Citations de Akli Tadjer (336)
— Je me suis promis de ne pas l’abandonner et je tiendrai parole.
— J’aime votre fougue, mais ne la confondez pas avec de la candeur. Personne ne vous fera de cadeaux. En France, quel que soit votre talent d’avocat, vous resterez un bicot pour vos confrères.
— Je ne suis pas si candide que ça, maître, mais si je ne tiens pas ma promesse, comment pourrai-je me regarder dans la glace ?
— Vous aimez votre cliente ?
— Aimez ? Non, je ne l’aime pas, si c’est à ça que vous faites allusion. Mais les déracinés me touchent parce que je sais ce que c’est d’être toujours l’étranger dans le regard de l’autre. Émilienne Postorino est de cette race-là. Elle va subir l’exil dans un pays qu’elle ne connaît pas, qu’elle n’aime pas et dont elle ne veut pas entendre parler.
Quand on a vingt ans, on croit qu’on a l’éternité devant soi pour refaire le monde, mais quand on est un vieux monsieur comme moi, on réalise que la vie dure le temps d’une étincelle. Allez à l’essentiel. L’essentiel, c’est l’audace, l’amour, la liberté.
— Vos pieds sont ici, mais votre tête est restée là-bas. C’est ce que j’appelle l’esprit colonial.
Le pire n’est jamais sûr, dit-on. Sous d’autres cieux sans doute, sous d’autres latitudes certainement, mais en Algérie les dictons ont tous été battus en brèche. Le pire n’est jamais une option, c’est une certitude.
— Je vais vous laisser votre bled, maître. Vous allez nous regretter. On a tout fait, ici.
— Tout fait pour vous. Vous êtes venus chez nous pour créer un pays sans nous. Voilà la vérité.
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Une société civilisée doit-elle faire mourir un condamné ?
Du plus profond de mon âme, j’ai la conviction, depuis ma lecture du Dernier Jour d’un condamné, qu’elle n’en a pas le droit moral. Ce n’est ni du laxisme ni de la faiblesse que de penser qu’une horreur ne saurait en faire taire une autre, ni de la lâcheté que de mettre sur le même plan le crime du condamné et celui commis par des hommes de loi au nom du peuple.
Demain et les jours à venir, des têtes tomberont encore dans ce panier en bois noirci de sang séché. Aujourd’hui, je sais qu’il est vain et naïf d’imaginer que cette guillotine cachée sous cette bâche soit mise au rebut, mais je me battrai contre la peine de mort : c’est le sens que je veux donner à ma vie d’homme, et à ma vie d’avocat. Je n’aurai pas, c’est sûr, les mots puissants, justes, implacables du plaidoyer de Victor Hugo pour l’abolition de ce châtiment suprême, mais ce seront les miens. Des mots qui diront que la justice n’est pas la vengeance des hommes mais qu’elle doit être leur humanité.
— Je suis avocat depuis vingt minutes et j’aimerais que vous me donniez des conseils, maître. Enfin, un seul suffira.
Il avait plissé ses yeux jusqu’à ce qu’ils ne forment plus qu’un trait et je l’avais écouté.
— Il y a trois sortes d’avocats : ceux qui se soumettent aux lois, au-dessus ceux qui les refusent, au-delà ceux qui s’en imposent. Débrouillez-vous avec ça, mon cher confrère. Pardon, j’en oublie une, les avocats hors-la-loi, ceux qui n’écoutent que la loi de leur cœur.
De Gaulle avait installé à Alger le Conseil national de la Résistance pour combattre l'ennemi de l'intérieur. Les forces alliées avaient infligé une déculottée aux Italiens. Le gouvernement de Vichy avait beau appeler à éliminer, sans état d'âme, les terroristes de De Gaulle, les attentats, les sabotages, les assassinats de grands chefs allemands se multipliaient partout dans le pays.
Samuel pensait en regardant le père et la fille -tout comme moi d'ailleurs- que les Juifs étaient un bien curieux peuple. Ils ressemblaient aux gens de l'endroit où ils étaient nés. Les Bergman, comme tous les autres Juifs de Paris, ressemblaient à de vrais Français. Pareil pour les Juifs de chez nous, on les confondait souvent avec les Arabes ou les Kabyles. Du coup, je trouvais étrange, et je ne comprenais pas, que les Algériens établis à Paris depuis tant et tant d'années soient restés physiquement inchangés.
