnalité.

Quand il n'ose plus espérer le retour de la femme, elle se présente un matin à sa porte. Elle a décidé qu'ils passeraient la journée ensemble, SA JOURNÉE À ELLE. Baignade, plage, déjeuner, promenade le long des rives du Bosphore, leur déambulation se déroule dans une sorte d'excitation, mais aussi sur une perception de plus en plus désaccordée de leurs attentes. En regagnant la maison, une sorte d'abattement s'empare de l'inconnue qui se met à raconter des souvenirs d'enfance.

La résidence de ses grands-parents était autrefois bâtie sur le terrain acheté par Sabri, elle a été détruite par un incendie qui a coûté la vie à son grand-père. Cet homme esthète, autoritaire, a bradé peu à peu les richesses de la famille après le suicide de sa fille Fatma quelques jours avant son mariage. Sans motif apparent, la vaisselle, les meubles, les bijoux ont été cédés à vil prix. Par ailleurs, la gouvernante de la maison (la kalfa) avait pris l'habitude de faire revêtir à celle qui n'était encore qu'une enfant les vêtements de sa tante et de la promener la nuit dans la demeure sous le regard dissimulé du maître de maison. La petite conservera une vision fantomatique de l'incendie : son grand-père portant dans ses bras Fatma.

Il est temps pour la jeune femme de prendre congé. Sabri la regarde disparaître à bord du bateau qui la ramène sur la rive européenne.

Ce court roman est une merveille de délicatesse et de poésie. Le sentiment de la fuite du temps fait vaciller les certitudes de Sabri. L'irruption de cette femme qui semble flotter dans une existence qui lui échappe provoque chez lui une sorte d'effondrement intérieur, le sentiment qu'il passe peut-être à côté de sa vie. Qu'importe si l'inconnue a recréé la réalité à sa manière ? L'art d'Ahmet Hamdi Tanpınar consiste à nous restituer cet infime tremblement intérieur qui a la puissance de fissurer une destinée banale : une femme surgit, miroite un bref instant dans la fadeur d'une vie rangée, disparaît et l'homme ne pourra plus jamais échapper à son souvenir. C'est dit en peu de mots et avec une force poignante.
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Pluie d'été

C’est une rencontre improbable, quelque peu irréel, entre un homme, Sabri, et une femme, belle, charismatique, envoûtante, qui un soir d’été, s’est abritée de la pluie, sous un arbre, dans son jardin.



Nous sommes courant de l’été 1942 à Istanbul. Sabri, écrivain, est resté dans la demeure familiale afin de trouver l’inspiration, tandis que sa femme, Sekhère et ses enfants sont en vacances chez le père de Sekhère. La découverte de cette sublime créature sous un arbre de son jardin, alors qu’une pluie diluvienne s’abat, va bouleverser la solitude estivale de Sabri. Il lui ouvre les portes de sa maison pour qu’elle s’abrite et en même temps, dans son inconscient, celles de son âme. Mi-enfant, mi-déesse, elle revêt une robe de Sekhère tandis que ses vêtements humides sèchent, et raconte des histoires sur elle, sur le jardin, sur des souvenirs n’ayant de prime abord guère de sens. Présente sans l’être, elle se comporte chez Sabri, non comme une invitée, mais comme la maîtresse de maison. La gouvernante, Mme Aiché, bien qu’acquise à Sekhère, tombe d’ailleurs sous son charme et ne relève pas que Sabri est en compagnie d’une autre femme que la sienne. Brusquement, la femme s’en va comme elle est venue, pour dit-elle rejoindre son mari, mais promet de revenir prochainement. Troublé, envoûté, Sabri l’attendra à nouveau, avec espoir, ardeur et désir.



Elle était une pluie d’été, un orage de lumière passager. C’était tout. Néanmoins elle s’était installée pour de bon dans sa vie et dans son esprit.



Lorsqu’elle revient et qu’ils partent se promener sur le Bosphore, il ne lui résiste pas. Puis, la femme se confie à Sabri dans l’intimité. Et seulement après, la parenthèse de cette rencontre se fermera.



Pluie d’été est une jolie nouvelle où une douce atmosphère mêlée de pluie, de soleil et d’eau de mer, se fond dans une rencontre énigmatique pétrie de la pudeur orientale des sentiments. Le dédoublement de personnalité des personnages, du côté de Sabri avec Karagueuz et Khadjivad -personnages principaux du théâtre d’ombres traditionnel turc- et de la femme avec sa tante décédée, contribue à suspendre hors du temps leur idylle et laisse à penser qu’ils étaient destinés à se rencontrer pour mieux se connaître eux-même, pour mieux découvrir la profondeur de l’amour qui peut être choisi, avant de reprendre le cours de leur vie…
Lien : http://leslivresdecamille.wo..
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