La Picardie, il connaissait. En revanche, il n'avait jamais entendu parler de frontstalag. En deux mots, j'ai expliqué que c'était des camps de travail réservés aux soldats coloniaux. Et pour notre malheur, nous avions pour geôliers des roumis, les mêmes qui nous avaient précipités dans leur sale guerre.
- Et pourquoi ils ne vous ont pas embarqués en Allemagne, comme les autres,
- Ils avaient peur qu'on leur amène des maladies ou qu'on salisse leur race, ai-je ajouté.
- C'est eux la sale race. Et nos roumis, des traîtres, de la sale race, pareil.
Avoir vingt ans, ça n’existe pas chez nous. Je suis vieux de toutes les humiliations dont j’ai souffert depuis l’enfance.
Alger était belle comme toujours. Comment se peut-il qu'une aussi jolie ville avec un ciel si pur et des flots si bleus puisse charrier autant de malheur, de larmes, de souffrance ?
Je m’en irai pour un nouvel ailleurs. Il me faudra oublier la place de la Contrescarpe où nous dînions, souvent, le soir au retour de la tannerie. Il me faudra aussi faire le deuil de nos flâneries nocturnes jusqu’au boulevard Saint-Michel, quand nous prenions un verre à la terrasse d’un bistrot avant de remonter par la rue Saint-Jacques. Demain sera un mauvais jour, celui de nos amours mortes.
Puis, elles oublieront tante Safia pour bavarder jusqu’à ce que le soleil s’efface derrière nos montagnes. Le temps qui court leur est indifférent. Elles savent que c’est une invention humaine, que la seule vérité qui vaille est le perpétuel mouvement de la vie avec ses désastres, ses chagrins, ses fêtes, ses passions, ses flétrissures et sa fin inéluctable, car naître, c’est commencer à mourir.
Il parlait d’une voix sans timbre, presque susurrée. Les souvenirs s’entremêlaient, s’entrechoquaient, se contredisaient parfois. Il mélangeait le présent, le passé, le singulier, le pluriel, les ans, les saisons, les hivers, les peurs.
Ce livre est tout simplement remarquable !
Chaque page dévoile une histoire captivantes sur l'histoire de la guerre d'Algerie, avec un personnage si bien construit. Une lecture inoubliable qui mérite tous les éloges. Félicitations à l'auteur pour cette œuvre exceptionnelle
![Akli Tadjer](/users/avt_fd_5622.jpg)
Nous sommes en Algérie en mars 1962. Les accords d'Evian, la signature d'un cessez-le-feu, ne sont pas synonymes de paix retrouvée, loin de là ! Le pays, et particulièrement Alger, vit dans la terreur : attentats, voitures piégées, règlements de compte ... Pas facile d'exercer le métier d'avocat dans cette ambiance effroyable, surtout si comme Adam, on est appelé à prendre la défense de l'ennemi ! Lui même, héritier dun histoire familiale terrible se voit confier la défense d'Émilienne Postorino, tenante de l'Algérie Française, accusée d'avoir tiré des coups de feu sur une manifestation pour l'Indépendance de l'Algérie. Akli Tadjer nous offre un récit passionnant, romanesque, dans un style vif, rythmé, éblouissant. Profondément humaniste, notre auteur garde une foi solide dans l'humanité ! Comme il le dit dans un précédent ouvrage : contre la haine, il choisit d'aller à la rencontre des autres. "De ruines et de gloire", le troisième roman d'une trilogie, nous offre une lecture passionnante et une réflexion sur la place de chacun dans notre Humanité. Trilogie, certes, mais chaque volume peut se lire indépendamment.
Monsieur préfère mourir plutôt que de laisser aux bicots tout ce que les siens ont bâti dans ce pays depuis cinq générations. Il préfère mourir une deuxième fois plutôt que d'être commandé un jour par des Arabes tout juste bons à garder leurs troupeaux de moutons. Enfin, il préfère mourir une troisième fois plutôt que de tout quitter pour vivre en métropole où, d'après le commissaire Maigret, l'hiver peut faire geler le canal Saint-Martin.
Mais les déracinés me touchent parce que je sais ce que c'est d'être toujours l'étranger dans le regard de l'autre. Émilienne Postorino est de cette race-là. Elle va subir l'exil dans un pays qu'elle ne connaît pas, qu'elle n'aime pas et dont elle ne veut pas entendre parler.
- Je vais vous laisser votre bled, maître. Vous allez nous regretter. On a tout fait ici.
- Tout fait pour vous. Vous êtes venus chez nous pour créer un pays sans nous. Voilà la vérité.